Le démantèlement de la Belgique est un processus lent, certes, mais, de réforme en réforme et de renoncement en renoncement, il n’est pas sûr du tout que les inévitables concessions faites à la Flandre pour retarder le moment de la séparation, soient de nature à garantir le meilleur avenir possible à la Wallonie et à ses habitants.
Voici un quart de siècle, Claude Eerdekens, alors chef de groupe socialiste à la Chambre, avait électrisé l’assemblée en déclarant que, face à la pression flamande, la Wallonie avait une autre option que de céder au chantage permanent d’une Flandre à la fois plus riche, plus nombreuse et plus consciente de ses intérêts, déjà pressée de couper le cordon (et surtout les cordons de la bourse) avec une Belgique francophone dans laquelle elle ne se reconnaissait pas.
Dès que la Belgique est devenue officiellement fédérale, en 1993, les plus hautes autorités flamandes ont réclamé le confédéralisme et la pression sur la sécurité sociale est allée crescendo, avec l’image insupportable d’une Flandre qui serait la vache à lait de la Wallonie. C’est ce genre de discours, cette accusation de défendre un fédéralisme de consommation qui, le 10 juillet 1996, fit sortir Claude Eerdekens de ses gonds. « Si vous voulez que la France se trouve aux portes de Bruxelles… », a-t-il lancé. Suffisant pour produire un emballement médiatique…
Presque vingt-six ans plus tard, le démantèlement de la Belgique se poursuit. Une 7e réforme de l’Etat est annoncée pour 2024. Claude Eerdekens nous a autorisés à publier ce qui suit.
« Il est évident que 2024 est une échéance particulièrement inquiétante.
« Comme Jules Gheude l’a exprimé début mai 2022 dans « Le Monde », un succès des partis nationalistes flamands, NVA et Belang, pourrait aboutir à ce que les Flamands partisans de l’indépendance de la Flandre soient demain majoritaires à la Chambre.
« Il y a par contre d’autres éléments qui doivent être pris en considération. Ils me font penser que le pire serait à venir.
« 1°) La Flandre est l’une des régions économiquement les plus prospères d’Europe.
« 2°) La Wallonie tente de se redresser. Toutefois, le niveau d’emplois n’est pas suffisant, malgré certains succès remarquables enregistrés dans des entreprises de pointe en lien avec nos universités.
« 3°) La santé financière très périlleuse de la FWB pourrait mettre en péril les finances wallonnes.
« Les Wallons et les Bruxellois francophones perdent de vue qu’en Belgique, les pensions des enseignants des trois régions et communautés sont payées par l’Etat fédéral. Il est vraisemblable qu’à terme, les Flamands puissent exiger que chacun doive assurer le financement des pensions.
« D’ici quelques années, sauf redressement et miracle à venir, la situation financière de la Communauté française deviendra intenable. Tout le monde en est conscient.
« 4°) Les Gouvernements actuels, tétanisés par la progression des extrémistes, le Belang en Flandre et les communistes en Belgique francophone, font tourner la planche à billets dans une course éperdue pour éviter le pire. Un jour, il faudra malgré tout rembourser cette dette à tous les créanciers de nos pouvoirs publics.
« 5°) Les pouvoirs communaux sont proches de la déconfiture par des transferts de charges du Fédéral vers le local qui épuisent ce que j’appelle « le baudet communal ».
« 6°) Les dépenses des zones de police, des zones de secours explosent.
« 7°) Au 1er janvier 2021, la perception du précompte immobilier a été régionalisée.
« L’indexation des salaires, heureusement pour le personnel communal en fonction de la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie, fait exploser les coûts salariaux des communes, de même que la facture énergétique.
« Les unes après les autres, les communes wallonnes vont tomber en faillite.
« Je ne pressens rien de positif pour l’avenir, même si par nature je suis optimiste.
« Il serait du devoir de tous les politiques d’oser dire la vérité aux citoyens sur la gravité de la situation financière de notre Pays, de la Région, de la FWB et de nos communes et provinces.
« En conclusion, je partage le sentiment qu’en 2024 et dans les années qui suivront, face à la progression des indépendantistes en Flandre, la situation des Wallons et des Bruxellois francophones sera de plus en plus inconfortable dans notre Pays.
« On va devoir terriblement se retrousser les manches et faire preuve d’imagination. Personne à ce stade n’est en mesure de prédire l’avenir. »