Par Cédric CHOPIN, citoyen français
Lille, le 14 juillet 2021.
Je me permets de vous adresser ce message, dans la perspective des prochains travaux de notre association. Il me semble en effet que l’AWF devrait garder un œil sur plusieurs problématiques, distinctes du réunionisme mais en réalité reliées à celui-ci.
Outre les questions communautaires présentes et à venir (financement de la Wallonie, échéances de 2024, future réforme de l’État dans un sens confédéral etc.), pour lesquelles nous avons acquis un niveau de connaissance, voire d’expertise, incontestable, nous devrions nous pencher sur les sujets qui suivent.
« Nous pencher » ne signifiant pas « se plonger dans l’étude », ou « produire des rapports » : nous n’en avons ni le temps, ni les moyens ; il s’agit d’articuler nos thématiques principales au regard de l’évolution des contextes français et belge.
1) La crise globale des institutions démocratiques : qui touche la Belgique mais bien plus durement la France.
Il est clair que le système représentatif connaît aujourd’hui un affaiblissement dramatique. L’abstention aux dernières élections régionales et départementales françaises en témoigne, mais n’est que le symptôme d’un mal bien plus profond.
Mondialisation économique, politiques européennes intrusives, économie spéculative devenue incontrôlable, « déprise » culturelle générale (culture académique ou culture locale et populaire) face à l’emprise des GAFA etc. Tout cela concourt à la fragilisation des institutions démocratiques, à cause de leur incapacité à avoir prise sur le réel.
Mais le système politique n’est pas seulement une victime : ses acteurs portent une responsabilité écrasante. Appartenant, dans leur très grande majorité, aux « classes sociales supérieures », bénéficiaires de la mondialisation, les mandataires (auxquels s’ajoutent les responsables économiques, médiatiques et, dans une certaine mesure, culturels) n’ont aucune envie de voir le peuple se mêler de « ce qui ne le regarde pas ». Le « cercle de la raison » n’est pas négociable ! There is no alternative, comme disait l’autre…
Tout ce qui dépasse est ramené au rang de « populisme », que ce dernier soit réel (les « complotistes » et autres « anti-vax » ne sont pas une légende urbaine), ou le plus souvent imaginaire (expression des légitimes aspirations populaires, en matière sociale et démocratique)… Bien sûr, les médias dominants ont tout intérêt à mettre en avant les premiers, pour y englober les seconds…
Sur ce dernier point, heureusement, tout n’est pas perdu, il subsiste encore quelques émissions tentant – tant bien que mal – de comprendre le monde tel qu’il va : Démocratie en question(s), saison 2 : https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_les-podcasts-de-lapremiere/accueil/article_democratie-en-question-s-enquete-chez-les-coronasceptique-et-les-antisysteme-saison-2 id=10795790&programId=16224
2) La tentation du repli « identitariste » face au « mondialisme » déraciné.
Je préfère ce néologisme à celui d’ « identitaire », car vouloir s’appuyer sur une identité, voire le plus souvent plusieurs, est un sentiment sain, lui aussi légitime.
L' »identitarisme » renvoie aux discours que l’on entend ou lit sur de nombreuses ondes, livres, articles et sites internet, qui se répandent progressivement dans l’opinion, et possèdent quelques caractéristiques fondamentales : principalement l’essentialisme (par opposition à l’universalisme).
Cette approche prétend que les différentes identités sont irréductibles les unes aux autres, ne pouvant en aucun cas se superposer et s’ajouter. Bien entendu, les apports venant de l’extérieur sont ici particulièrement visés… Anticiper les conflits potentiels ne doit pas devenir une prophétie autoréalisatrice, or c’est ce à quoi nous assistons dans l’hexagone…
Cet essentialisme est une mauvaise réponse à l’idéologie du « grand mélange », dans lequel toutes les cultures (surtout la culture occidentale, pour ne pas dire uniquement…) sont censées disparaître et se fondre dans un « grand tout » « multi-culturel »… Bien entendu, dans ce cadre, limiter les flux migratoires constitue une contrainte inacceptable. En clair, l’alternative infernale serait la suivante : soit le repli « identitariste », afin de lutter contre le « Grand remplacement » ; soit l’avènement du fantasme absolu du néo-libéralisme : la fondation d’une « culture mondiale », grâce aux supports numériques, au sein d’un grand marché global… Pile ou face, l’avers ou le revers d’une même médaille… Ces deux impasses peuvent susciter, à des degrés divers mais chez tout le monde, une forme de tentation : « zemmourisme » d’un côté, fascination pour des mégalos comme Elon Musk, de l’autre.
Pour le mouvement réunioniste, le devoir impérieux – à la fois moral et politique – est de tout faire pour tracer une ligne différente, réellement subversive. Une ligne laïque, républicaine au sens vrai du terme (le mot – et non la chose – étant repris en France par la droite la plus extrême…). Une ligne universaliste, c’est-à-dire proclamant l’existence d’un « fond commun » transcendant les différentes religions, genres et orientations, cultures… pouvant exister sur un même territoire. L’identité, pour être riche, diversifiée et forte, n’a nul besoin d’être arrogante ou agressive ! Au contraire, ces deux derniers adjectifs sont la marque des cultures faibles et déclinantes – voire décadentes…
Sur ces principes, le réunionisme doit participer à l’émergence d’une identité non-identitariste !
Jean Birnbaum : « Dans un climat irrespirable, faire droit à la nuance devient subversif » (https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/jean-birnbaum-dans-un-climatirrespirable-faire-droit-a-la-nuance-devient-subversif_2149546.html): Le Courage de la nuance, éditions du Seuil, 2021.
3) Le risque de dérive autoritaire en France, et le risque de crise sociale, politique et communautaire violente.
La France est un grand pays, et le peuple français un grand peuple, c’est entendu. Ce qui ne signifie évidemment pas idéaliser l’une ou l’autre.
Aujourd’hui, la crise française est véritablement profonde, avec un haut niveau de gravité. Crise politique, culturelle, sociale, communautaire, territoriale. La fracturation du pays s’accentue. Or, rien ne bouge, les crises successives depuis trois ans n’ont pas ébranlé l’inertie ambiante. Les « Gilets Jaunes » ont été un soubresaut qui auraient pu permettre la mise en œuvre d’un nouveau pacte démocratique et social. Il n’en a rien été : absolument rien ! Toutes les revendications d’ordre politique (ex. : Référendum d’Initiative Citoyenne) ont été balayées d’un revers de main! Le « Ségur de la santé » (négociations ayant suivi le premier confinement) a été, de l’avis même des personnels soignants, une vaste arnaque, n’octroyant que quelques menues piécettes. Rien, absolument rien, sur la gouvernance de l’hôpital, ou la fin des « restructurations »! Pourtant, en mars 2020, les médecins, infirmières, aides-soignantes, ont pris le pouvoir sur les gestionnaires, et c’est uniquement cette inversion du pouvoir qui a permis d’éviter la catastrophe totale, dans des établissements de santé dépourvus du matériel le plus élémentaire (masques, blouses, gel)…
A ce propos, la crise sanitaire que nous traversons agit comme un révélateur, au sens chimique du terme : les tendances profondes du pays se manifestent au grand jour ! Et ce n’est pas joli à voir… Il est clair que bien des mesures prises au cours de l’épidémie n’avaient aucun rapport avec les exigences médicales ! Il s’agissait, essentiellement, de « maintenir la pression » sur un peuple jugé immature, irresponsable et incontrôlable… Sans quoi, « ils vont faire n’importe quoi ! »
A cet égard, les dernières mesures décidées en juillet représentent un palier supplémentaire vers une forme d’autoritarisme de moins en moins « doux ». Interdiction, dans de nombreuses communes (suite à décret préfectoral ou municipal) des feux d’artifice du 14 juillet, même en étant masqués ! En effet, il y aurait eu de dangereux attroupements… Dans ce cas, il faut d’urgence interdire tous les marchés extérieurs, fermer les centres commerciaux, et combler les tunnels de tous les métros de France…
Je n’hésite pas à l’écrire (et je précise avoir reçu mes deux doses de vaccin…) : les décisions – souveraines, solitaires, jupitériennes, prises en Conseil de Défense – du président Emmanuel Macron du 12 juillet marquent un tournant, voire… un changement de régime politique ! Nul complotisme là-dedans : simplement la constatation que les considérations médicales et sanitaires (bien entendu nécessaires) ont été le prétexte (peut être inconscient) à l’émergence de pulsions autoritaires. La France est devenue un pays où l’on peut affirmer, sans être démenti, que « en contexte de pandémie, la démocratie est un inconvénient, surtout si elle s’avise de devenir contestataire » (Axel KAHN – paix à son âme – octobre 2020).
Bien sûr, d’autres pays ont été touchés par le phénomène (dont la Belgique et sa fameuse « bulle sociale »), mais en France, ce dernier a aggravé les fractures existantes… ainsi que la terreur des élites à l’égard du peuple, toujours jugé incapable de comprendre la situation… « Passeport sanitaire » à l’intérieur des frontières du pays, surveillance des cafés, des restaurants, des cinémas, devenus bien malgré eux des auxiliaires de police, évacuation de toute discussion rationnelle et contradictoire, spots TV gouvernementaux qui ont dû s’inspirer de la propagande soviétique (ou plutôt chinoise..), disproportion de nombreuses mesures par rapports aux risques véritables (hors personnes à risque, le covid-19 est une maladie quasiment pas létale) : l’irrationalisme du gouvernement (et de certains « médecins de plateaux TV », dont on se demande quand ils soignent des patients…) est en train d’égaler celui des « antivax », avec leurs « puces 5 G injectées par Bill Gates »!
Nous sommes – je l’espère ! – nombreux à penser que la pandémie aurait pu être gérée de façon rationnelle et démocratique, dès la fin du premier confinement (il faut être indulgent pour cette première phase, nous ne savions pas au début ce qui se passait). Au lieu de cela, l’obsession des autorités n’a cessé d’être : contrôler, contrôler, contrôler les citoyens infantilisés, et le cas échéant réprimer. En lieu et place des dernières mesures liberticides, un exposé clair de la stratégie vaccinale (dès le début du printemps 2021), des chiffres de vaccination raisonnables à atteindre chaque semaine, et la levée définitive des mesures sanitaires en fonction de ces chiffres (et non pas en fonction de dates arbitraires, ou du nombre des contaminations), et un discours factuel sur la contagiosité supérieure du variant Delta, auraient sans doute eu des résultats équivalents, voire meilleurs ! Avec cette méthode, ou d’autres méthodes non-coercitives, la France serait peut-être à l’heure qu’il est au même niveau que l’Angleterre !
La leçon à tirer de tout cela est la suivante : en France, bien plus que dans les autres démocraties, nous nous habituons aux mesures autoritaires, jugées plus rapides et plus efficaces que la délibération parlementaire et la responsabilisation des citoyens… L’autoritarisme devient le « mode de fonctionnement par défaut » du pouvoir, et les limites en la matière sont allègrement repoussées. C’est une réalité, et une source de profonde tristesse : nous assistons à l’écroulement de la culture démocratique en France… Le ressentiment et l’esprit de revanche vont également croissants !
La France est le seul pays occidental où a eu lieu – le plus sérieusement du monde – un débat sur la possibilité d’une guerre civile, et l’intervention de l’armée dans les banlieues !
Mais où cela va-t-il finir ?
Le courant réunioniste doit envisager l’hypothèse d’un « scénario catastrophe » (ou du moins celui d’une grave crise de régime) pour la France, et réfléchir au rôle qu’il pourrait jouer dans ce cas. La Wallonie, en l’occurrence, pourrait devenir une sorte de « base arrière », situation qu’il faudra définir et anticiper.
Car, comme j’ai eu le plaisir de l’écrire avec Paul MELOT dans le texte publié sur le site de la revue Front Populaire : « Tous les réunionistes (…) partagent un objectif : être acteurs d’une contreculture alternative, républicaine, sociale et populaire, participant – pour l’instant de l’extérieur – à la reconstruction d’une France libre et rénovée !«
Tel est l’un des aspects essentiels de notre responsabilité collective, en tant que réunionistes.
A lire : Récidive, 1938, de Michaël FOESSEL, réédition 2021 : https://www.mollat.com/videos/mickaelfoessel-recidive-1938, P.U.F., avec une postface inédite évoquant la crise sanitaire.