Réflexions sur l’état de la France

Par Cédric CHOPIN, citoyen français

Lille, le 14 juillet 2021.

Je me permets de vous adresser ce message, dans la perspective des prochains travaux de notre association. Il me semble en effet que l’AWF devrait garder un œil sur plusieurs problématiques, distinctes du réunionisme mais en réalité reliées à celui-ci.

Outre les questions communautaires présentes et à venir (financement de la Wallonie, échéances de 2024, future réforme de l’État dans un sens confédéral etc.), pour lesquelles nous avons acquis un niveau de connaissance, voire d’expertise, incontestable, nous devrions nous pencher sur les sujets qui suivent.

« Nous pencher » ne signifiant pas « se plonger dans l’étude », ou « produire des rapports » : nous n’en avons ni le temps, ni les moyens ; il s’agit d’articuler nos thématiques principales au regard de l’évolution des contextes français et belge.

1) La crise globale des institutions démocratiques : qui touche la Belgique mais bien plus durement la France.

Il est clair que le système représentatif connaît aujourd’hui un affaiblissement dramatique. L’abstention aux dernières élections régionales et départementales françaises en témoigne, mais n’est que le symptôme d’un mal bien plus profond.

Mondialisation économique, politiques européennes intrusives, économie spéculative devenue incontrôlable, « déprise » culturelle générale (culture académique ou culture locale et populaire) face à l’emprise des GAFA etc. Tout cela concourt à la fragilisation des institutions démocratiques, à cause de leur incapacité à avoir prise sur le réel.

Mais le système politique n’est pas seulement une victime : ses acteurs portent une responsabilité écrasante. Appartenant, dans leur très grande majorité, aux « classes sociales supérieures », bénéficiaires de la mondialisation, les mandataires (auxquels s’ajoutent les responsables économiques, médiatiques et, dans une certaine mesure, culturels) n’ont aucune envie de voir le peuple se mêler de « ce qui ne le regarde pas ». Le « cercle de la raison » n’est pas négociable ! There is no alternative, comme disait l’autre…

Tout ce qui dépasse est ramené au rang de « populisme », que ce dernier soit réel (les « complotistes » et autres « anti-vax » ne sont pas une légende urbaine), ou le plus souvent imaginaire (expression des légitimes aspirations populaires, en matière sociale et démocratique)… Bien sûr, les médias dominants ont tout intérêt à mettre en avant les premiers, pour y englober les seconds…

Sur ce dernier point, heureusement, tout n’est pas perdu, il subsiste encore quelques émissions tentant – tant bien que mal – de comprendre le monde tel qu’il va : Démocratie en question(s), saison 2 : https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_les-podcasts-de-lapremiere/accueil/article_democratie-en-question-s-enquete-chez-les-coronasceptique-et-les-antisysteme-saison-2 id=10795790&programId=16224

2) La tentation du repli « identitariste » face au « mondialisme » déraciné.

Je préfère ce néologisme à celui d’ « identitaire », car vouloir s’appuyer sur une identité, voire le plus souvent plusieurs, est un sentiment sain, lui aussi légitime.

L' »identitarisme » renvoie aux discours que l’on entend ou lit sur de nombreuses ondes, livres, articles et sites internet, qui se répandent progressivement dans l’opinion, et possèdent quelques caractéristiques fondamentales : principalement l’essentialisme (par opposition à l’universalisme).

Cette approche prétend que les différentes identités sont irréductibles les unes aux autres, ne pouvant en aucun cas se superposer et s’ajouter. Bien entendu, les apports venant de l’extérieur sont ici particulièrement visés… Anticiper les conflits potentiels ne doit pas devenir une prophétie autoréalisatrice, or c’est ce à quoi nous assistons dans l’hexagone…

Cet essentialisme est une mauvaise réponse à l’idéologie du « grand mélange », dans lequel toutes les cultures (surtout la culture occidentale, pour ne pas dire uniquement…) sont censées disparaître et se fondre dans un « grand tout » « multi-culturel »… Bien entendu, dans ce cadre, limiter les flux migratoires constitue une contrainte inacceptable. En clair, l’alternative infernale serait la suivante : soit le repli « identitariste », afin de lutter contre le « Grand remplacement » ; soit l’avènement du fantasme absolu du néo-libéralisme : la fondation d’une « culture mondiale », grâce aux supports numériques, au sein d’un grand marché global… Pile ou face, l’avers ou le revers d’une même médaille… Ces deux impasses peuvent susciter, à des degrés divers mais chez tout le monde, une forme de tentation : « zemmourisme » d’un côté, fascination pour des mégalos comme Elon Musk, de l’autre.

Pour le mouvement réunioniste, le devoir impérieux – à la fois moral et politique – est de tout faire pour tracer une ligne différente, réellement subversive. Une ligne laïque, républicaine au sens vrai du terme (le mot – et non la chose – étant repris en France par la droite la plus extrême…). Une ligne universaliste, c’est-à-dire proclamant l’existence d’un « fond commun » transcendant les différentes religions, genres et orientations, cultures… pouvant exister sur un même territoire. L’identité, pour être riche, diversifiée et forte, n’a nul besoin d’être arrogante ou agressive ! Au contraire, ces deux derniers adjectifs sont la marque des cultures faibles et déclinantes – voire décadentes…

Sur ces principes, le réunionisme doit participer à l’émergence d’une identité non-identitariste !

Jean Birnbaum : « Dans un climat irrespirable, faire droit à la nuance devient subversif » (https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/jean-birnbaum-dans-un-climatirrespirable-faire-droit-a-la-nuance-devient-subversif_2149546.html): Le Courage de la nuance, éditions du Seuil, 2021.

3) Le risque de dérive autoritaire en France, et le risque de crise sociale, politique et communautaire violente.

La France est un grand pays, et le peuple français un grand peuple, c’est entendu. Ce qui ne signifie évidemment pas idéaliser l’une ou l’autre.

Aujourd’hui, la crise française est véritablement profonde, avec un haut niveau de gravité. Crise politique, culturelle, sociale, communautaire, territoriale. La fracturation du pays s’accentue. Or, rien ne bouge, les crises successives depuis trois ans n’ont pas ébranlé l’inertie ambiante. Les « Gilets Jaunes » ont été un soubresaut qui auraient pu permettre la mise en œuvre d’un nouveau pacte démocratique et social. Il n’en a rien été : absolument rien ! Toutes les revendications d’ordre politique (ex. : Référendum d’Initiative Citoyenne) ont été balayées d’un revers de main! Le « Ségur de la santé » (négociations ayant suivi le premier confinement) a été, de l’avis même des personnels soignants, une vaste arnaque, n’octroyant que quelques menues piécettes. Rien, absolument rien, sur la gouvernance de l’hôpital, ou la fin des « restructurations »! Pourtant, en mars 2020, les médecins, infirmières, aides-soignantes, ont pris le pouvoir sur les gestionnaires, et c’est uniquement cette inversion du pouvoir qui a permis d’éviter la catastrophe totale, dans des établissements de santé dépourvus du matériel le plus élémentaire (masques, blouses, gel)…

A ce propos, la crise sanitaire que nous traversons agit comme un révélateur, au sens chimique du terme : les tendances profondes du pays se manifestent au grand jour ! Et ce n’est pas joli à voir… Il est clair que bien des mesures prises au cours de l’épidémie n’avaient aucun rapport avec les exigences médicales ! Il s’agissait, essentiellement, de « maintenir la pression » sur un peuple jugé immature, irresponsable et incontrôlable… Sans quoi, « ils vont faire n’importe quoi ! »

A cet égard, les dernières mesures décidées en juillet représentent un palier supplémentaire vers une forme d’autoritarisme de moins en moins « doux ». Interdiction, dans de nombreuses communes (suite à décret préfectoral ou municipal) des feux d’artifice du 14 juillet, même en étant masqués ! En effet, il y aurait eu de dangereux attroupements… Dans ce cas, il faut d’urgence interdire tous les marchés extérieurs, fermer les centres commerciaux, et combler les tunnels de tous les métros de France…

Je n’hésite pas à l’écrire (et je précise avoir reçu mes deux doses de vaccin…) : les décisions – souveraines, solitaires, jupitériennes, prises en Conseil de Défense – du président Emmanuel Macron du 12 juillet marquent un tournant, voire… un changement de régime politique ! Nul complotisme là-dedans : simplement la constatation que les considérations médicales et sanitaires (bien entendu nécessaires) ont été le prétexte (peut être inconscient) à l’émergence de pulsions autoritaires. La France est devenue un pays où l’on peut affirmer, sans être démenti, que « en contexte de pandémie, la démocratie est un inconvénient, surtout si elle s’avise de devenir contestataire » (Axel KAHN – paix à son âme – octobre 2020).

Bien sûr, d’autres pays ont été touchés par le phénomène (dont la Belgique et sa fameuse « bulle sociale »), mais en France, ce dernier a aggravé les fractures existantes… ainsi que la terreur des élites à l’égard du peuple, toujours jugé incapable de comprendre la situation… « Passeport sanitaire » à l’intérieur des frontières du pays, surveillance des cafés, des restaurants, des cinémas, devenus bien malgré eux des auxiliaires de police, évacuation de toute discussion rationnelle et contradictoire, spots TV gouvernementaux qui ont dû s’inspirer de la propagande soviétique (ou plutôt chinoise..), disproportion de nombreuses mesures par rapports aux risques véritables (hors personnes à risque, le covid-19 est une maladie quasiment pas létale) : l’irrationalisme du gouvernement (et de certains « médecins de plateaux TV », dont on se demande quand ils soignent des patients…) est en train d’égaler celui des « antivax », avec leurs « puces 5 G injectées par Bill Gates »!

Nous sommes – je l’espère ! – nombreux à penser que la pandémie aurait pu être gérée de façon rationnelle et démocratique, dès la fin du premier confinement (il faut être indulgent pour cette première phase, nous ne savions pas au début ce qui se passait). Au lieu de cela, l’obsession des autorités n’a cessé d’être : contrôler, contrôler, contrôler les citoyens infantilisés, et le cas échéant réprimer. En lieu et place des dernières mesures liberticides, un exposé clair de la stratégie vaccinale (dès le début du printemps 2021), des chiffres de vaccination raisonnables à atteindre chaque semaine, et la levée définitive des mesures sanitaires en fonction de ces chiffres (et non pas en fonction de dates arbitraires, ou du nombre des contaminations), et un discours factuel sur la contagiosité supérieure du variant Delta, auraient sans doute eu des résultats équivalents, voire meilleurs ! Avec cette méthode, ou d’autres méthodes non-coercitives, la France serait peut-être à l’heure qu’il est au même niveau que l’Angleterre !

La leçon à tirer de tout cela est la suivante : en France, bien plus que dans les autres démocraties, nous nous habituons aux mesures autoritaires, jugées plus rapides et plus efficaces que la délibération parlementaire et la responsabilisation des citoyens… L’autoritarisme devient le « mode de fonctionnement par défaut » du pouvoir, et les limites en la matière sont allègrement repoussées. C’est une réalité, et une source de profonde tristesse : nous assistons à l’écroulement de la culture démocratique en France… Le ressentiment et l’esprit de revanche vont également croissants !

La France est le seul pays occidental où a eu lieu – le plus sérieusement du monde – un débat sur la possibilité d’une guerre civile, et l’intervention de l’armée dans les banlieues !

Mais où cela va-t-il finir ?

Le courant réunioniste doit envisager l’hypothèse d’un « scénario catastrophe » (ou du moins celui d’une grave crise de régime) pour la France, et réfléchir au rôle qu’il pourrait jouer dans ce cas. La Wallonie, en l’occurrence, pourrait devenir une sorte de « base arrière », situation qu’il faudra définir et anticiper.

Car, comme j’ai eu le plaisir de l’écrire avec Paul MELOT dans le texte publié sur le site de la revue Front Populaire : « Tous les réunionistes (…) partagent un objectif : être acteurs d’une contreculture alternative, républicaine, sociale et populaire, participant – pour l’instant de l’extérieur – à la reconstruction d’une France libre et rénovée !« 

Tel est l’un des aspects essentiels de notre responsabilité collective, en tant que réunionistes.

A lire : Récidive, 1938, de Michaël FOESSEL, réédition 2021 : https://www.mollat.com/videos/mickaelfoessel-recidive-1938, P.U.F., avec une postface inédite évoquant la crise sanitaire.

6 réflexions sur « Réflexions sur l’état de la France »

  1.  » La France est le seul pays occidental où a eu lieu – le plus sérieusement du monde – un débat sur la possibilité d’une guerre civile, et l’intervention de l’armée dans les banlieues ! »

    Exact et pour la simple raison que tous les autres pays capitulent à la manière de Monsieur Trudeau.
    Une exception: le Danemark qui prend les devants en durcissant sa politique à l’encontre des présents non-européens dérangeants.
    Depuis Giscard d’Estaing les dirigeants français se plient aux volontés de l’Europe et des USA.
    L’abandon des droits régaliens à l’Europe et la sujétion aux ukases des cours de justice européenne signent la faiblesse actuelle de la France. Cela débouche sur une déglingue parlementaire dans le sillage des troisième et quatrième républiques.
    Les droits de l’Homme, sublimé par l’ONU, négligent les droits et les devoirs du citoyen français.
    D’une certaine façon, la France doit impérativement reprendre son destin en main et se révolter face aux diverses institutions internationales qui tentent de l’étouffer.
    Comme Gulliver, elle doit rompre les liens, se débarrasser des entraves, que des centaines d’ONG lilliputiennes, aux ordres de factions hostiles et pernicieuses, placent sur son chemin.

    Cela se fera dans la douleur et le XXIe siècle n’interdit pas le retour de Bonaparte !

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  2. Feu monsieur François Perin ne se projetait ni comme devin ni comme prophète mais comme un constitutionaliste averti et certes visionnaire par la grâce de son expérience en politique.
    Non seulement il connaissait bien les Flamands mais, contrairement à pratiquement TOUS les Wallons, il n’ignorait pas leur histoire, leurs longues souffrances et leurs espoirs.
    Si monsieur Bart De Wever, de plein droit par l’histoire, la langue et la culture, se projette Grand Néerlandais, NOUS Wallons avons, le même droit de revendiquer notre retour institutionnel à la France et aux départements de Jemmappes, de l’Ourthe, des Forêts et de Sambre et Meuse.
    Hors l’immobilisme intellectuel et l’intérêt matériel de politiciens en charge, rien ( surtout pas l’Union européenne et encore moins l’ONU ou des puissances étrangères) ni personne ne détient le droit d’empêcher la disparition de l’artificielle Belgique-Belgïe-Belgien-Belgium (excusez du peu !).
    S’acharner à conserver cet Etat mort-vivant n’agit pas dans l’intérêt profond des populations que le composent.
    Précisément, il serait bien plus intelligent et HUMAIN que la « transformation » de la Belgique-Belgïe-Belgien-Belgium s’organise sous l’égide de l’Union Européenne qui reconnaitrait l’inanité de cette construction Metternicho -britannique du 19e siècle devenue obsolète.
    Quant aux actuels soubresauts politiques en France, ils ne constituent pas d’obstacle au retour des Wallons en son giron pour la simple raison que nous vivons les mêmes problèmes en Wallonie.
    Il n’existe aucune différence de mentalité entre un Macron, un Magnette et un Michel.
    Alors ? Qu’attendons-nous pour avancer et soutenir la Flandre ? A deux nous serons plus forts pour réussir notre divorce et appréhender nos avenirs respectifs.
    PS: laissons Monsieur Philippe Swuinen (PS) (voir le site RWF du 16/0/2021) à son fauteuil-club, à l’œuvre déclassée de Pirenne et à ses rêves passés.

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    1. Arrêtez-moi si je suis dans le faux mais le département des Forêts c’est le Luxembourg, peut-être vouliez-vous dire le département de la Dyle -Bruxelles et alentours- qui est l’autre (ancien) département francophone de ce qui est aujourd’hui la Belgique bien que les départements dans ce qui est aujourd’hui la Flandre et les Pays-Bas aient été sous un régime de francisation forcée sous l’Empire, réussie dans les grandes villes comme Anvers ou Amsterdam, moins dans la campagne.

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  3. Bonjour,
    J’ai constaté que deux liens avaient changé depuis le 14 juillet !

    Voici donc le lien actualisé vers l’émission « Démocratie en question(s) » :
    https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_les-podcasts-de-la-premiere/accueil/article_democratie-en-question-s-la-democratie-est-elle-adaptee-a-l-urgence-climatique-saison-2?id=10795790&programId=16224
    Il semblerait que « LA PREMIERE » se soit emmêlée les pinceaux entre les différents épisodes de l’émission…

    Et voici le lien vers la présentation du livre de Michaël FOESSEL, « 1938 » : https://www.mollat.com/livres/2302703/michael-foessel-recidive-1938#142078

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  4. Ceci ne répondrait-il pas à la question posée par Monsieur Chopin ?
    Cela vaut pour toutes les Nations, même celles en devenir par le cours de l’Histoire à venir !
    La longueur du texte ne doit pas effrayer les souverainistes et les rattachistes.

    La France peut-elle retrouver sa souveraineté sans Frexit ?

    OPINION. La nécessité de sortir de l’Union européenne pour retrouver l’autonomie de notre compétence fait l’objet de beaucoup de débats au sein du camp souverainiste. Si pour beaucoup, le Frexit est indispensable, l’auteur défend une autre stratégie, selon lui, davantage pertinente politiquement.

    Auteur
    Henri TEMPLECo-fondateur et précédent Directeur du Centre du droit de la consommation et de la concurrence
    Publié le 30 août 2021

    La Souveraineté d’une nation, c’est sa Liberté et son indépendance politique, militaire, économique, et culturelle. Périclès avait trouvé il y a 2500 ans une formulation remarquable pour souligner l’importance de la Liberté : « Il n’est pas de bonheur sans Liberté, ni de Liberté sans courage. » Peut-être serait-il nécessaire, désormais, d’adapter au temps présent, cette belle formule : « Il n’est pas de bonheur ni d’efficacité sans Liberté, ni de Liberté sans courage et intelligence. »
    L’importance politique de la Liberté-Souveraineté est posée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 à l’article 3 : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Cette formule vise aussi bien la souveraineté internationale (l’indépendance) que la souveraineté interne (la république).
    Or, ce qui fut la Communauté économique européenne des origines (Traité de Rome, 25 mars 1957) a changé de nature, en outrepassant sa finalité initiale par deux traités.
    D’abord par celui de Maastricht (1992) adopté par un référendum au score tendu (pour : 51 % des exprimés, et 49,8 % des votants) et après beaucoup de graves mensonges matraqués contre le peuple. Jean-Pierre Chevènement, dans Le Bêtisier de Maastricht (1997), cite les bêtises, parfois méprisantes ou agressives, et les mensonges notamment prononcés par Jacques Delors, Michel Rocard, Jack Lang, Michel Sapin, Julien Dray, Élisabeth Badinter, Martine Aubry, Alain-Gérard Slama, Françoise Giroud, Bernard-Henri Lévy, Simone Veil, Valéry Giscard d’Estaing, Alain Madelin, Bernard Kouchner…).
    Ensuite par le traité de Lisbonne (2007) qui, lui, non seulement ne fut pas adopté par référendum mais par le Congrès qui n’hésita pas à violer en 2008 la volonté de rejet par la nation, démocratiquement et nettement exprimée par référendum en 2005 (Rejet par 55 % des Français du projet de traité établissant une « constitution » (sic) pour l’Europe). Et cela en dépit d’une campagne médiatique honteusement orientée. Ce véritable coup d’État anti républicain est de nature à rendre nul et non avenu l’ordre juridique illégitime qui résulte de ce traité deux fois scélérat. À la suite de ces traités et de quelques décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, le peuple français a été dépouillé malgré lui des prérogatives attachées à sa souveraineté et, notamment, du droit : faire ses lois ; battre monnaie ; maîtriser, aux frontières nationales, ou aux frontières externes de l’Europe, les flux de circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes ; décider de sa politique migratoire ; voter une politique budgétaire et fiscale propre et sociale ; mener une politique industrielle et environnementale dans l’intérêt national ; avoir pour ses services publics une politique nationale ; conduire une politique étrangère ou de coopération qui ne soit pas sous tutelle. Or les Français ont désormais compris que ces asservissements, ces carcans anti-démocratiques, sont la cause de leurs malheurs personnels et des sombres échéances qu’ils sentent venir.
    Paradoxalement, bien qu’ayant voté « non » au référendum de 2005, et qu’étant d’accord sur le fait que l’euro a eu des résultats négatifs sur leur sort personnel — sondage TNS Sofres, 26/12 2006 : l’euro, « une mauvaise chose » pour plus d’un Français sur deux ; une écrasante majorité (94%) estime que le passage à l’euro a eu pour conséquence « une aggravation de la hausse des prix » —, les Français sont effrayés à l’évocation d’un sortie de l’euro ou de l’UE. Selon certains, cela serait impossible et selon d’autres ce serait dangereux. Pourtant, les nations d’Europe sont de plus en plus sceptiques sur les résultats de « l’usine à gaz bruxelloise » et elles savent bien que Bruxelles n’est pas l’Europe, mais une dérive non démocratique et inefficace usurpant le nom d’Europe.
    Une étude récente analyse les causes et la puissance de la montée de l’euroscepticisme (L. Djikstra, H. Poelman, A. Rodriguez-Pose, Géographie du mécontentement et du mal-être dans l’UE, Telos, 2 mars 2020). D’après cette étude effectuée en 2018, les votes pour les partis modérément opposés à l’intégration européenne au sein de l’UE ont connu un véritable essor, passant de 15% en 2000 à 26% en 2018. Le vote pour les partis radicalement opposés à l’UE a, quant à lui, connu un bond de 8%, de 10 à 18% sur la même période. Ainsi se séparent deux Europe : celle où les partis eurosceptiques progressent (Autriche, Danemark, Hongrie, Italie, France et désormais Espagne et Allemagne), et celle de petits pays, d’adhésion récente, ayant eu une histoire difficile, qui veulent y croire encore (Chypre, Pays Baltes, Irlande, Malte, Roumanie). Les Britanniques (qui pourtant étaient ceux qui souffraient le moins des « émanations toxiques de l’usine à gaz »), en ont déduit une conséquence radicale : le Brexit, qui ne leur a d’ailleurs attiré aucun des cataclysmes annoncés par les pythies bruxelloises.
    Pour les pays qui restent — et notamment la France —, l’enjeu hautement crucial est de savoir si, en tous domaines, les principes constitutionnels des nations sont subalternes et soumis aux règles bruxelloises (directives ou règlements, et arrêts de la CJUE). En droit la question est connue comme étant celle de la hiérarchie des normes. Selon une jurisprudence constante de la Cour de Luxembourg (CJCE puis CJUE), la primauté du droit communautaire doit revêtir un caractère « absolu » et aucune règle de droit interne des nations européennes, même incluse dans la Constitution (considérée pourtant comme étant le sommet de la hiérarchie juridique interne), ne saurait faire obstacle à l’application des règles de droit communautaire (Arrêt CJCE Costa, 15 juillet 1964, ensuite explicité, notamment par la jurisprudence Internationale Handelsgesellschaft CJCE 17 décembre 1970, Aff. 11/70.). Ces solutions prétoriennes de la Cour européenne, qui impose la suprématie du droit communautaire sur le droit national même constitutionnel, ne se fondent que sur une idéologie de juges placés à cet effet dans cette juridiction, mais pas sur des fondements juridiques tirés des Traités. Elles sont donc illégitimes et la résistance à la méthode fédéraliste bruxelloise autoritaire, provoque des spasmes juridiques de plus en plus forts des Cours constitutionnelles de plusieurs pays européens (Autriche, Hongrie, Pologne, et en Italie l’arrêt Pozzani : Cour constitutionnelle italienne, 27 décembre 1973, n° 183/73). Toutefois le cas plus digne d’attention est celui de l’Allemagne. Déjà en 1974, dans un série d’arrêts « SoLange » (Laurence Burgorgue-Larsen, Les résistances des États de droit, De la Communauté de droit vers l’Union de droit, J. Rideau (dir.), Colloque de Nice d’avril 1999, Paris, LGDJ, 2000, pp. 423-458.) le Tribunal constitutionnel fédéral (situé à Karlsruhe) avait émis des réserves de constitutionnalité sur certains points essentiels de textes de l’UE, tant qu’ils n’étaient pas compatibles avec les garanties de protection des droits fondamentaux offertes par la constitution allemande. Le Tribunal se reconnaissait en conséquence compétent pour contrôler la conformité des normes de droit communautaire avec la constitution fédérale.
    Or, voici que la Cour constitutionnelle allemande vient en 2020 rappeler sa résistance et de réitérer sa position (Arrêt du 05 mai 2020 ; Bundesverfassungsgericht [BVerfG], 5 mai 2020, 2 BvR 859/15, 2 BvR 1651/15, 2 BvR 2006/15, 2 BvR 980/16. Sur un sujet économique ultra sensible, la BVerfG a exigé que la Banque centrale européenne [BCE] justifie son programme d’achat d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires, dit « PSPP » [Public Sector Purchase Programme] lancé en mars 2015. Elle a considéré que la BCE n’avait pas expliqué pourquoi la politique qu’elle menait était « proportionnelle » aux dangers économiques auxquels la zone euro était confrontée à l’époque. C’est la première fois que l’Allemagne refuse d’appliquer une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle avait validé en 2018 le programme PSPP de la BCE à l’occasion d’une question préjudicielle — Jean Claude Zarka, L’arrêt du 5 mai 2020 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne…, in extenso, 03/07/2020 : « La Banque de Francfort (BCE) est sommée de justifier le bien-fondé de ses rachats de dette publique menés depuis 2015, qui, selon le BVerfG, ont eu des effets négatifs sur des pans entiers de l’économie —.
    La Commission Von der Leyen s’est sentie tenue d’enclencher (le 9 juin 2021) une action judiciaire en manquement contre l’Allemagne (Cécile Boutelet et Virginie Malingre, La Commission européenne accuse l’Allemagne de prendre le risque d’une « Europe à la carte », Le Monde 15 juin 2021 ; Anne-Marie Le Pourhiet et Jean-Eric Schoettl, Démocratie contre supranationalité : la guerre des juges aura bien lieu, Revue politique et parlementaire, 1er juillet 2021). Tant il est vrai qu’une seule maille rongée emporterait tout l’ouvrage comme l’assure La Fontaine.
    Le prochain et nouveau gouvernement français devra dès mai 2022 (dans neuf mois) mettre à profit son état de grâce pour annoncer son intention de consulter, par référendum, la Nation sur les réformes profondes de nature à enrayer le déclin rapide du pays, et donc de prévenir de graves troubles. Mais le référendum essentiel, s’il ne devait y en avoir qu’un seul, serait celui qui trancherait cette question de la « hiérarchie des normes » et permettrait ainsi à la Nation de reprendre sa Liberté dans les domaines les plus importants, consubstantiels de sa Souveraineté. Ce référendum (en octobre 2022 ?) devrait proposer au Peuple français une profonde réforme de la Constitution pour qu’il retrouve sa dignité et sa liberté républicaines. Ainsi les plus graves des atteintes à la souveraineté de la République seraient abrogées à jamais, et l’Union européenne sauvée d’elle-même.
    Le contenu possible du texte référendaire pourrait être :
    Un rappel fondamental du Préambule constitutionnel (déjà existant) : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. »
    La conséquence oubliée de ce préambule dans la question essentielle : « Voulez vous que, pour restituer sa pleine souveraineté à la République et à la France, soient introduits ou ajoutés dans la Constitution les principes suivants ? »(les ajouts et modifications sont en gras) :
    Article 3 : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, selon les règles des articles 11, 53, 54, 55 bis, 88-1, 89. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Quiconque, français ou étranger, tenterait de porter, ou porterait atteinte aux principes du préambule et du présent article se rendrait coupable de crime contre la Nation, trahison, ou autres crimes d’atteinte à la sécurité nationale. — notons que le code pénal évoque la trahison (art. 411-1 et s.) et le complot (art. 412-1 et s.). Le Code de justice militaire n’évoque pas expressément la haute trahison mais les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation en temps de guerre (art. 476-1 et s.) ce qui renvoie aux infractions du code pénal. Faudrait-il étendre ces incriminations, notamment la trahison, au temps de paix ?
    Article 53 : Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées.
    Lorsqu’un traité n’est pas applicable sans une modification ou une atteinte à la Constitution ou à ses principes fondamentaux, un référendum est organisé. Tout manquement à cette règle entraîne la nullité de plein droit de la ratification et de l’application de ce traité, la mise en cause pénale du chef de l’état, des membres du gouvernement, pour forfaiture ou haute trahison ainsi, s’il y a lieu, des juges, co-auteurs ou complices de cette forfaiture ou haute trahison.
    Article 54 : Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés et sénateurs (au lieu de soixante députés ou soixante sénateurs), a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. Cette révision ne peut être adoptée que par référendum.
    Article 55 : Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. La constitution est la loi suprême du peuple français. Aucune règle même internationale ou européenne ne peut s’imposer à la constitution du peuple français.
    Tout manquement à cette règle entraîne la nullité ou l’inexistence de plein droit de tout acte contraire, la mise en cause pénale du chef de l’état, des membres du gouvernement, ainsi que toute autorité institutionnelle, y compris judiciaire, ou étrangère, pour forfaiture, haute trahison, ou atteinte à la souveraineté nationale.
    Article 55 bis : Les règles concernant l’immigration, la nationalité, sont établies par référendum, ont valeur constitutionnelle et ne peuvent être modifiées que par référendum. »
    Article 88-1 : La République participe à l’Union européenne constituée d’États « souverains » qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent des seuls traités ratifiés par référendum (à la place du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007).
    Voilà comment pensons-nous — comme d’ailleurs d’autres juristes — la meilleure façon de rétablir l’essentiel de la souveraineté internationale de la France, sa libération du carcan bruxellois sur les sujets majeurs, sans pour autant tenter l’aventure du Frexit qui serait fatale à la belle idée européenne.
    Il resterait à régler néanmoins deux autres questions de souveraineté : celle de la souveraineté interne du Peuple français, qui pourrait résulter d’une systématisation de référendum obligatoires sur les sujets majeurs, ainsi que de l’élargissement des référendums d’initiative, ainsi que celles, épineuses, de la dette et de l’euro. Nous y reviendrons prochainement.
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