Le point sur les I

La stratégie des « 3 I + 2 » : une approche adaptée pour le mouvement réunioniste.

Par Cédric CHOPIN, Lille

Avant toute chose, il convient de poser un diagnostic implacable, hors duquel toute parole réunioniste est vouée à s’évaporer : la situation française actuelle constitue un repoussoir bien davantage qu’une espérance.

En vrac, je rappelle brièvement quelques éléments de contexte : déprime collective, poussées identitaires, centralisation et personnalisation extrême du pouvoir, emprise de l’espace médiatique national, atrophie de la société civile, mouvements sociaux marqués par des violences etc.

Je ne peux, hélas, que renvoyer à mon texte écrit le 14 juillet 2021, et publié sur le présent site en septembre de la même année : l’« ambiance générale » reste la même… (https://alliancewalloniefrance.blog/2021/09/01/reflexions-sur-letat-de-la-france/)

Triste constat, émanant du citoyen français que je suis, mais point de départ nécessaire pour une réflexion stratégique adaptée.

La Belgique, certes, n’est pas épargnée par ce malaise civilisationnel, mais l’organisation fédérale de l’État, le meilleur dynamisme de la société civile, l’identité locale mieux préservée, la force des corps intermédiaires (notamment syndicaux)… permet d’en diluer la violence.

Dès lors, comme dirait l’autre… que faire ?

La « mission » du mouvement réunioniste doit s’inscrire dans le cadre de ses moyens limités, ce qui heureusement permet tout de même d’agir concrètement.

Je n’évoquerai pas ici les actions à mener à l’intérieur de la Belgique.

De par sa nature, le réunionisme est principalement tourné vers la France, et doit affronter des obstacles qui se dressent face à lui.

Notamment les « 3 I », ainsi que la confusion entre deux autres « I ».

I comme ignorance.

Ne nous méprenons pas, la Belgique est pour la France une terra incognita… Bien sûr, il y a toujours des exceptions confirmant la règle : pour les régions frontalières, la Belgique – principalement francophone – fait partie de leur environnement. Les échanges anciens et permanents ont heureusement permis de créer une « culture de la frontière ».

Et puis il y a Bruxelles, la mieux connue des villes belges, et pas seulement grâce aux Français qui ont pu s’y installer pour des raisons fiscales.

Mais… c’est à peu près tout.

La visibilité des artistes belges, nombreux à faire en France une brillante carrière, ne doit pas faire illusion : ceci ne préjuge en rien d’une connaissance plus approfondie du pays qui les a vu naître. Au contraire ! Ces artistes pratiquant la langue de Molière, leur présence renforce l’idée reçue selon laquelle la Belgique est majoritairement francophone ! Car cette idée est toujours fortement ancrée dans l’inconscient collectif des Français (les régions frontalières faisant toujours exception).

Oui, je l’affirme, nous en sommes encore là !

Dès lors, les crises politiques touchant la Belgique apparaissent évidemment incompréhensibles…

Dans la mesure où ces crises sont connues… La vie politique, sociale et culturelle des autres pays frontaliers : Allemagne, Italie, Espagne (ou « équivalent » : Grande-Bretagne), est assez bien relayée par les médias français. La Belgique, en comparaison, ressemble à un trou noir d’où ne sort aucune information interne. La « petite taille » du pays (à relativiser : 11,6 millions d’habitants, ce n’est pas négligeable…) ne permet pas d’expliquer le phénomène.

Il y a bel et bien un problème de représentation, dont les racines historiques doivent être profondes, et dont l’origine est à rechercher des deux côtés de la frontière : si la France est globalement ignorante pour des raisons qui lui sont propres, la Belgique ne fait rien pour se faire connaître des Français (lesquels, de toute façon, « ne comprendraient rien »…).

I comme incrédulité.

En conséquence, quand bien même quelques Français se pencheraient sur la « question belge », qu’ils se heurteraient au discours officiel des différentes autorités… francophones cela va de soi… les questions seraient noyées dans des paroles lénifiantes sur le « modèle belge » de coexistence entre communautés, référence pour la construction européenne…

Des auteurs, des journalistes, des intellectuels… ressortiraient l’argument du « les gens sont unis, ce sont les politiques qui les divisent », sans jamais évoquer les « cercles » flamands (nationalistes, faut-il le rappeler) qui structurent la société civile du « nord du pays ».

Je résume et simplifie les choses : si l’on voulait développer, il faudrait plusieurs volumes… Mais ce constat n’est qu’une première étape. Au-delà du « belgicanisme » masquant le réel, un autre phénomène, purement français celui-là, se surajoute : même si l’on sait… on ne croit pas !

La connaissance des différents éléments de la « crise belge » – politiques, culturels, budgétaires etc. – ne débouche pas nécessairement sur de bonnes conclusions. Une espèce de biais cognitif se manifeste : la « dissonance » entre ce que l’on sait de la Belgique si l’on s’y intéresse, et les représentations que l’on en a, peut aboutir à une forme de déni.

Là aussi, les explications puisent leurs racines dans le temps long, et seule une étude historique académique pourrait en démêler les fils…

Les réunionistes ont beau présenter, même à des interlocuteurs choisis (de sensibilité souverainiste par exemple), la situation réelle « preuves à l’appui », ils n’ont souvent droit en retour qu’à des regards interrogatifs…

I comme indifférence.

Les sentiments s’enchaînent et se synthétisent de façon somme tout logique.

L’inextricable écheveau belge, qui pour être appréhendé demande un solide apprentissage, auquel s’ajoutent les différents « biais » de représentation : voilà au moins deux « bonnes raisons » de regarder ailleurs…

Pourquoi s’en faire ? Les réunionistes s’agitent, les partis flamands encore plus… quelle importance ? La Belgique étant le pays du folklore, il n’est pas surprenant que ce trait touche la sphère politique. Ne dit-on pas qu’en Belgique, « la situation est désespérée mais jamais grave » ?

Rien de nouveau sous le soleil, donc, pour continuer dans les proverbes.

De ce fait, pourquoi perdre du temps et de l’énergie à comprendre les affaires intérieures de ces sympathiques voisins, puisque tout finit toujours par s’arranger autour d’une frite accompagnée d’une bonne bière…

La Belgique, sujet géopolitique majeur, abritant les principales institutions européennes et l’OTAN ? C’est bien la preuve que le pays ne peut pas se disloquer, voyons !

Et puis, nous avons déjà tant de problèmes insolubles en France, on ne va tout de même pas ajouter ceux des Belges ! Chacun ses problèmes, et les vaches seront bien gardées… (encore un proverbe).

Mais au fait : de quel droit se mêlerait-on des affaires des autres ? Vous ne seriez pas amis avec un certain Vladimir ?

J’arrête ici le jeu de massacre… Ne nous faisons pas d’illusions : même caricaturées ici, voilà des positions que les réunionistes ont l’habitude d’entendre !

I comme ingérence, I comme intérêt : une confusion néfaste.

L’ingérence, voilà l’ennemi ! Et c’est d’ailleurs une vérité que nous partageons : toute ingérence véritable, c’est-à-dire toute action d’un autre État, ou d’un groupe de pression extérieur, visant à déstabiliser délibérément la Belgique, serait absolument inacceptable.

Le destin de la Belgique est entre les mains des Belges et d’eux seuls. Cela doit être répété autant de fois qu’il le faudra.

Mais l’intérêt est-il de l’ingérence ? Bien sûr que non !

Les reportages, documentaires… portant sur d’autres pays – nos voisin européens mais aussi des nations plus éloignées : Japon, États-Unis, Brésil… – sont-ils une marque d’ingérence ?

De même, l’inquiétude que peuvent susciter l’évolution théocratique de l’État d’Israël, ou la dérive identitaire du parti Républicain états-unien, serait-elle le signe d’un insupportable empiétement sur la liberté d’autrui ?

Les interrogations dubitatives de la presse allemande ou britannique, sur la formation et les méthodes de la police française, sont-elles par nature illégitimes ?

La droite nationale espagnole a manqué de peu d’entrer au gouvernement – du moins provisoirement. L’information a été largement commentée : s’agit-il d’une couverture médiatique excessive ?

Non, non et non ! Il est parfaitement normal de s’intéresser au monde qui nous entoure, qu’il soit proche ou lointain.

Mais alors : pourquoi la Belgique ferait-elle exception ? Pourquoi serait-ce le seul pays dont on n’aurait jamais aucune nouvelle intéressante ?

Sauf erreur, je n’ai jamais vu ou lu, sur une chaîne française ou un magazine, un reportage ou un article, expliquant réellement l’imprégnation nationaliste de la société flamande ! Rien par exemple sur les corporations étudiantes, dont l’influence s’étend bien après l’université, persistant dans le monde du travail, culturel ou politique.

Des bribes d’événements peuvent émerger çà et là, rarement, mais en étant systématiquement observés sous l’angle de la « grille de lecture belge », telle que décrite plus haut, et donc par là même « désamorcés » : de simples anecdotes relevant de la « couleur locale »…

Clairement : imaginons qu’un journaliste français fasse une enquête fouillée, sur le terrain, qu’il rencontre toutes les personnes possibles en lien avec le sujet traité, obtienne tous les documents nécessaires, et publie ses conclusions dans tel ouvrage, tel journal, tel reportage ou tel média en ligne ? Et que ses conclusions soient alarmantes, s’agissant de l’avenir budgétaire de la Wallonie, de celui des communes périphériques de Bruxelles, ou de la victoire culturelle du nationalisme en Flandre ? Dans les médias francophones « officiels », ou le monde politique, ce serait évidemment un tollé général, et l’accusation d’ingérence ne tarderait pas à surgir !

La confusion entre ingérence et intérêt légitime est un poison pour l’esprit, l’un des subterfuges plus ou moins conscients qui ont pour objet, ou pour effet, de détourner l’attention des Français – qui, de toute façon, « ne comprennent jamais rien… »

Les obstacles étant désormais identifiés et résumés sous une formule commode (« 3 I + 2 ») – et c’était là un préalable à toute action – reposons la question : que faire ?

Je me garderai bien de présenter ici un programme détaillé. Chacun, au demeurant, doit faire l’effort d’imaginer des solutions pour les verser au collectif.

Cependant, je propose quelques pistes.

* La « stratégie des 5 mots en I », si vous me permettez ce raccourci, permet d’élaborer des éléments de langage qui pourront contourner les blocages, et ainsi faciliter la prise de contact avec des interlocuteurs choisis.

* Les contacts doivent être en effet précisément « ciblés ». Pour ma part, j’estime qu’une méthode visant à « arroser » un groupe particulier (ex. : les parlementaires), dans l’espoir de recevoir quelques réponses, n’est pas très productive.

* Soyons modestes : dans un premier temps, il est presque impossible qu’une personnalité française de premier plan (politique, journaliste, essayiste) prenne position sur la question belge. Ce n’est pas tout de suite que la Belgique aura droit à son émission « C dans l’air », sur France 5…

Les « seconds couteaux » et autres « médias alternatifs » doivent être « priorisés ».

* La prise de contact serait facilitée par l’utilisation d’un « support » : un tract, un fascicule, voire un livre – cette dernière solution serait bien entendu la meilleure !

* Parmi les « médias alternatifs » qu’il serait possible de contacter, on peut retenir :

– le site d’information en ligne Elucid (https://elucid.media), où officient des auteurs de sensibilité souverainiste, comme Eric JUILLOT (https://elucid.media/author/ejuillot/)

– Médiapart (https://www.mediapart.fr), dont on peut critiquer le fort parti pris idéologique, mais qui a le mérite d’être totalement indépendant, financé uniquement par ses abonnements, et axé sur l’investigation. La rédaction pourrait être intéressée par l’influence de l’extrême droite au sein de la société flamande, dès l’université… et par la progression du PTB côté wallon…

– la rédaction de la revue Front Populaire (https://frontpopulaire.fr), dont l’évolution sur certains points est discutable (quelques intervenants sont, disons-le, « marqués » à l’extrême droite), mais dont le souverainisme est la marque de fabrique.

– la nébuleuse souverainiste s’est également regroupée autour d’une association, née d’un événement tragique : le décès prématuré de l’essayiste Coralie DELAUME  (https://fr.wikipedia.org/wiki/Coralie_Delaume). Elle était proche notamment de Natacha POLONY,de l’hebdomadaire Marianne. Ses amis et sa famille ont créé Les Amis de Coralie Delaume (https://www.facebook.com/Amisdecoraliedelaume/), afin de poursuivre son œuvre de réflexion.

Les participants sont autant d’interlocuteurs possibles. Parmi ces derniers se trouve David Desgouilles, journaliste et chroniqueur justement à Marianne. Vu le niveau où se situait Coralie DELAUME, l’existence d’un livre ou tout au moins d’une documentation solide semble être un nécessaire préalable avant toute prise de contact.

Les pistes ici ébauchées n’incluent pas le monde académique, ni les milieux politiques. Ces derniers ne sont évidemment pas à exclure. Je n’ai pas non plus évoqué la presse locale des régions frontalières, dont il ne faut pas négliger l’importance.

Et si des sympathisants réunionistes sont en lien avec des personnalités appartenant à d’autres cercles, des deux côtés de la frontière, qu’ils n’hésitent pas à les solliciter !

5 réflexions sur « Le point sur les I »

  1. La question posée par l’auteur est purement intellectuelle, la dette wallonne est double de celle Flandres, le déficit budgétaire de celle-ci catastrophique, , le classement Shangay des universités, la formation professionnelle fait qu’en cas de confédéralisme en 2024, il ne restera que des ruines, qu’un désert, qu’un néant catastrophique, tous les points évoqués sont intéressants, certes, mais non pertinents, La catastrophe à la grecque est devant nous, alors à quoi bon philosopher devant le drame provoqué par la bêtise anticapitaliste de nos politichiens ?

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  2. Enfin un article qui se veut réaliste par rapport à l’actualité. Travaillant au quotidien avec des hauts fonctionnaires wallons et des responsables syndicaux wallons,le projet réunion à la France ne les concerne absolument pas. Dans ce climat d’incertitude, chacun s’accroche à son pré carré.

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  3. Autant que la Belgique, 3i + 2 est complexe, c’est-à-dire un nombre z de partie réelle :
    Re(z) = 2,
    de partie imaginaire :
    Im(z) = 3 (imaginaire comme la Belgique 😊),
    de module :
    |z| = racine carrée de treize (V13)
    et d’argument :
    a = Arctan(2/3) radians.
    z peut également s’exprimer sous forme trigonométrique :
    z = |z|(cos a + sin a)
    et même sous forme exponentielle :
    z = |z|e^ia selon Herr Leonhard Euler.
    Ce n’est pas étonnant dès lors que les Français n’y comprennent rien !

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    1. Je n’avais pas pensé à ça : très bonne remarque !!
      Mettre la Belgique en équation demande en effet l’usage des nombres complexes !

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