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Le français, langue ardente

1 000 professeurs du monde entier réunis pour défendre le français

Toujours soucieux du rayonnement de notre langue française, c’est avec un immense plaisir que nous répondons au petit mot que nous envoie Adrien Lhomme. Notons que trois de nos administrateurs (Paul Mélot, Jean-René Dheur et Louis Nisse) étaient présents au Congrès de Liège pour représenter notre Alliance. Ils ont distribué un mot d’accueil aux participants pour les informer qu’un mouvement citoyen ayant pour but l’intégration-autonomie de la Wallonie au sein de la République française existait en Wallonie. (Paul D.)

Lu dans le Figaro :

La semaine dernière, un congrès mondial s’est tenu à Liège pour promouvoir notre langue. Il manquera, d’ici à 2020, 180 000 enseignants de français, notamment en Afrique.

ÉDUCATION

Ils sont environ un million à enseigner le français aux quatre coins de la planète. Dans tous ces pays où « l’on naît et l’on vit en français » – de la France à l’Afrique, en passant par le Québec et le Liban -, mais aussi au Mexique, en Inde, en Chine, aux États-Unis, où l’on apprend le « français langue étrangère », ces professeurs sont les porte-drapeaux de la langue de Molière et de la culture qu’elle véhicule.

C’est à Liège, en terre francophone, que s’est tenu le XIVe Congrès mondial des professeurs de français, la semaine dernière. Plus de 1 000 enseignants avaient fait le déplacement pour parler du métier, du rayonnement de la langue, de son enseignement, de sa difficile grammaire et de sa sacro-sainte orthographe. L’espace de quelques jours, l’université de Liège s’est transformée en une tour de Babel, ayant pour langage commun le français. Et non l’anglais…

« Que font nos décideurs politiques pour promouvoir l’enseignement du français dans le monde ? Ils semblent s’être totalement dessaisis de la question », déplore Jean-Pierre Cuq, président de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), présente dans 140 pays. « Les Anglo-Saxons, eux, ont compris qu’il y avait là des enjeux économiques », ajoute le linguiste, professeur à l’université de Nice. Si l’on en croit les projections de l’Unesco, il manquera, d’ici à 2020, 180 000 professeurs de français dans le monde, essentiellement en Afrique.

Quant aux conditions d’exercice du métier, elles sont parfois très problématiques. « Dans beaucoup de pays d’Afrique, il n’est pas rare de voir les enseignants cumuler un autre job, comme taxi. Un salaire de 100 à 150 euros, c’est insuffisant », résume le président de la fédération.

Développer l’apprentissage du français et promouvoir la langue dans le monde comme une alternative à l’uniformisation. Tels sont les objectifs des organisateurs du Congrès, qui veulent aussi en découdre avec les représentations associées au français. Celle d’une langue de culture et non des affaires. Celle aussi d’une langue difficile, réservée à une élite.

Parmi ses résolutions, le Congrès en appelle ainsi à « une nouvelle réforme cohérente et ambitieuse de l’orthographe », après celle de 1990. Pourtant, le français se porte plutôt bien. Et son avenir est prometteur. Cinquième langue du monde par le nombre de locuteurs, troisième langue des affaires après l’anglais et le chinois, c’est aussi la deuxième langue étrangère enseignée dans le monde. Entre 2010 et 2014, le nombre de personnes qui l’étudient a progressé de 6 % en moyenne, selon le rapport 2014 de l’Observatoire de la langue française (OLF). Une progression portée par l’Afrique subsaharienne qui, à elle seule, enregistre une croissance de 44 %. « C’est là-bas que la langue française se déploie le plus rapidement et le plus dynamiquement. Et que tout va se jouer », observe Alexandre Wolff, le responsable de l’OLF. (Caroline Beyer, journaliste au Figaro)

Retour à la Paix de Fexhe

Le changement s’appuie volontiers sur le passé que le présent revisite à sa guise. En 1789, c’est en brandissant la Paix de Fexhe que les Liégeois, allumés par la révolution française, ont bousculé le pouvoir de leur prince-évêque. Ce texte de 1316 était resté dans la mémoire collective comme une charte constitutionnelle légitimant les revendications populaires. En réalité, les enjeux n’étaient plus tout à fait les mêmes en 1789; la bourgeoisie liégeoise allait Fextivitésbientôt mettre fin aux corporations de métier qui avaient bénéficié de la Paix de Fexhe et, après l’intervention de l’armée autrichienne et le retour du prince-évêque, c’est de la France révolutionnaire que le peuple attendit la réalisation de ses aspirations démocratiques.

En 2016, le 700e anniversaire de la Paix de Fexhe est une invitation à mettre à l’honneur nos libertés. La citoyenneté figure au cœur des festivités organisées à cette occasion par la Province de Liège. Pour en savoir plus, consulter le site www.paix-de-fexhe.com.

C’est quoi ce cinéma ?

Les Belges ne sont pas du genre à se prendre au sérieux. C’est du moins ce que certains d’entre eux se plaisent à répéter, pour se donner une identité qui les rendrait supérieurement sympathiques, et bien des Français s’y laissent prendre. Ainsi, Vincent Lindon, mis à l’honneur aux récents Magritte du cinéma, n’a pas hésité à lancer : « Je suis dingue de vous les Belges ». Mais de quels Belges parle-t-on ? La plupart de ceux qui se font Charlie Dupontconnaître en France sont des Wallons. Quand ils se disent belges, attachés à leur « beau royaume », fiers de leur « belgitude », et se moquent lourdement des Wallons qui, de toute façon, ne s’en offusquent pas car eux-mêmes se sentent belges, faut-il y voir un sens aigu de l’autodérision… ou une volonté plus ou moins consciente et désespérée de nier la Wallonie pour mieux s’accrocher à ce qui reste de la Belgique ?

Avec quelles perspectives ?  

Je n’ai pas regardé la cérémonie des Magritte à la télé, l’autre soir, mais il semblerait que cette fête du cinéma belge francophone en ait interpellé plus d’un. Voici en tout cas ce qu’on pouvait lire sur les sites de la Libre Belgique et du Soir, deux journaux bien bruxellois qui sont très loin de vouloir mettre de l’huile sur le feu communautaire. Cela en dit long sur l’esprit qui règne en « Communauté française de Belgique ».

D’abord, le « Monsieur cinéma » de la Libre, Fernand Denis, dont l’article critique (et même très critique) débute ainsi :

« Samedi soir au Square à Bruxelles, la sixième cérémonie des Magritte avait démarré sous le signe de l’aviation avec deux hôtesses de l’air en uniforme vintage et un Charlie Dupont tombant du ciel. Avec sa casquette de commandant de bord vissée sur la tête, celui-ci s’est lancé dans une série de vannes sur les Wallons, elles volaient tellement bas, qu’elles se sont toutes crashées. La soirée ne semblait pas vouloir décoller, elle allait stationner en bout de piste pendant près de trois heures. Un tunnel sans fin et dans le même état que ses collègues bruxellois. »

Pas heureux non plus Jacques De Decker, écrivain, dramaturge, Secrétaire perpétuel à l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Dans le Soir, voici ce qu’il a écrit :

« Je n’étais pas aux Magritte. J’ai seulement lu les comptes rendus de mes anciens confrères dans la presse. Et l’expression de leur malaise. Je reconnais qu’il y a de quoi. Défenseur acharné d’un dialogue fertile entre les deux principales cultures belges, je m’étonne néanmoins que les deux lauréats des trophées réservés aux comédiens soient allés à d’évidents talents flamands. Tout d’abord parce que la réciproque n’est pas pensable : je vois mal, aux Ensors, un comédien francophone l’emporter. On y rendra bien sûr, si on ne l’a pas déjà fait, hommage à Benoît Poelvoorde ou à Cécile de France, parce que ces deux Namurois sont devenus des stars. Mais en dessous de ce niveau, on ne risque pas de s’attarder. Il s’agit d’abord de peaufiner la carrière des talents locaux, et cela n’a rien de déplacé puisque c’est efficace. Un jour, Mathias Schoenaerts aura un Oscar bien mérité. Et on aura tout fait en Flandre pour cela, ce qui ne risque pas de se passer demain en Walbru. (…) »

Ce n’est pas comme ça, en lui tournant le dos, qu’on va redresser la Wallonie. (G.R.)

Ce soir, la Marseillaise

La Marseillaise est un document historique. Elle est née avec la République française. Elle a été chantée par les peuples en quête de liberté, par les travailleurs qui réclamaient plus d’égalité. La France, aujourd’hui, éprouve le besoin de revisiter ses symboles. Ce soir, la Marseillaise est au menu de France 5.

Voici la présentation de l’émission sur le site Telerama.fr :

Sur France 5 : “La Marseillaise”, un hymne qui rassemble et divise

sur-france-5-la-marseillaise-un-hymne-qui-rassemble-et-divise,M291463Au lendemain des attentats du 13 novembre, des millions de personnes entonnaient “La Marseillaise”. Pourtant, ce chant n’a jamais fait l’unanimité.

La France, meurtrie par les attentats de janvier et de novembre 2015, a retrouvé avec passion les couplets écrits par Joseph Rouget de Lisle en 1792. De New York à Melbourne et Tel Aviv, en passant par l’Irak, La Marseillaise a été reprise dans les stades de football, les salles de concert, un camp de réfugiés ou les rues, par des milliers de personnes qui, souvent, n’en connaissaient que l’air. Comment un chant vieux de deux siècles peut-il rassembler au-delà des frontières et des langues ? « La Marseillaise est un hymne très puissant. Elle porte l’image de la France. Sa musique est formidable, entraînante. C’est devenu un chant global pour dire non, un moyen de clamer que l’on ne sera pas défait », explique Peter McPhee, historien de la Révolution française à l’université de Melbourne. « Ce chant révolutionnaire a retrouvé sa fonction de rassembleur », confirme Mathieu Schwartz, auteur de La Marseillaise, l’éternel chant de bataille, un documentaire instructif et bienvenu.

Cet hymne que « l’on ressort de derrière les fagots », selon une formule « cynique » du général Bugeaud, a pourtant mis du temps à s’imposer. Ecrit pour encourager les combattants de l’armée du Rhin face aux monarchies européennes qui attaquent la République naissante, La Marseillaise est ensuite bannie par les régimes autoritaires. Napoléon lui préfère Veillons au salut de l’Empire. La Restauration et la monarchie de Juillet la jugent subversive mais pas le peuple qui l’entonne, sur les barricades, lors des révolutions de 1830 et de 1848. Napoléon III l’écarte au profit de Partant pour la Syrie, et c’est finalement la IIIe République qui lui redonne son statut d’hymne national.

Elle l’a conservé depuis avec plus ou moins d’éclat, selon les époques. Au début du XXe siècle, son aura révolutionnaire pâlit auprès de la classe ouvrière, qui préfère L’Internationale à ce chant adoubé par les institutions. Le Front populaire la réhabilite mais, quelques années après, elle fait les frais de l’occupation allemande. Pétain s’en méfie et l’ampute de son premier couplet, au ton trop insurrectionnel, tandis qu’elle devient un symbole pour les résistants qui l’adoptent en même temps que Le Chant des partisans. Sous la IVe et la Ve République, La Marseillaise est négligée par les mouvements internationalistes et pacifistes, mais sert de ralliement à une droite nationale qui en offre une vision étriquée et excluante, antinomique du souffle originel des républicains de 1792.

Plus près de nous, les Français issus de l’immigration maghrébine ont parfois eu du mal à entonner un chant longtemps synonyme des violences du colonialisme. « Nous ne pouvions le faire sans trahir nos parents, leur douleur de la guerre d’Algérie qu’ils nous ont inoculée », raconte Magyd Cherfi, du groupe Zebda. Les attaques perpétrées cet automne à Paris en changent la perception. « Il y a des jours où on aime la France, où on a envie de chanter La Marseillaise, envie d’être tricolore comme un supporter insupportable », écrit-il dans une tribune parue dans Libération au lendemain du 13 novembre. Pour autant, l’image d’une France ouverte et généreuse incarnée dans la 5e strophe de Rouget de Lisle par « des guerriers magnanimes » prêts à accueillir ceux qui ne sont pas libérés de l’oppresseur, peut-elle résister à la dureté des temps et au flot d’immigrés qui fuient les zones de conflit ? « Elle est un miroir tendu qui provoque un malaise car nous sommes conscients du décalage entre les idéaux révolutionnaires et la réalité », estime l’historien Guillaume Mazeau.

Au terme de son enquête, Mathieu Schwartz offre, lui, d’assumer ce texte dans toute sa complexité et d’accepter son universalité, son caractère belliciste et ses mots écrits dans la tourmente d’une république menacée, qui, de tout temps, ont choqué. De Lamartine à Lambert Wilson en passant par l’abbé Pierre, nombreux sont ceux qui ont voulu en changer les strophes. Le « sang impur » évoqué dans le refrain étant ce qui fait actuellement le plus ­débat. Des mots que l’on assimile à « la race » mais qui renvoyaient, à l’origine, au sang des aristocrates, ennemis de la république. La notion de race n’existait pas comme on l’entend actuellement, rappelle le sociologue Edgar Morin. Aujourd’hui, on peut aimer La Marseillaise sans être un nationaliste ­farouche, on peut aussi la refuser sans être un mauvais citoyen. « Questionner les symboles, les garder vivants fait de nous une communauté de choix et pas d’identité », plaide Guillaume Mazeau. Le danger serait de la sacraliser pour se complaire dans l’illusion d’une république acceptée par tous. Une tendance que porte en germe la création en 2003 d’un délit d’outrage aux emblèmes. « Un nouveau blasphème ? » ironise l’historien Jean-Noël Jeanneney.

L’élan de solidarité qui a suivi les attentats de novembre et a vu des millions de Français entonner à l’unisson La Marseillaise peut-il durablement se prolonger ? Rien de moins sûr. Il ne pourrait être qu’« une écume mensongère », craint Magyd Cherfi. A l’image de cette France black, blanc, beur tant saluée en 1998 et qui se dessinait sur la joue le drapeau tricolore. A moins que les Français ne répondent cette fois vraiment à l’appel de l’hymne qu’ils entonnent et qui les enjoint de s’engager pour défendre une république ­attaquée. Comme citoyen, suggère Guillaume Mazeau, et non plus militairement, tels les soldats de Valmy.

Le drapeau tricolore est-il de droite ou de gauche ?

Né sous la Révolution, adopté par Napoléon, il n’a cessé d’être récupéré par la droite ou la gauche. Histoire d’un symbole très français.
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Publié le 27/11/2015 à 06:15 – Modifié le 27/11/2015 à 10:24 | Le Point.fr
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Image d’illustration. © Laurent HAZGUI

Comment la Belgique a manipulé le passé pour se créer une Histoire

Un article du Vif/L’Express

Fragile à la naissance, la Belgique de 1830 se persuade d’avoir toujours été inscrite dans les astres. Avec la Flandre médiévale pour foyer et le passé wallon relégué dans l’ombre. Plier les faits historiques à la volonté patriotique exige de maquiller et de manipuler le passé. Retour sur une histoire bien belge

Comment la Belgique a manipulé le passé pour se créer une Histoire

On pouvait rêver mieux comme démarrage dans la vie. A peine engendrée par une révolution en 1830, la Belgique doit convaincre que sa place dans le concert des nations n’est pas usurpée. Comment être prise au sérieux et faire taire les sceptiques, si ce n’est en se donnant une raison d’être, ancrée dans la nuit des temps ? Etoffer le CV s’impose pour réfuter l’odieux soupçon qui plane dans nombre de capitales d’Europe : la Belgique ne serait qu’un Etat artificiel, sans racines.

Calomnie ! « Non, la Belgique n’est pas un accident de l’Histoire. Voilà la mission que les élites dirigeantes et académiques du jeune Etat qui accède à l’indépendance assignent aux historiens pendant près d’un siècle », relève Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique. Le pouvoir bat le rappel des spécialistes du passé, souvent autodidactes. On les charge de démontrer coûte que coûte que cette Belgique de 1830 n’est pas surgie de nulle part, qu’il y a bien « une permanence belge » à travers les siècles. Et que les Belges, sous tous les régimes, n’ont jamais cessé de l’être.

Ce travail acharné de persuasion se prolongera jusque dans les années 1950, à travers une éloquente collection de chromos voués à « nos Gloires », qui sort aujourd’hui de l’oubli. Les historiens en service commandé s’appliquent avec zèle et avec la bénédiction d’une Eglise catholique prête à soutenir corps et âme toute entreprise de (contre-)vérité historique, pourvu qu’elle préserve la Belgique naissante d’une France républicaine et laïque autant que du protestantisme batave. La croisade ne s’annonce pas très orthodoxe. Il va falloir plier les faits historiques à la volonté patriotique, manipuler ou maquiller certains pans du passé. Nécessité fait loi.

De quel bois l’ancien Belge était-il donc fait ? C’est l’air du temps qui en décide. Au XIXe siècle, l’humeur ambiante est franchement gallophobe et hostile à la France. Puisqu’il veut prouver qu’il ne doit rien à cet encombrant voisin, le Belge sera décrété d’origine… germanique. On exhibe des documents prétendument irrécusables pour soutenir que Wallons et Flamands sont bien frères par le sang. Un érudit peut ainsi affirmer sans rire, en 1878, que « la Belgique, sortie toute entière de la Germanie depuis dix siècles, peut dire avec orgueil qu’un sang pur coule dans les veines de ses enfants ». Paré de telles racines, le Belge se retrouve immunisé contre toute assimilation forcée qu’entreprendrait une France menaçante.

Mais la ficelle est un peu grosse et la piste finit pas se dégonfler. La question linguistique, qui pointe le bout du nez, met à mal le dogme de l’unité foncière de la « race » belge. Le cap du XXe siècle est délicat à aborder pour l’Etat belge. Contestation sociale et tensions internationales croissantes : le fond de l’air est frais. Désemparées par la tournure des événements, les élites politiques francophones appellent à nouveau l’Histoire et ses érudits à la rescousse de la patrie jugée en danger.

Changement de registre. Place à la théorie de deux peuples distincts : les Wallons, raccrochés à un rameau celtique, voisinent désormais avec les Flamands, maintenus au rameau germanique. Pas de panique : ce mélange harmonieux de germanité et de romanité tient admirablement la route. Un vrai miracle, qu’un brillant juriste nommé Edmond Picard croit pouvoir attribuer, à l’extrême fin du XIXe siècle, à une « âme » authentiquement belge, imperméable à l’usure du temps.

Picard, qui est aussi parlementaire libéral puis socialiste, est ainsi en mesure d’attester que cette âme indestructible a au moins fait merveille sur deux champs de bataille. A Worringen en 1288, où les Brabançons l’emportent sur une coalition de princes d’Entre-Meuse-et-Rhin et refusent ainsi de se laisser assimiler par l’Allemagne. Puis en 1302 à Courtrai, où les communiers flamands prennent le dessus sur la chevalerie française de Philippe le Bel et empêchent la Flandre d’être livrée à la France. Français et Germains sont ainsi renvoyés dos à dos : CQFD.

L’essentiel est sauf, commente Hervé Hasquin : « Il faut démontrer, à toutes les époques de leur histoire, l’indifférence des habitants qui ont occupé le territoire belge à l’égard des considérations linguistiques. » Que Flamands et Wallons s’expriment dans des idiomes différents ne change rien à cette certitude : l’âme belge existe, à nulle autre pareille, elle est reconnaissable entre toutes par le goût de la mesure et du travail, l’individualisme, l’esprit d’association et l’amour de la vie confortable…

Un passé aussi glorieux a besoin de visages, de héros en qui s’incarner. On en exhume à profusion, leur lieu de naissance fait office de passeport. Ambiorix, Clovis, Godefroid de Bouillon, Pierre l’Ermite, une foule d’autres régionaux de l’étape, sont « naturalisés » belges, enrôlés sans discussion sous la bannière noir-jaune-rouge. Sans doute, avec le recul, tant d’audace paraît manquer de sérieux. Mais c’est l’époque qui veut ça, tempère Hervé Hasquin : « Beaucoup considèrent encore l’Histoire comme un genre littéraire. » Il autorise quelques divagations, pour peu qu’elles soient joliment formulées.

Il ne manque aux thèses de Picard qu’un habillage scientifique. Henri Pirenne sera ce chaînon manquant décisif, l’historien brillant qui va donner ses lettres de noblesse à cette « âme belge ». Ce Verviétois qui professe à l’Université de Gand frappe un grand coup : sa monumentale Histoire de Belgique, en sept volumes publiés entre 1900 et 1932, le transforme en un phénomène durable de librairie. Elle en fait « le père fondateur du sentiment national belge », attendu comme le Messie par les ardents défenseurs de la patrie.

L’œuvre de Pirenne, d’une érudition sans faille, révolutionne les codes de la recherche historique. Elle coule dans le marbre cette vérité historique : « La Belgique est une nécessité de l’Histoire, non un accident. » Oui, affirme l’historien, il existe bel et bien « une civilisation belge », « des territoires belges », « un peuple belge ».

Et ce « miracle » belge a eu pour épicentre la Flandre médiévale, identifiée comme le moteur de l’unification de la Belgique. Cette Flandre urbanisée qui brillait au Moyen Age par son commerce, sa prospérité, la vitalité et l’indépendance de ses villes, partage bien des traits communs avec la Belgique industrielle du XIXe siècle qui joue dans la cour des plus grands. Il s’en est fallu de peu pour que cette magnifique réussite ne se brise en 1302, à la bataille des Eperons d’Or : en cas de victoire française à Courtrai, pas de Belgique possible dans l’avenir. Les prolétaires flamands ont bien mérité de la patrie…

Tout s’emboîte, tout s’enchaîne, tout s’éclaire, sous la plume brillante de Pirenne. La part de hasard et d’accidentel dans le déroulement des faits s’efface. « Ce devait être ainsi », et pas autrement, résume Hervé Hasquin : « Voilà l’histoire « officielle », politiquement correcte, celle qui cadenasse le discours historique dans les manuels d’histoire, imprègne l’enseignement universitaire francophone et la formation des enseignants (voir page 52).«  Mais elle a l’immense mérite de rassurer : « Belges, ayez confiance, ne craignez rien, vous n’êtes pas surgis de nulle part. »

Pirenne superstar, intouchable, domine de la tête et des épaules la science historique des quinze années qui précèdent la Première Guerre mondiale. Son Histoire de Belgique se doit de trôner dans la bibliothèque de toute famille bourgeoise qui se respecte, elle devient la Bible des unitaristes et des milieux gouvernementaux francophones de plus en plus aux abois. La Cour, sous le règne d’Albert Ier, tombe immanquablement sous le charme de ce qui devient la dynastie Pirenne. Car Jacques marche sur les traces de son illustre père, il devient le précepteur du futur Léopold III et en sera l’influent secrétaire particulier.

La Grande Guerre n’interrompt nullement le fil de cette belle histoire. L’historien gantois exulte même, au sortir de l’épreuve de 14-18 : l’héroïque sursaut de la pauvre petite Belgique, qui a fait front face à l’agresseur allemand, ne lui donne-t-il pas raison ? Seule une nationalité belge forgée au cours des siècles a pu nourrir un tel sens du sacrifice et soutenir une résistance aussi extraordinaire.

C’est en toute bonne foi que Pirenne met au service de la patrie sa « construction historique », expression qu’il revendique sans fard. Et c’est avec véhémence qu’il écrase toute concurrence qui s’aviserait de soutenir l’hérésie d’un Etat belge artificiel ou de s’appesantir sur les tensions et rivalités linguistiques ou régionales. Remettre en cause les théories du maître est historiquement incorrect, car suspecté de porter atteinte à l’unité du pays.

Or, la révolte gronde. Les militants wallons se sentent les grands floués dans toute cette histoire qui réserve le beau rôle à la Flandre et relègue dans l’ombre le riche passé des principautés wallonnes, ils s’insurgent contre ce récit qui leur impose l’assimilation du « génie belge » au « génie flamand » jusque dans les arts. On préfère honorer le peintre tournaisien du XVe siècle Rogier de La Pasture sous son nom néerlandais de Rogier van der Weyden ? Trop is te veel. « Nous ignorons tout de notre passé wallon », se désole le député socialiste Jules Destrée dans sa célèbre Lettre qu’il adresse au roi Albert Ier en 1912.

Les Liégeois sont les plus remontés. Le retour en grâce des ducs de Bourgogne sous la plume de Pirenne les offusque : comment oser porter aux nues la politique unificatrice de ces princes bourguignons qui se sont rendus coupables, sous Charles le Téméraire, des terribles sacs de Liège et de Dinant en 1468 ?

C’est pourtant la Flandre qui, la première, largue Pirenne. Ingrat foyer de la civilisation belge, qui n’attend pas la disparition du grand historien, le 25 octobre 1935, pour commencer à lui tourner le dos. Pirenne suit ainsi de peu dans la tombe Albert Ier, le Roi-Chevalier, disparu en 1934. « Deux symboles puissants d’une Belgique idéalisée et fantasmée, par les francophones à coup sûr, s’effaçaient du paysage », observe Hervé Hasquin.

Sans états d’âme, la Flandre tire un trait sur ce lourd héritage pour se trouver d’autres racines. La première Geschiedenis van Vlaanderen, limitée au territoire flamand, voit le jour un an après la mort de Pirenne, dont l’Histoire de Belgique, enfin traduite en néerlandais au milieu des années 1950, devient vite invendable. Le « pirennisme » résistera mieux et plus longtemps chez les historiens francophones, dominés par la crainte que l’histoire ne dérape dans une version antibelge. Quatre-vingts ans après sa disparition, si Pirenne revenait sur terre…

Déconstruire la Belgique ? Pour lui assurer un avenir ?, par Hervé Hasquin, Académie royale de Belgique, 2014.

Vers une identité commune de service public francophone

Lu sur le site de La Libre Belgique le 01/11/2015 :

Une plateforme vidéo francophone de service public pourrait voir le jour

télévisions francophonesLes dirigeants de France Télévisions, de Radio France, de la Radio-Télévision suisse (RTS), de la RTBF, de CBS (Canada) TV5 Monde et TV5 Québec-Canada créent une nouvelle communauté professionnelle : les Médias francophones publics (MFP). France Médias Monde (FR24 et RFI) pourrait bientôt les rejoindre. Cette nouvelle institution naîtra officiellement le 1er janvier 2016, de la fusion des Radios francophones publiques (RFP) et de la Communauté des Télévisions Francophones (CTF).

« Il y a eu une volonté conjointe, dans un souci de convergence des médias, de fusionner toutes les activités dans une seule et même organisation qui traiterait aussi bien de télé que de radio, que de web, indique le futur secrétaire général, le Belge Eric Poivre. Dans un contexte de concurrence accrue, de mondialisation des contenus, de diffusion des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) – et de Netflix – nous avons voulu renforcer les collaborations en termes de coproduction et affirmer une identité commune de service public francophone dans un monde de plus en plus anglophone. »

Un rappel bien en phase avec l’actualité

L’Alliance atlantique à la recherche de nouvelles missions

OTAN

Un article du Monde diplomatique en avril 2008 :

Ce que voulait de Gaulle en 1966

En quittant le commandement militaire intégré de l’OTAN, le général de Gaulle cherchait moins à réformer l’Alliance qu’à redéployer la politique étrangère de la France en toute indépendance.

« La France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe, en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces ne justifient plus, pour ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’Alliance. » C’est ainsi que, le 7 mars 1966, Charles de Gaulle – réélu trois mois plus tôt président de la République, mais au suffrage universel direct, par 55 % des voix contre 45 % à François Mitterrand – annonce au président américain Lyndon Baines Johnson le retrait de Paris du commandement militaire intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN, créée en 1949).

Concrètement, la France, précise le général, « se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN ». Certes, elle « est disposée à s’entendre avec [ses alliés] quant aux facilités militaires à s’accorder mutuellement dans le cas d’un conflit où elle s’engagerait à leurs côtés ». Bref, elle « croit devoir, pour son compte, modifier la forme de [l’]alliance sans en altérer le fond ».

Un an plus tard, c’est chose faite : le 14 mars 1967, le général américain Lyman Lemnitzer, commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) et des forces américaines en Europe, préside, à Saint-Germain-en-Laye, la cérémonie de départ. La bannière étoilée, descendue et soigneusement pliée, sera hissée au nouveau siège de Casteau, près de Mons (Belgique). Au total, les Etats-Unis ont dû évacuer vingt-sept mille soldats, trente-sept mille employés et trente bases aériennes, terrestres et navales. Enfin, le 22 août, les généraux Lemnitzer et Charles Ailleret, chef d’état-major de l’armée française, signent un protocole prévoyant le maintien des forces françaises en Allemagne sous le contrôle opérationnel de l’OTAN pour une mission et un temps donnés, en cas d’agression extérieure…

Pour les observateurs, cette décision n’aurait pas dû constituer une surprise : dès le 17 septembre 1958, moins de trois mois après son retour au pouvoir, de Gaulle avait envoyé – en vain – à l’Américain Dwight David Einsenhower et au Britannique Harold Macmillan un mémorandum exigeant une « direction tripartite » de l’Alliance. Et, depuis, il avait multiplié les prises de distance. Sa lettre à Johnson semble pourtant cueillir à froid la presse parisienne.

De droite, mais antigaulliste, L’Aurore réagit le premier, dès le 8 mars :« On ne se paiera pas de mots, écrit André Guérin. La présence américaine pendant des années a été pour nous comme pour nos voisins la garantie, la seule, de nos libertés nationales. Le général semble estimer aujourd’hui qu’il n’y a plus de danger d’absorption communiste ? Non, poursuit l’éditorialiste, il entend aujourd’hui que les Américains s’en aillent. Supposons quand même qu’on n’oubliera pas de les remercier. » Le 11, le journal accuse de Gaulle, « au moment précis où les Etats-Unis sont engagés tout entiers dans la guerre du Vietnam, bastion avancé du monde libre en Asie », de leur donner un« coup de poignard dans le dos ».

Philogaulliste, Le Figaro attend le 11 mars pour réagir. André François-Poncet redoute non seulement la résurgence du « péril russe »(« Demain, un Staline peut renaître », écrit-il), mais « d’autres dangers » : « Mao Tsé Toung est un autre Hitler. A sa place peut surgir un Gengis Khan, un Tamerlan, un Mahomet qui, muni d’armes atomiques, entraînera les populations affamées d’Asie et d’Afrique à l’assaut des peuples nantis et prospères, à l’assaut des Blancs et de leur civilisation. »

De cette philosophie du « choc des civilisations » avant la lettre, Combatprend l’exact contre-pied, le 12 mars. « Que l’Alliance atlantique se perpétue dans l’hypothèse, de moins en moins vraisemblable, d’une agression soviétique, soit. Mais qu’elle entraîne la France dans toutes les aventures où pourront s’engager les USA, c’est ce que refuse le général de Gaulle. Car, grisés par leur puissance militaire et suivant un chemin habituel, les Etats-Unis entendent faire régner partout leurs conceptions. » Evoquant le risque d’une guerre avec la Chine, l’auteur de l’article, Jean Fabiani, s’interroge : « Au nom de quelle obligation la France serait-elle tenue de se lancer dans cette aventure ? »

Dès le 8 mars, L’Humanité avait souligné la singularité des communistes (qui représentaient encore un électeur sur cinq) : « Bien entendu, écrivait Yves Moreau, notre opposition au pacte atlantique a un caractère fondamentalement différent de celle du pouvoir gaulliste. Dès sa création, nous avons pour notre part dénoncé le bloc atlantique comme une nouvelle Sainte Alliance réactionnaire. » L’éditorialiste ajoutait néanmoins : « Quelles que soient les raisons qui ont inspiré la démarche du général de Gaulle auprès du président Johnson, nous l’approuvons puisqu’elle va dans le sens du désengagement et de la coexistence pacifique. »

Quatre décennies plus tard, comment ne pas être frappé par l’étonnante actualité de ces débats, mais aussi par la cohérence, sur la longue durée, de la pensée stratégique du général de Gaulle ? Il n’est évidemment pas antiaméricain : à preuve, sa solidarité sans faille avec le grand allié, dans les crises de Berlin (1961) comme de Cuba (1962). Ce qui le motive, c’est la défense de la souveraineté de la France, et donc de son autonomie de décision, contre quiconque la remet en cause, fût-il américain.

Chef de la France libre, il a mis en échec les tentatives anglo-saxonnes visant à réduire la France, après-guerre, à un statut de protectorat (1). Chef du gouvernement provisoire de la République française, il a signé à Moscou, le 10 décembre 1944, un « traité d’alliance et d’assistance mutuelle », qu’il qualifie de « belle et bonne alliance ». Il faut mener, expliquera-t-il « une politique française d’équilibre entre deux très grandes puissances, politique que je crois absolument nécessaire pour l’intérêt du pays et même celui de la paix (2) ». Son départ du gouvernement, début 1946, puis l’entrée dans la guerre froide ramènent la France dans le giron atlantique, notamment via l’OTAN à partir de 1949.

Revenu au pouvoir en 1958, de Gaulle reprend sa quête de souveraineté, fort d’un contexte en pleine mutation. Les rapports de forces Est-Ouest évoluent en raison – notamment – du renforcement de l’URSS, y compris sur le plan militaire : Moscou, qui a fait exploser une bombe A en 1949 et une bombe H en 1953, peut désormais – à preuve, le vol de son satellite Spoutnik en 1957 – atteindre le territoire des Etats-Unis. Ceux-ci substituent alors à leur stratégie de « représailles massives » une « riposte graduée » (flexible response), fondée sur l’utilisation d’armes nucléaires sur le champ de bataille.

Ce tournant aggrave une crainte : exposés aux missiles soviétiques, les Américains feront-ils la guerre à l’URSS… jusqu’au dernier Européen ? La prise de conscience des limites de la garantie nucléaire américaine devrait, estime de Gaulle, inciter les voisins de la France à souhaiter un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’Alliance. D’autant que, selon Washington, « la solidarité occidentale, pierre angulaire de l’Alliance, ne doit pas être “limitée aux problèmes de la zone nord-atlantique” mais “couvrir l’ensemble des problèmes Est-Ouest où que ce soit” (3»– y compris en Asie. La reconstruction des économies du Vieux Continent et la création de la Communauté économique européenne – à six pays à l’époque (4) – au printemps 1957 créent théoriquement de meilleures conditions pour l’affirmation de l’autonomie par rapport aux Etats-Unis.

De Gaulle espère-t-il remporter cette bataille ? Tout, dans ses interventions, témoigne qu’il ne sous-estime ni la détermination de Washington à sauvegarder son hégémonie ni la difficulté qu’ont les capitales européennes à s’en affranchir. La France a sur ses voisins un avantage décisif : elle a fait exploser en 1963, dans le désert du Sahara, sa première bombe atomique, et possède ainsi de quoi se défendre – le Royaume-Uni aussi, mais il est viscéralement lié à Washington. Pour le reste, le général se sait isolé : à défaut de réformer l’Alliance atlantique, il se contentera d’échapper à une intégration qui corsetait sa politique extérieure.

Rien d’étonnant si, dans l’histoire de cette dernière, le retrait de l’OTAN apparaît comme le pivot d’une série de gestes spectaculaires :

– le 27 janvier 1964, Paris avait été la première capitale occidentale à établir des relations diplomatiques avec la Chine populaire ;

– le 30 juin 1966, de Gaulle est à Moscou, où, dans un discours radiotélévisé, il appelle Soviétiques et Français à se « donner la main »pour « faire en sorte que notre ancien continent, uni et non plus divisé, reprenne le rôle capital qui lui revient, pour l’équilibre, le progrès et la paix de l’univers » ;

– le 1er septembre 1966, à Phnom Penh, il prend acte que la guerre au Vietnam « n’aura pas de solution militaire » et appelle les Etats-Unis à« renoncer, à leur tour, à une expédition lointaine dès lors qu’elle apparaît sans bénéfice et sans justification et [à] lui préférer un arrangement international organisant la paix et le développement d’une importante région du monde » ;

– le 24 juillet 1967, de Gaulle conclut une allocution improvisée à Montréal, à proximité des Etats-Unis, par cette formule-choc : « Vive le Québec libre ! » ;

– le 27 novembre 1967, il déclarera qu’Israël, après la guerre de juin, qu’il a condamnée, « organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions ; et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme »

L’échappée belle n’aura qu’un temps. Après la démission, puis la disparition du général, ses successeurs – de Georges Pompidou à François Mitterrand – referont progressivement le chemin à l’envers. Et, comme pour préparer le trentième anniversaire de la lettre à Johnson, la France réintègrera, le 5 décembre 1995, le conseil des ministres et le comité militaire de l’OTAN (5). Héritier déclaré du général de Gaulle, le président Jacques Chirac ouvrira ainsi la porte à une réintégration de la France dans l’OTAN, que Nicolas Sarkozy parachèvera.

Dominique Vidal (Monde diplomatique)

Journaliste et historien, coauteur avec Alain Gresh de l’ouvrage Les 100 Clés du Proche-Orient, Fayard, Paris, 2011.

Les galets de ma rivière

Autrefois, quand il n’y avait pas les écrans, ni les autos, la mémoire de la famille était transmise au coin du feu pendant les longues soirées d’hiver. Les anciens racontaient leur vie qui, à cette époque, était un peu la même que celle de leurs petits-enfants. Le retour des saisons rythmait cette existence attachée à la terre.

Tout a bien changé. Pour jouer ce rôle aujourd’hui, on laisse habituellement des photos. Plus rarement, on écrit un livre, afin de rendre un peu de profondeur au temps, un peu de présence aux disparus, pour reconstruire une famille, pour que la génération nouvelle se sente accompagnée sur le chemin de la vie.

Les galets de ma rivièrePlus simplement, on écrit pour laisser un témoignage. De soi. De ses racines. De son univers. De son expérience de la vie.

Notre ami Georges-Henry Simonis s’inscrit dans cette veine en publiant Les galets de ma rivière, Naître à Charleroi. Ses souvenirs sont comme des photos jaunies par le temps et la nostalgie. Une enfance heureuse, plutôt bourgeoise, une vie déjà bien remplie, une ville de Charleroi qui garde avec elle la mémoire du passé. (G.R.)

Georges-Henry Simonis nous envoie le courrier suivant :

Suite au compte rendu fait sur son site, je remercie l’AWF d’avoir fait écho à mon livre  «  Les galets de ma rivière » en le présentant comme une sorte d’histoire de ma vie,  ce que j’ai précisément tenté d’éviter.

Certes, j’y fais écho : quand on s’exprime  ou qu’on s’expose, il est difficile de faire abstraction de ses origines ou des événements qui ont contribué à façonner ce que nous sommes devenus. Par contre, j’ai essayé d’exprimer où j’en étais, dans mes modestes  réflexions, par rapport à des problèmes contemporains plus essentiels, et certainement plus importants que ma modeste personne. Ainsi, la nouvelle conception du couple et de la famille, la difficulté de nos amours, le monde de l’enseignement, l’abomination des prisons, la disparition du  sens du sacré, l’absence de rites et de repères sociaux, les raisons de mon  choix de la France…

C’est  sur ces questions que je voulais faire le point, plutôt que sur moi-même. En suscitant  débats et controverses, ce qui est plus utile encore.

Des lecteurs me disent que c’est plutôt bien écrit et pas ennuyeux !

Ce qui me conduit à vous inviter à lire « mes galets » et à vous dire  que le livre est en vente au prix de 18€ à Charleroi (Librairie  Molière), à Namur (Point Virgule et Papyrus), à  Liège (Pax et Livre au Trésor), et à Bruxelles (Filigranes et Tropismes).

L’apprentissage du latin : utile ou inutile ?

Notre ami Pierre Hazette n’a pas seulement été Ministre de l’Enseignement secondaire, des arts et des lettres. Agrégé en lettres classiques, il a enseigné les langues anciennes avant d’être entraîné dans la vie politique. Il a gardé la passion du grec et du latin. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’il attire notre attention sur un article qui revalorise l’enseignement du latin.

Lu sur le site du Vif/L’Express le 02/09/15

Thomas SmoldersUne opinion de Thomas Smolders

Thomas Smolders a étudié les Nouveaux médias à Gand et travaille pour le bureau créatif DIFT.

La question est posée dans toutes les réunions de famille. « Et toi, qu’est-ce que tu vas étudier en secondaire ? » Certains déclarent fièrement qu’ils vont étudier l’économie, la coiffure ou… le latin. Très souvent, il y a un oncle qui secoue la tête d’un air apitoyé. « Ils feraient mieux d’abolir le latin et de le remplacer par une branche utile. Programmer par exemple. Pourquoi étudier une langue que plus personne ne parle ? »

Un raisonnement classique basé sur une prémisse erronée : on ne peut pas considérer le cours de latin comme l’apprentissage d’une langue. Non, après six ans, on ne sait pas comment acheter un pain. Et non, on n’apprend pas non plus à bavarder avec son voisin en latin.

« J’ai étudié le latin pendant six ans. J’ai gâché mon temps à apprendre une langue morte comme certains le prétendent. Et il m’a fallu encore cinq ans pour réfléchir à l’utilité de ce cours. »

« L’étude du latin facilite l’apprentissage d’autres langues romanes » déclarent souvent les latinistes. « Apprenez cette langue directement au lieu de passer six ans de votre vie à faire du latin », leur répond-on.

Le latin enseigne la pensée abstraite : on vérifie l’exactitude de chaque syntagme sans perdre l’ensemble de vue. On apprend à interpréter et analyser des textes très anciens, écrits dans un contexte totalement différent.

J’ai appris à débattre aux cours de latin. Pratiquement toute la sixième année a été consacrée à l’ars rhetorica, l’art de la rhétorique. Les discours de Cicéron et ses collègues sont pleins de techniques toujours applicables pour qui doit convaincre son patron, ses opposants politiques ou ses militants.

Les cours de latin sont surtout une ode à la créativité et à la fantaisie

Mais les cours de latin sont surtout une ode à la créativité et à la fantaisie. Pensez aux histoires de chefs d’armée qui traversent les Alpes avec leurs éléphants, aux mythes absurdes d’hommes qui plantaient des dents à venin avant de combattre des soldats zombies sortis de terre. Comparée aux livres de Virgile et de ses compagnons, la série Game of Thrones semble aussi ennuyeuse que la dernière édition du Moniteur. Les cours de latin, c’est échapper un moment au monde des chiffres, des réactions chimiques et des formules pour se voir injecter une dose massive de fantaisie et d’histoires héroïques.

Les critiques à l’égard du latin dévoilent surtout une autre pierre d’achoppement. Est-ce que tout doit avoir une utilité (économique) ? Peu d’entre nous supportent que cette question reste sans réponse.

Six années fantastiques

Entre les nombreuses heures de mathématiques, de physique et de chimie, ces cinq heures de latin m’ont permis d’entraîner mon autre hémisphère cérébral. Je n’aurais pas été la même personne si je n’avais fantasmé pendant des heures sur Hector au casque étincelant et un empereur qui aurait mis le feu à sa propre ville. Les mots qui semblent tout sortis d’Harry Potter et qui, prononcés selon les règles de l’hexamètre dactylique, se transforment en formules magiques. Sans parler de l’analyse de l’habilité tactique de Jules César et de l’intelligence rhétorique de Cicéron.

Les milliers de garçons et de filles « condamnés à perdre » de nombreuses années à étudier une langue morte vont surtout au-devant de six années fantastiques.

La Wallonie avec la France en Europe et dans le monde