Par Pierre MELOT
On ne rigole plus : le rouleau compresseur belgo-flamand resserre son emprise.
Une sombre météo linguistique risque de s’abattre à terme sur les écoliers wallons. Dernière « idée » de la ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles (approuvée par l’Exécutif mais non encore validée par le Parlement) : imposer – et non plus proposer – le cours de néerlandais dès la 3e année des écoles primaires de Wallonie (comme c’est le cas actuellement dans la Région bilingue français/néerlandais de Bruxelles et dans les communes dites « à facilités » de la frontière linguistique).
Nuance, s’il vous plait ! Rappelons au passage – on a une furieuse tendance à l’oublier du côté de Bruxelles – que la Wallonie est, elle aussi, une Région bilingue… mais français/allemand, mille tonnerres ! Pourquoi, diable !, jeter un tel désordre dans l’ordonnancement institutionnel si délicat voulu par la Constitution ?
Une « idée » idéale ? À voir…
En introduisant précocement, exclusivement et obligatoirement le cours de néerlandais dans la formation des tout jeunes écoliers wallons, l’objectif poursuivi par la ministre vise-t-il sans arrière-pensée ( ??? ) à les doter d’un bagage linguistique à la fois large, utile et enthousiasmant ? Trois critères indissociables à prendre en compte dans l’apprentissage d’une langue étrangère quelle qu’elle soit.
Un bagage linguistique large. Jugez vous-mêmes de la pertinence (ou de l’indigence) de l’« idée » ministérielle, centrée sur le petit territoire belge. Dans le monde entier (8 milliards d’êtres humains), le néerlandais est la langue maternelle de quelque 24,5 millions de personnes, nous avons bien dit 24,5 millions (17,5 millions de Néerlandais, 6,5 millions de Belges flamands et environ 500 000 personnes dispersées en Amérique du sud et en Asie + quelque 500 000 autres à titre de langue seconde), soit 0,31 % de la population mondiale… Non seulement c’est très, très peu sur le plan numérique mais c’est surtout ridiculement peu en termes de diffusion sur les cinq continents.
Par contre, ce qui fait de l’anglais (plus exactement de l’anglo-américain) la langue étrangère à connaitre par priorité, c’est le nombre de locuteurs qui le pratiquent au quotidien (1,3 milliard comme langue maternelle ou langue seconde) et surtout sa diffusion incomparable sur l’ensemble de la Planète. Ces deux atouts confèrent à l’anglais la première place parmi les langues parlées, écrites, lues et étudiées dans le monde. Une espèce de passeport universel pour son détenteur. Même les Chinois, pourtant les plus nombreux sur Terre, sont obligés d’y avoir recours pour communiquer avec les autres Terriens. Convenons-en : entre l’anglais et le néerlandais, la palme du bagage linguistique « large » revient sans le moindre doute à l’anglais.
Un bagage linguistique utile. Certes le néerlandais peut être utile dans le cas particulier de la recherche d’un emploi à Bruxelles. L’obtenir est une chose, espérer une promotion intéressante en est une autre car la concurrence flamande est rude et vigilante. Rappelons – c’est ainsi en Belgique – que le Flamand est toujours réputé meilleur bilingue que le Wallon. Et que, pour des raisons historiques et géolinguistiques, il l’est effectivement souvent. Il n’y a qu’à écouter nos ministres, nos députés néerlandophones et francophones… et comparer. Mis à part ce point, il faut bien reconnaitre que la connaissance du néerlandais est d’une faible, voire très faible utilité en Wallonie. Et que dire dans le monde…
En revanche, l’anglais s’impose de plus en plus dans notre quotidien, au nord et au sud et surtout à Bruxelles : voyages (tourisme, affaires, études), échanges scolaires et étudiants (programme européen Erasmus), finances et assurances, commerce, science et recherche, technologie (informatique, aviation, espace), chemins de fer, armée, marine marchande, culture, médias et communication, ONG, lobbys internationaux, politique (Parlement européen, OTAN), diplomatie… La liste est longue des domaines dans lesquels la connaissance de l’anglais tient lieu de véritable passeport mondial… et belge. Oui, oui ! En Belgique aussi, où de plus en plus d’entreprises, de services publics, d’ONG (des deux côtés de la frontière linguistique) passent à l’anglais pour leurs activités transrégionales, leurs formations, leurs colloques. À tel point que l’époque où chacun parlait sa langue en étant suffisamment compris par le partenaire allophone est pratiquement révolue : « Please go on in English ! » Et que dire des universités, francophones comme néerlandophones, qui dispensent carrément leurs cours uniquement en anglais ! Somme toute, comme le couteau suisse qui vient à votre secours dans toutes les situations, l’anglais, par sa polyvalence, vous tirera d’embarras aux quatre coins du monde.
Un bagage linguistique enthousiasmant.Ne perdons pas de vue que les premiers concernés par cette « idée » ministérielle sont les jeunes Wallons du 21e siècle de plus en plus interconnectés, entre eux et aux réseaux mondiaux (en anglais). Leur motivation pour une langue plutôt qu’une autre est un élément capital du succès et du rendement de ce cours. Selon l’option choisie (anglais ou néerlandais), que sera ce cours pour les écoliers wallons ? Un plaisir ou un boulet ?
Demandons-leur. Voici ce que répondent, dans leur redoutable franchise (sondages à l’appui), la majorité des écoliers wallons qui ont suivi le cours de néerlandais en 5e et 6e primaires (souvent imposé par le pouvoir organisateur) : « Nous n’aimons pas cette langue. Elle est laide (sic). Personne d’autre que les Flamands ne la parle. On a été forcés de l’apprendre. On aurait préféré l’anglais. En accord avec nos parents, nous avons choisi l’anglais pour le secondaire. » On le voit : pour bon nombre d’écoliers wallons – informés et plus matures qu’on ne le pense –, la cause est entendue : bien qu’ils aient suivi (subi ?) le cours de néerlandais à partir de la 5e primaire, il n’y aura pas (ou peu) de continuation. Ce sera l’anglais dès la 1re année du secondaire !
La place nous manque dans le cadre de cette « causerie » pour analyser – arguments scientifiques à l’appui – l’aversion affective, esthétique et géolinguistique tranchée des écoliers wallons pour le néerlandais. Contentons-nous, en tant qu’ancien professeur de néerlandais, de faire remarquer qu’on ne peut pas leur donner entièrement tort …
Surprise et effroi dans certains cercles
Dans le camp du pouvoir politico-linguistico-économique belgo-flamand, panique à bord : « Catastrophe ! s’y écrie-t-on. Le choix du cours de néerlandais dans les écoles de Wallonie s’effondre ! La Belgique, notre Belgique va s’écrouler. Et le pouvoir nous échapper… Il faut réagir. Vite et fort. Les Wallons doivent rentrer dans le rang. Coûte que coûte. Donnons à nos relais politiques wallons l’ordre de « s’en occuper » ! » La réaction n’a pas tardé. Dans le parti de la ministre de l’Éducation, l’injonction est tombée : « Au boulot, camarade ministre ! Un décret rectificateur, et fissa ! » En bon petit soldat, la ministre a sorti illico une décision conforme aux volontés des instances de son parti : un projet très élaboré de reprise en main des consciences wallonnes par le canal des cours de langues. Un écueil de taille, hélas pour elle !, a surgi en travers de sa route : la dure réalité ! Pas assez de « bras pédagogiques » sur le marché pour faire exécuter les ordres jupitériens. Bien avant les écoliers, les enseignants se sont détournés du néerlandais, qui cesse d’être compris à quelques lieues de Bruxelles. Que peut la ministre face à cette pénurie ? Reporter, à regret sans doute, l’application de la mesure à l’année scolaire 2027-28, dans l’espoir d’un hypothétique afflux de jeunes recrues moins néerlandophobes. Au besoin en traficotant la législation sur les titres requis, solution déjà dans les cartons. Voire en formant des professeurs en accéléré, au rabais…
D’autres risques à craindre ?
Oh, que oui ! Manifestement, l’étau belgo-flamand se resserre autour des citoyens wallons. Déjà les mâchoires décrétales se rapprochent dangereusement de nos jeunes écoliers. Devinons-nous le piège du même ordre déjà programmé pour imposer le néerlandais à nos ados dans le secondaire ? À ce régime, quid de leur niveau de connaissances en anglais, indispensables dans l’enseignement supérieur ? Où un très grand nombre de cours ne sont plus dispensés et publiés qu’en anglais. Où la compétition internationale fait rage sur le plan des publications… en anglais.
Adresse aux élus, sous l’œil vigilant du peuple wallon
Attention ! Le but de cette « causerie » n’est pas de « tuer » le cours de néerlandais dans les écoles de Wallonie. Il s’agit seulement et clairement de dénoncer avec force le projet d’instauration du cours de néerlandais obligatoire à partir de la 3e année primaire, et ce pour cinq raisons (au moins) :
1. cette disposition est liberticide car elle porte atteinte au libre choix des parents ;
2. cette disposition va à l’encontre du sentiment majoritaire wallon qui élève l’anglais, dans les consciences et dans les faits, au rang de langue étrangère prioritaire ;
3. à ce stade, c’est l’école primaire qui est visée : la possibilité de choisir le cours d’anglais y disparait : une erreur monumentale à court, à moyen et à long terme ;
4. il est plus que probable que la ministre (et son gouvernement) aient le projet d’étendre cette disposition à l’enseignement secondaire. Dans ce cas, l’anglais y serait autorisé mais uniquement à titre de langue étrangère seconde : l’erreur devient faute ;
5. plus grave encore, le néerlandais sera la langue étrangère unique pour les élèves du secondaire qui, dans leur cursus scolaire (partiel ou mouvementé), n’auront pas eu l’occasion de choisir une seconde langue étrangère (en l’occurrence l’anglais). Un cycle secondaire sans l’anglais dans son CV scolaire au 21e siècle, est-ce sérieux ?
Mesdames et Messieurs les élus, la Belgique des 19e et 20e siècles n’est plus. Malgré cela, la dernière « idée » ministérielle frappe par son côté passéiste, retardataire, étriqué. Si vous persistez dans cette voie qui entend maintenir les enfants wallons dans les sentiers d’avant-hier, que seront-ils d’autres, une fois adultes, à Londres, New York ou Sydney, en Afrique ou en Asie, que de tristes handicapés linguistiques ? Cela vous importe-t-il qu’ils ne le soient pas ? Prouvez-le !
Adresse aux parents conscients et responsables
Parents wallons, ouvrez les yeux ! Maintenant ! Des forces partisanes sont en train de vous leurrer dans les grandes largeurs. Pour très longtemps si vous n’y prenez pas garde maintenant. Leurs arguments servent d’autres intérêts que les vôtres. Majoritairement de l’autre côté de la frontière linguistique. Vers où certains partis veulent vous entrainer, en commençant par vos enfants. Ne vous laissez pas distraire de votre ligne : l’avenir de vos enfants. Qui ont le droit de vivre des jours heureux, des cours heureux à l’école. De s’y épanouir dans des formations porteuses d’avenir. Et non de se « racrapoter » sur une Belgique du passé, une Belgique qui se disloque. Pour eux et avec eux, continuez à penser « monde » ! Offrez-leur, pour toute leur vie, le meilleur outil de communication internationale qui soit : l’anglais enseigné et pratiqué le plus tôt possible : la « lingua franca » d’aujourd’hui et de demain. Ai-je tout dit ? Probablement pas, mais vous en savez assez. À vous d’agir. Maintenant !
Pierre MÉLOT
ancien professeur de néerlandais et d’allemand
ancien traducteur juré
pierre.ed.melot@gmail.com
Excellent plaidoyer !
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Petite info supplémentaire.
Les statuts de la banque KBC-CBC, fille du Boerenbond, sont flamingants.
Ces statuts stipulent que la banque KBC-CBC est une banque flamingante dont l’objectif est de donner à la Flandre les moyens d’un état.
L’administrateur président de la KBC-CBC ne se cache pas de ses sentiments ultra-nationalistes. Ses discours sont extrêmement flamingants.
En quoi la connaissance du néerlandais par les Wallons changerait la donne ?
Par contre, si la Wallonie se libérait de l’étouffoir bruseller-belgicain et oserait contrer la vlaamse KBC-CBC qui fait des affaires en Wallonie, se serait plus efficace.
Voilà comment il faut y aller !
Idem pour la vlaamse NMBS qui défavorise la Wallonie. Et si la Wallonie s’adressait à d’autres opérateurs ferroviaires, n’en déplaisse aux flamingo-bruseleers, aux RTBfiens, le Soir, la Libre etc…
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Merci de me donner le lien vers l’article précis des statuts de la KBC. Je n’ai trouvé que ceci et il semble qu’on n’y parle pas de « donner à la Flandre les moyens d’un état ». https://www.kbc.com/content/dam/kbccom/doc/corporate-governance/20211217-statuten-kbc-groep-nl.pdf
Même si sur le fond c’est vrai. Il faut sourcer de telles affirmations pour les retourner contre l’adversaire.
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Quand j’étais délégué syndical, nous avons eu droit à une conférence de Vincent de Coorebyter, président du Crisp.
C’est lui qui nous a expliqué pourquoi la Flandre a tout fait pour sauver la KBC en premier, Dexia en second et sacrifier Fortis.
Et il suffit d’écouter les discours de l’administrateur délégué, patron de la KBC pour comprendre que le nationalisme flamand est l’ADN de la KBC.
Et je signale que la KBC a été créée par le Boerenbond.
Et le Boerenbond est une organisation flamingante.
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Curieux, pas de réponse de la part de Claude. Donc, pas crédible.
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J’ai répondu.
Cdlt
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Je vous cite : « Ces statuts stipulent que la banque KBC-CBC est une banque flamingante dont l’objectif est de donner à la Flandre les moyens d’un état. » Vous avez répondu par la bande. Je sais évidemment que la KBC est une banque flamingante.
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Le tout à l’anglais est pire que tout. Il faut défendre le
plurilinguisme comme le prône l’Organsation internationale
de la Francophonie. Le tout a l’anglais au sein de l’UE est
illégal aucun pays n’ayant choisi l’anglais comme langue
officielle. Ah si De Gaulle était à l’Elysée en lieu et place
de Macron
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