Un an sans gouvernement…
Analyse critique : l’obsédante question nationale
Texte envoyé à la presse le 22 avril 2011
En Wallonie comme ailleurs, l’exercice de la démocratie exige un minimum de lucidité, de participation à la vie publique et, pour en mesurer les enjeux, de conscience collective.
Il va de soi que les sentiments, les émotions même, influenceront toujours le choix politique. Mais c’est à la raison qu’il appartient de confronter les désirs, parfois contradictoires, à la réalité.
La Wallonie a beau former une institution politique autonome, on ne lui reconnaît guère une légitimité citoyenne. Elle fonctionne à la façon d’un cadre administratif, pas d’une communauté de destin voulue et assumée. Il lui manque une audace, une réflexion partagée, un débat ouvert dont les faiseurs d’opinion, les décideurs, les élites prendraient l’initiative. En réponse à la crise existentielle de l’Etat belge, on entend seulement condamner la tentation d’un repli wallon.
Le repli, dans sa dimension psychologique, évoque pourtant moins l’audace et la réflexion que la peur du changement. « Pas touche à ma Belgique » sonne, dans les circonstances présentes, comme un aveu de crispation. Proclamer son attachement au pays de son enfance est assez naturel mais il faut dépasser le niveau du réflexe émotionnel. On entend le bruit des exigences flamandes : la N-VA, Bart de Wever, le confédéralisme. Au-delà des manifestations festives ou angoissées, il convient de s’interroger sur le prix de la Belgique autant que sur celui de la non-Belgique.
Le blocage actuel est d’ordre affectif et intellectuel. Personne n’aime être bousculé dans son confort, fût-il psychologique. Aux professionnels de la politique, accrochés eux-mêmes au régime en place, on peut difficilement reprocher le goût des aventures. Ils campent sur leurs positions, le drapeau belge à la main. Ils ne se démarquent pas de leurs électeurs, ils ne leur ouvrent aucune perspective. Ils contribuent à les enfermer dans la nostalgie d’un passé révolu, voire mythique. Avec le soutien complaisant des médias, ils encouragent une forme de régression citoyenne.
La stratégie francophone, pour autant qu’elle existe, ne peut en rien justifier ce décalage avec la réalité. Mystification, manipulation, démagogie ne sont pas des mots réservés aux autres. Il est dangereux de parier sur le temps pour régler un conflit, sans véritable alternative, en prenant l’opinion publique en otage. Les calculs médiocres et les jeux de pouvoir ne suffisent pas à nourrir le débat démocratique, ils l’étouffent, ils le paralysent. Pour se prendre en main, la Wallonie a besoin de recul, de hauteur, de sens de l’histoire.
L’avenir est toujours un prolongement du passé, mais le temps ne s’arrête jamais, ni le mouvement de la vie auquel chacun participe. Comprendre, anticiper les changements, amortir les chocs, c’est la responsabilité de tout citoyen. Il y a des choix politiques à faire et nul n’a le droit de confisquer la parole au nom de la majorité, sans lui donner l’occasion d’y voir plus clair. Ce n’est pas en niant la réalité qu’on peut l’apprivoiser. La désunion de la Belgique, évolutive et hautement prévisible, aurait dû au moins raviver le débat sur l’identité wallonne. Mais cette reconversion-là, comme d’autres, a soulevé des résistances.
On a préféré investir dans la consolidation d’une symbolique identitaire anachronique, au motif que l’union ferait la force entre Flamands, Wallons et Bruxellois, et seulement entre eux puisqu’il a fallu se séparer des Hollandais pour devenir belge en 1830. Formule incantatoire au pays de l’étrange, la devise nationale ne s’applique évidemment qu’à la Belgique. On suggère en effet qu’en prenant appui sur la France, la Wallonie aurait des airs pitoyables de DOM-TOM, le soleil en moins. Cela ne se discute pas. Ce crédo patriotique éminemment conservateur a été recouvert des vertus de la modernité. Qu’y a-t-il de plus idéal, aujourd’hui, qu’un état multiculturel où chacun ferait l’effort de parler la langue de l’autre ?
L’assaut de bons sentiments ne doit pas faire illusion. La Belgique réelle a fait de la langue une frontière politique. Walen buiten est ce qui définit le mieux ce soi-disant pays joyeusement multilingue où une forte envie de vivre ensemble adoucirait les différences et garantirait la solidarité : modèle de compréhension mutuelle offert sans modestie à l’Europe et au monde. La frontière linguistique est devenue un fossé que rien ne comble, en dépit de tous les discours sur la générosité, la tolérance, l’ouverture, et même en partie à cause de l’utilisation qui en est faite.
On a beau changer la Belgique en Belgium, l’internationaliser, la neutraliser, lui inventer un nouveau mythe fédérateur, il ne suffit pas de communiquer en anglais pour éviter les malentendus. Le surréalisme est, dit-on, une spécialité belge, avec le sens de la dérision, mais l’incohérence et la bizarrerie ne suffisent pas à définir une nation, celle-ci ayant du reste horreur de ce mot. La fierté de former la nation la moins nationale du monde a de quoi laisser perplexe. Penser que la scission de la Belgique affecterait l’Europe et le monde, cela vaut tous les délires nationalistes.
Le sentiment national belge existe à coup sûr, mais il est si mal partagé qu’il vaut mieux le raisonner. Tandis que la Wallonie s’habille en noir-jaune-rouge, la Flandre a d’abord le souci d’elle-même : elle veut trouver sa place dans la nouvelle configuration du monde. Pour s’affirmer, elle a misé sur l’Union européenne, où elle occupe des postes-clés. Bruxelles a pris une dimension internationale mais lier la dynamique européenne au maintien de l’Etat belge est un contresens absolu, dans la mesure où l’UE contribue à son évaporation. L’effacement des frontières économiques et politiques a fait ressortir les frontières linguistiques. Il y a des rapprochements culturels que l’Europe encourage implicitement. Le défi des langues s’inscrit dans un contexte général d’internationalisation. Le projet européen n’a pas besoin d’une mini-Europe, si ce n’est pour divertir les touristes au pied de l’Atomium.
L’aveuglement ne sauvera pas la Belgique, ni la Wallonie. Au-delà d’un Bart de Wever regardé par certains comme un aventurier de passage, un guignol sans autre épaisseur que physique, un extrémiste, il faut voir la Belgique accoucher d’un Etat flamand. Le projet de la N-VA, réclamant l’effacement de la Belgique au profit de la Flandre et de l’Europe, est bien plus que le programme d’un parti nationaliste au succès éphémère : c’est celui d’une collectivité nationale ou, à tout le moins, de ses forces vives. Il faut voir combien il est difficile, en Flandre, de critiquer la N-VA sur le fond de ses idées. C’est l’impatience flamande qui a mis Bart de Wever dans la position qu’il occupe aujourd’hui.
Un revirement des électeurs flamands n’est pas à l’ordre du jour. Avec deux opinions publiques incapables de se comprendre, menacées par la frustration, le ressentiment, la Belgique a épuisé son coûteux génie du compromis. Plutôt que de souffler le chaud et le froid sur les chances d’un grand accord équilibré, les médias feraient mieux de sonner le réveil des somnambules. Il y a longtemps que l’opinion wallonne aurait dû, à la lumière des faits, cesser de croire en la Belgique éternelle. Au lieu de s’habituer au conflit communautaire, hâtivement tenu pour une espèce de folklore national, il aurait mieux valu en saisir la dynamique.
« La solidarité avec la Wallonie est comme un sac à dos rempli de pierres que porte la Flandre, alors qu’elle doit courir une course vers le toit du monde » : cette métaphore sportive n’est pas de Bart de Wever mais d’Yves Leterme, et ce brave homme n’a fait que reprendre un ton qui fait mouche en Flandre. Avant le triomphe de la N-VA, que l’on cherche encore à minimiser, c’est le CVP (Christelijke Volkspartij), métamorphosé lui-même en CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) qui a tout fait pour s’identifier à la cause flamande (AVV – VVK : « Alles voor Vlaanderen, Vlaanderen voor Kristus »). Parti de pouvoir, celui-ci a toutefois été débordé par le radicalisme de la Volksunie, elle-même jugée trop molle par les militants du Vlaams Blok/Belang.
Pour rappel, la Volksunie a implosé en 2001 et ses figures les plus populaires ont infiltré les partis flamands de gauche et de droite. Mais c’est déjà en 1999 que le Parlement flamand, sans opposition, a voté les résolutions qui doivent aujourd’hui transformer l’Etat belge en une coquille presque vide. Ce vote a été précédé d’une longue offensive contre le maintien de la solidarité nationale là où elle existe encore, à coups de chiffres utilisés avec une partialité rarement dénoncée, et de slogans dont la brutalité ne choque plus personne. La loyauté fédérale a seulement inspiré les discours des Wallons et des Bruxellois francophones. Il n’y a jamais eu de solution miracle, définitive, aux tensions communautaires en Belgique. Dès que celle-ci est devenue un Etat fédéral, en 1993, la Flandre officielle a dit vouloir passer au confédéralisme.
Un siècle plus tôt, l’adoption du suffrage universel plural avait déjà condamné une certaine idée de la Belgique, bourgeoise, unitaire et francophone. Il y a pourtant des Wallons et des Bruxellois qui ont de la Belgique une image héritée du XIXe siècle, et d’autres qui espèrent sans doute profiter de cet aveuglement pour mettre en place une « petite Belgique continuée », si d’aventure on n’arrivait plus à s’entendre avec les Flamands.
Quoi qu’il arrive, il serait vital de rompre avec une certaine idée de la Belgique. La Wallonie a elle aussi contribué au démantèlement de l’Etat belge, et pas seulement parce qu’elle s’est rangée au principe de l’unilinguisme régional en 1932. La réalité de la Wallonie est qu’elle a toujours dû composer avec une majorité flamande. En 1912, Jules Destrée, socialiste, se plaignait du pouvoir écrasant du parti catholique en Belgique, alors que la Wallonie industrielle était clairement progressiste. Amer, dénonçant le mythe unitariste belge, qui faisait la part trop belle à la Flandre, il écrivait : « Nous sommes des vaincus, et des vaincus gouvernés contre notre mentalité. »
Certes, Jules Destrée n’a plus la cote aujourd’hui. Son discours sent le provincialisme. Il appartient à une époque un peu suspecte et son cocorico désespéré le cède aujourd’hui à un néonationalisme belge qui ne dit pas son nom. La mémoire collective est plus aiguisée en Flandre, où l’on n’a pas supporté l’acharnement des francophones contre les collaborateurs des deux guerres. On a beaucoup joué de la victimisation, dans le plat pays, malgré tout ce que la Belgique a fait pour relever le lion flamand. La faute irrémissible de la Belgique est d’avoir été francophone au XIXe siècle, au temps de la bourgeoisie triomphante.
Le pari de l’unité du peuple belge a échoué, comme on le prévoyait en 1830. Le passé de la Flandre a été recouvert d’un nouveau drapeau. Bart de Wever et ses amis savent que l’histoire est un levier de l’identité nationale et ils l’utilisent à des fins politiques, en patriotes flamands. La vérité historique est malmenée, mais pas davantage que dans les vieux manuels d’histoire de Belgique.
La Wallonie, elle, n’a pas de projet national. Elle a seulement besoin de vérités pour se choisir le meilleur avenir possible. Elle demeure attachée à la Belgique, c’est-à-dire à la Flandre, en dépit des mauvais coups reçus, qu’elle préfère ignorer. Appauvrie, manquant de confiance, elle se voit dans le regard qui la juge. On lui fait porter le poids de la faute et pourtant, loin d’avoir exploité la Flandre, ainsi que le suggère une confusion volontaire avec la classe dirigeante francophone, la Wallonie en a permis le décollage économique… et politique. Elle a longtemps été « la vache à lait de la Belgique », pour reprendre une formule qui a fait ses preuves. Au temps de Jules Destrée, la Wallonie avait un des PIB les plus élevés du monde et sa classe ouvrière menait tous les combats pour la justice sociale et la solidarité. Et pour le suffrage universel.
Mais quand le déclin a sonné, au milieu du XXe siècle, on a vu le gouvernement belge plus intéressé par le développement de la Flandre que par le sauvetage de l’économie wallonne et, devant l’étendue du sinistre social, André Renard, le leader syndical, a réclamé le transfert des compétences économiques aux régions. Le fédéralisme était dans l’air. Après la fixation de la frontière linguistique voulue par la Flandre, les formations politiques nationales n’ont pas résisté aux suites du Walen buiten, elles se sont scindées en partis francophones et flamands. Du coup, le mouvement centrifuge a pris de la vitesse en Belgique mais cela n’a pas empêché la Flandre, majoritaire et désormais plus riche, de renforcer sa mainmise sur l’Etat belge, à son profit, mettant la Wallonie et Bruxelles en difficulté pour obtenir ce qu’elle veut.
Il y a près de cinquante ans qu’un premier ministre flamand l’a dit : « on rentre dans la Wallonie comme dans du beurre ». Mais la Flandre n’a pas tout obtenu : Bruxelles est devenue (presque) une région à part entière, maîtresse de son destin, même s’il lui faudra composer avec le bon vouloir de ses voisins. Ce qui doit être dit, c’est que le nœud bruxellois ne justifie pas à lui tout seul l’exacerbation d’un sentiment national belge anachronique.
A défaut d’une identité forte, les Wallons partagent le même espace politique et une même langue, ainsi qu’une histoire qui mériterait plus d’attention. Cette histoire est traversée par la lancinante question des rapports entre la Wallonie et la France. Il a fallu se distancier de la France pour affirmer son identité belge mais, au rayon des fantasmes identitaires, une mise à jour est nécessaire. La propagande anti-française a suffisamment paralysé les Wallons.
L’Alliance de la Wallonie avec la France (AWF) est formée pour sensibiliser les citoyens de Wallonie à l’idée que la France est une solution plutôt qu’un problème. En collaboration avec le GEWIF, dont les travaux contribuent à éclairer le débat sur notre avenir commun, l’AWF a la volonté de servir la cause de la Wallonie sans se mêler aux empoignades électorales. L’AWF veut rassembler toutes les sensibilités politiques et sociétales wallonnes qui raisonnent en termes de communauté de destin de la Wallonie avec la France. La République française est en mesure d’accueillir la Wallonie sans lui faire violence, en ne revenant pas sur les acquis politiques, juridiques et culturels auxquels sont familiarisés les Wallons. La continuité dans le changement garantit les conditions d’un nouveau départ.
Georges Régibeau
Voilà un discours que j’aimerais entendre claironner par le Président de la Wallonie sur toutes les ondes. Maintenant que la France est dirigée par un socialiste, notre président en fonction sortira-t-il de sa carapace de timide institutionnel ? Comment le convaincre qu’en tant que citoyen français, frontalier de la Flandre, il pourra toujours rendre visite à ses Germains de cousins.
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En avant donc pour un avenir francophone
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Ancien du RWF, je constate que le sentiment régionaliste wallon ou indépendantiste ou plus fort, le sentiment rattachiste est écrasé, gommé, banni par la communauté Wallonie/Bxl où l’intelligentsia bruxelloise, principalement les médias et de la presse (RTBF, RTL, Le Soir, La Libre, …) joue un rôle clé.
On lit ici et là que le Wallon se sent plus belge que wallon et même que le wallon ne se sent plus wallon.
Quoi de plus normal. Tous les jours, nous, Wallons, sommes informés par une presse bruxelloise. Les rédactions de nos journaux et de nos TV deviennent de plus en plus bruxello/flamande avec des journalistes bruxellois de Bxl, de Bxl flamand voire de Flandre. Les journalistes de Wallonie deviennent rares et occupent des postes moins importants.
L’image que le Wallon a de lui et de sa région est bruxello/flamande. L’information qu’on nous diffuse est distillée par une intelligentsia dont les objectifs sont :
– unir la Wallonie unie à Bxl (les Wallons ne sont plus Wallons mais francophones comme les Bruxellois),
– garder la Wallonie liée à la vlaamse Belgïe et à la Flandre (d’où des pressions pour flamandiser la Wallonie afin que les Flamands se sentent chez-eux en Wallonie),
– Préparer les Wallons à l’union avec la Hollande, puisque c’est la volonté de la Flandre orangiste. (Vlaams en Hollanders samen).
Or, un peuple ne peut pas progresser et s’autodéterminer si son identité est bannie et dénigrée.
La force de la Flandre réside dans son nationalisme présent à tous les niveaux (médias, politique, économique, culturel, sportif, social..)
De leur côté, les Bruxellois renforcent leur régionalisme. Ils se différencient des autres en se prétendant multiculturels et polyglottes (ajoutent les Flamands bruxellois).
Manipulés par les médias bruxellois, les Wallons perdent leur identité. Ils se sentent n’être plus rien de précis, si ce n’est un vague sentiment incertain d’être belge. Ce qui, dans cette Belgïe confédérale, signe notre perte.
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En effet, et si la Wallonie se flamandise doucement le sourire au lèvres on a aussi la bénéluxisation de la Belgique sous la houpette de politiciens wallons tels un Reynders qui a même été membre président je crois d’un » parlement du Benelux ».
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