Belgique, le pays kitsch

Nous reproduisons ici la version française de la chronique de Jules Gheude, publiée sur le site de l’hebdomadaire flamand « Knack », ce 22 février.

Qu’est en réalité la Belgique? Randonnée à travers un pays, qui n’est ni un Etat de droit, ni un Etat, ni une nation.

Jules Gheude bisPar Jules Gheude, essayiste politique

Un Etat de droit?

Certains politiques francophones invoquent volontiers le concept d’Etat de droit, par exemple lorsque la nomination d’une personne légitimement élue est contestée ou refusée (José Happart, Damien Thiéry).

Le 29 février, la liste linkebeekoise LB (93,85%) proposera son candidat-bourgmestre. Damien Thiéry, avec 1.200 voix, a été plébiscité et les nouvelles élections ont été organisées d’une manière totalement légale. Mais la ministre flamande de l’Intérieur, Liesbeth Homans (N-VA)  a fait savoir qu’il n’était pas question de nommer Damien Thiéry durant la présente mandature.

Le nom d’Yves Ghequiere (958 voix) est d’ores et déjà avancé. Le MR sacrifiera-t-il Damien Thiéry, comme le PS le fit avec José Happart en 1988 ? Ou bien cette situation engendrera-t-elle un casus belli au sein du gouvernement fédéral ?

Le concept d’Etat de droit suppose que la Constitution, la loi fondamentale, soit scrupuleusement respectée.

Celle-ci stipule notamment que le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale. Tel ne fut pas le cas lorsque Léopold III se remaria en 1941 avec Liliane Baels.

Aujourd’hui, nous apprenons que le prince Amadeo a reçu l’autorisation royale de se marier… seize mois après la célébration du mariage. Une nouvelle entourloupette pour régulariser la chose rétroactivement !

La Constitution fut également malmenée lorsque le roi Baudouin, en 1990, fut placé par le gouvernement dans l’impossibilité de régner, alors que chacun savait qu’il était bien portant.

Ce fut encore le cas lorsque les responsables francophones décidèrent de débaptiser la Communauté française de Belgique pour l’appeler « Fédération Wallonie-Bruxelles ».

Je voudrais, à ce sujet, ouvrir une parenthèse.

Lorsque je suis amené à faire des conférences en Flandre, la question suivante m’est régulièrement posée : est-il exact que les francophones ont, avec ce concept de Fédération, un Plan B en tête ?

Ma réponse est claire. Si la Belgique se démantèle, une majorité de Wallons (63%) souhaitent constituer une « Belgique résiduelle » avec les Bruxellois. C’est ce qui ressort d’un sondage RTL-Ipsos-Le Soir réalisé en 2013. Mais 68% des Bruxellois se prononcent en faveur d’un statut indépendant. Une enquête faite par Rudi Janssens (VUB) en 2013 confirme la chose. Les formules où Bruxelles s’associe à une autre région ne sont nullement populaires : 4% en faveur de la Flandre, 4,6% en faveur de la Wallonie.

On voit donc que le WalloBrux est une chimère, une pure illusion. Si la Wallonie devait reprendre 35% de la dette publique belge, elle serait confrontée, avec un ratio dette/PIB de plus de 150%, à un scénario à la grecque. On comprend dès lors que les Bruxellois n’ont nulle envie de se montrer solidaires d’une telle situation. Ce WalloBrux souffrirait d’emblée d’un déficit chronique et sa dette ne ferait que s’accroître.

Fermons la parenthèse et revenons à notre sujet.

Un Etat ?

L’aventure manquée de l’équipe B-Fast au Népal, la Belgique qui se voit décerner le prix du « fossile du jour » dès l’ouverture de la COP21 à Paris, les fissures dans les centrales nucléaires, la manière bancale dont les autorités belges ont communiqué lors des actions antiterroristes à Bruxelles, la jungle molenbeekoise, la fermeture des tunnels bruxellois, la saga du RER…  Autant d’événements qui amènent à poser la question : la Belgique est-elle encore un Etat ?

Le journal français « Le Monde » y répond de manière négative, tandis que divers médias américains parlent de failed state.

En 1981, François Perin avait déjà souligné ce manque de crédibilité : La Belgique est un Etat si peu fiable que ses partenaires ne seraient peut-être pas fâchés de la voir disparaître. Il s’agissait ici des engagements de la Belgique envers l’OTAN, avec une armée dont le général Close avait dit qu’elle n’était jamais prête, jamais disponible.

Perin avait également comparé la Belgique à un souk…

Une nation ?

En fait, la Belgique est un artifice des grandes puissances de 1830, qui voulaient ainsi se protéger contre la France. Quinze ans après Waterloo, le spectre de Napoléon rôdait toujours…

Talleyrand, qui était alors ambassadeur de France à Londres, était très sceptique quant aux chances de viabilité de ce nouveau royaume. Lors d’une conversation avec la princesse de Lievin, il déclara : Les Belges ? Ils ne dureront pas. Tenez, ce n’est pas une nation, deux cents protocoles n’en feront jamais une nation. Cette Belgique ne sera jamais un pays. Cela ne peut tenir.

Dès le départ, le ver était dans le fruit. Comment une telle construction pouvait-elle évoluer sereinement, lorsqu’on lit cette lettre de Charles Rogier à Jean Raikem : Les premiers principes d’une bonne administration sont basés sur l’emploi exclusif d’une langue et il est évident que la seule langue des Belges doit être le français. Pour arriver à ce résultat, il est nécessaire que toutes les fonctions civiles et militaires soient confiées à des Wallons et Luxembourgeois. De cette manière, les Flamands, privés temporairement des avantages attachés à ces emplois, seront contraints d’apprendre le français, et l’on détruira ainsi peu à peu l’élément germanique.

Les francophones, dans leur grosse majorité, ignorent à quel point le Mouvement flamand a dû lutter pour obtenir les premières lois linguistiques, qui allaient permettre à la Flandre d’obtenir ses lettres de noblesse sur l’échiquier politique belge. Au début du XXe siècle, le cardinal Mercier parlait toujours de l’unité belge, cimentée par l’emploi de la langue française. Pour lui, le flamand était la langue des servantes et des valets.

Tout cela a laissé des traces durables et engendré un sentiment national flamand très fort. Aujourd’hui, la Nation flamande existe, ce qui rend le fédéralisme impossible.

Un Etat kitsch, qui s’évapore lentement

En 2010, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a chargé deux de ses membres (l’un de la majorité, l’autre de l’opposition) de s’enquérir de la situation belge. La conclusion du rapport est claire : les deux groupes linguistiques diffèrent trop pour se comprendre, ce qui rend l’existence du pays de moins en moins probable.

Dans une récente chronique publiée sur le site « Knack », Hendrik Vuye et Veerle Wouters, députés N-VA, ont expliqué comment les bastions unitaires (universités, partis, Ordre National des Avocats, ABVV/FGTB Métallurgie, syndicats du rail, exécutif des musulmans) se sont scindés spontanément. Cela montre que la Belgique s’évapore petit à petit.

Lorsqu’il présidait le parti libéral flamand, Karel De Gucht avait tenu le même langage :La Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer et, en attendant, n’apporte plus aucune valeur ajoutée à la Flandre (VTM, 6 novembre 2002).

Les leaders francophones se refusent à voir cette évolution. Tout se passe pour eux comme si la Belgique était vouée à l’éternité. Le réveil risque de faire mal.

Eric Defoort a un jour utilisé le mot kistch pour décrire la Belgique. Mais une chose est sûre : que peut-on trouver de valorisant à vivre dans un tel contexte, où la méfiance réciproque entraîne d’interminables querelles ? C’est épuisant et malsain.

10 réflexions sur « Belgique, le pays kitsch »

  1. Cette tribune libre contient quelques erreurs historiques. Permettez-moi d’en signaler une. La soi-disant lettre de Rogier à Raikem, qui – selon la source que l’on consulte – aurait été écrite soit en 1832 soit en 1834 est en réalité une falsification. Il s’agit d’une part d’une lettre d’un inconnu et d’autre part d’un commentaire d’un flamingant. Celui-ci disait notamment : ‘l’écrivain de la lettre pense priver ainsi les Flamands des avantages attachés à ces emplois. Ainsi ils seront contraints d’apprendre (…) et l’élément germanique sera détruit (…)’. Voilà un discours fait à Gand en 1866, discours dans lequel la ‘lettre’ de M. Rogier fut mentionné pour la première fois. Presque 40 ans après (en 1902) on démontrera la falsification. Ironie du sort: ce fut un flamingant qui l’a découvert.

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  2. À la limite, on s’en fout un peu de cette fameuse lettre!!! La réalité c’est que la Belgique a été créée, inventée en essayant de faire vivre sous la même bannière (ou le même drapeau) deux peuples très différents. Et on voit qu’on est arrivé au bout de ce processus qui n’a jamais vraiment fonctionné. La Wallonie doit revenir à la France, c’est la même langue, c’est culturelle et ça serait naturel! Les flamands quand à eux, peuvent créer un pays à eux seuls ou rejoindre les Pays-Bas. Bruxelles pourrait rester une région indépendante à part entière ou un district européen ou que sais-je… Et je n’oublie pas nos amis germanophones qui pourraient, s’ils le veulent, rejoindre l’Allemagne. Et comme ça, tout le monde est satisfait!!!

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  3. Quand en 1830, la Belgique s’appuya sur la bourgeoisie, il faut bien entendu comprendre la haute bourgeoisie détentrice du capital et donc du pouvoir réel. Les petite et moyenne bourgeoisies servirent d’auxiliaires.
    Que reste-t-il aujourd’hui de ce triptyque social ?
    La haute bourgeoisie s’est fondue dans des conseils d’administration internationaux. Cela signifie que ses intérêts sont protégés quoi qu’il arrive à la Belgique.
    Les deux autres bourgeoisies sont devenues une classe moyenne sans véritable ossature.
    Il reste donc la classe politique qui s’imagine devoir tout perdre si la Belgique disparaissait.
    Or, dans une Europe « démocrate » d’apparence, cette classe particulière semble utile et nécessaire; il n’existe donc pas de dangers particuliers pour la profession de politicien.
    Quant aux autres citoyens leurs peurs varieront selon les discours de la classe politique; de toute manière ils supporteront les événements.

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  4. L’auteur écrit que la Belgique est un artifice des grandes puissances de 1830, qui voulaient ainsi se protéger contre la France. Or, la Belgique indépendante date évidemment de 1830. Quant à l’Etat par lequel les grandes puissances se voulaient protéger contre la France, il a bel et bien existé. Cependant, il ne s’agissait pas de la Belgique, mais bien du Royaume Uni des Pays Bas (1815-1830). Affirmer que la Belgique n’existe que depuis 1830 est un mythe de la plus belle eau. Déjà en 1814, avant la défaite de Napoléon, les alliés ont proclamé l’indépendance de la Belgique. Et lorsque le gouverneur autrichien – qui adminsterait la Belgique jusqu’à l’instauration du régime hollandais – s’adressa au peuple, il utilisait les mots Belgique, Belges et patrie.
    Déjà à l’époque autrichienne (c.a.d. au XVIIIième siècle) on enseigna l’Histoire de Belgique dans les écoles. Pendant la Révolution Brabançonne (1787-1790), les révolutionnaires employaient déjà le tricolore belge. Van der Noot, le révolutionnaire anversois disait en janvier 1790 qu’il voulait « servir l’honneur des Belges ». La Belgique, comme tous les pays européens d’ailleurs (hormis l’Italie) s’est développée à travers une unification séculaire de principautés qui commença au XIVième siècle sous les ducs de Bourgogne. Il est évident qu’un sentiment pré-national naquît après des siècles de co-existence au sein d’une union économique, étatique (avec des institutions centrales), une religion commune (la religion étant la culture, jusqu’au 19ième siècle la langue ne jouait pas de rôle politique avant) sous des princes communs et j’en passe. Ainsi, nos contrées faisant partie d’une fédération (qui devint indivisible en 1547) ont évolué vers un Etat-nation moderne. Il s’agissait simplement d’un processus durant lequel entité étatique qui se transforma en une nation moderne durant le passage de l’Ancien Régime à la société capitaliste (comparable au processus actuel dans lequel la souveraineté des Etats est transférée vers un niveau encore plus haut, ou, formulé de façon négative, érodé par l’européanisation et la mondialisation…). Processus qui fut finalisé par la révolution de 1830 qui créa le Royaume de Belgique.Qui plus est, tous les États sont, par définition, artificiels. Aucun État n’a été voulu par la volonté divine ou par la nature. Il est erroné de considérer l’année 1830 comme celle de la « naissance » de la Belgique. Celui qui le fait doit considérer … 1958 comme la date de naissance de la France ou l’année 1990 comme celle de l’Allemagne. C’est en effet en 1830 que la Belgique adopta sa forme d’État la plus récente (une monarchie constitutionnelle et parlementaire), tout comme la France instaura en 1958 la Cinquième République ou l’Allemagne se réunifia en 1990. Les trois États sont naturellement (beaucoup) plus anciens que ces deux dates respectives.

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    1. Navré, Monsieur Bataille, mais la Belgique unitaire ( sa légende et ses mythes) date bien de 1830. Auparavant, il n’existait que des comtés, des duchés, des baronnies et autres provinces autonomes. Si on appartenait au Hainaut, on devenait étranger en Brabant comme ailleurs. Il fallut l’arrivée bouleversante de la France pour nous transformer en citoyens d’une unique entité administrative. Les Bourguignons furent des prédateurs qui n’organisèrent les territoires, appelés les Bas-Pays, qu’en vue de les ponctionner financièrement. Pour le reste, rappelez-vous l’origine des Joyeuses Entrées, tous les princes et monarques étrangers, avant 1795, qui nous occupèrent n’étaient que duc, comte ou prince d’ici comme de là-bas. Vous parlez d’un peuple. Ce fut le cas des Habsbourg excepté l’Empereur Joseph II qui fut représenté par un régent – ambassadeur ce qui l’exemptait des traditions de nos contrées. Quant aux adjectifs « belges », ils furent créés de toute pièce parce qu’il était impossible, précisément, de nommer communément toutes les populations hétérogènes du Hainaut aux îles de la Frise.
      Pour terminer, la Révolution Brabançonne, le tricolore germano-belgo-brabançon, et Van der Noot (le révolutionnaire anversois) ne concernaient pas les Wallons mais, selon la terminologie actuelle, uniquement les Flamands.

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      1.  »Auparavant, il n’existait que des comtés, des duchés, des baronnies et autres provinces autonomes. Si on appartenait au Hainaut, on devenait étranger en Brabant comme ailleurs »

        Personne n’y l’autinomie des principautés. Mais quid alors des institutions centrales qui dataient déjà de l’époque des Bourguignons, reprises par les Habsbourgeois, de la loyauté dynastique, du tissu économique et socio-culturel ancré dans le catholicisme? Au début du 18ième siècle, on appelait nos contrées  »Belgica Regia ». Il y a des monnaies qui en témoignent. La Pologne, la France, l’Hollande, l’Espagne, le Royaume-Uni etc. se sont tous formés à partir de fédérations d’entités plus ou moins autonomes.

         »Il fallut l’arrivée bouleversante de la France pour nous transformer en citoyens d’une unique entte administrative ».

        D’une part, la France a acceleré le processus de formation d’un Etat-nation. Mais elle ne l’a pas créée dans le vide. D’autre part, la France était – comme avant les Autrichiens sois Joseph II et après pendant l’époque hollandaise – apercue comme un occupant.

         »Les Bourguignons furent des prédateurs qui n’organisèrent les territoires, appelés les Bas-Pays, qu’en vue de les ponctionner financièrement »

        Les Bourguignons étaient les souverains légitimes. (En politique, tout le monde peut-être appelé un  »prédateur »).

         »le reste, rappelez-vous l’origine des Joyeuses Entrées, tous les princes et monarques étrangers, avant 1795, qui nous occupèrent n’étaient que duc, comte ou prince d’ici comme de là-bas. »

        Voir ma réponse à votre première remarque.

         »Vous parlez d’un peuple. Ce fut le cas des Habsbourg excepté l’Empereur Joseph II qui fut représenté par un régent – ambassadeur ce qui l’exemptait des traditions de nos contrées »

        Je ne comprends pas cette argumentation…

         »Quant aux adjectifs « belges », ils furent créés de toute pièce parce qu’il était impossible, précisément, de nommer communément toutes les populations hétérogènes du Hainaut aux îles de la Frise »

        Chaque nom de chaque Etat a été créé et a subi des changements quant au territoire qu’il désignait. N’empêche que le mot Belge est – ensemble avec le mot  »Grec » (hellène) le plus ancien terme sur le continent pour désigner une nationalité.

         »Pour terminer, la Révolution Brabançonne, le tricolore germano-belgo-brabançon, et Van der Noot (le révolutionnaire anversois) ne concernaient pas les Wallons mais, selon la terminologie actuelle, uniquement les Flamands »

        Je vous conseille le livre de H. SCHLITTER, Geheime Correspondenz Josefs II. mit seinem Minister in den österreichischen Niederlanden, Ferdinand Grafen Trauttmansdorff. (1787-1789), Vienne, 1902 qui reprend la correspondance impériale de l’époque et notamment p. 699 e.s. Il se révele de cette admirable documentation que le mouvement  »Pro Aris et Focis », fondé en mai 1787 s’était répandu très vite vers toutes les provinces belges. Pendant l’été de 1789, les patriotes belges furent accueillis et organisés à Liège. En automne la révolution éclata: d’abord à Anvers, ensuite au Brabant et au Hainaut. Pour preuve: suite aux événements, le comté de Hainaut recoit à nouveau sa constitution le 21 novembre.

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    2. La thèse selon laquelle un sentiment national belge préexistait à l’Etat belge de 1830 est contestée par de nombreux historiens. C’est la vision finaliste, téléologique, de Pirenne. A l’instar des historiographes officiels du royaume, je constate que M. Bataille ne dit rien de la Principauté de Liège, ni des Liégeois (au sens large) qui n’appréciaient pas beaucoup les « Belges », jugés réactionnaires. M. Bataille ne dit rien non plus de ces autres couleurs (le bleu, le blanc et le rouge) qui furent arborées à Verviers et à Liège, notamment. Et, bien sûr, il met sous le boisseau l’élan francophile qui, en Wallonie, se fracassa sur l’écueil du (déjà) sacro-saint équilibre européen, et fit de la révolution de 1830 une révolution avortée. Cela étant, c’est le présent qui compte. Que nous révèle-t-il ? Qu’après six réformes de l’Etat (et une septième en préparation ?), il ne peut être question d’une nation belge, ce que l’actualité quotidienne confirme à l’envi (M. Gheude en souligne quelques exemples). Pour ma part, je ne me résigne pas à accepter les discours anesthésiants, sans grandeur, sans perspective, sans stratégie d’ensemble, que distillent les partis traditionnels de Wallonie et de Bruxelles.

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      1. Pirenne n’avait pas de vision téléologique. N’a-t-il pas écrit que le travail des ducs de Bourgogne fut à la fois le résultat de coïncidence et d’organisation? Quant à la principauté de Liège, je vous renvoie à ma réponse à M. Jemappes. Vous écrivez que les Liégeois n’appréciaient pas les autres Belges. Je n’en vois pas de preuve historique. Qui plus est, les Bavarois n’appréciaient certainement pas les Prussiens. Pourtant, ils cohabitent aujourd’hui dans le même Etat. Je suis plutôt intrigué par la soi-disant francophilie de la Wallonie. Comme l’historienne E. Witte l’a démontré le sentiment orangiste était notamment très fort … au sud de la Belgique.

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  5. Monsieur Bataille, les faits historiques que vous rapportez sont incontestablement exacts, mais l’interprétation que vous en faites relève de la profession de foi (c’est le cas de le dire) : on croirait lire du Godefroid Kurth, vous nous replongez en plein dix-neuvième siècle, époque où des historiens professionnels avaient été chargés de construire une histoire de Belgique, afin de donner des fondations à cet Etat surgi de nulle part en lui cherchant une existence depuis les temps les plus anciens. Tout y est, ainsi l’argument que la religion catholique aurait été le ciment et l’essence du « peuple belge » (passons sur le fait que la contre-réforme catholique a vidé la Flandre de ses élites urbaines qui étaient passées au protestantisme et l’a plongée dans une nuit noire jusqu’au milieu du XXe siècle – à l’instar de son promoteur, l’Espagne, qui disparaît dans la foulée peu à peu du concert des Nations jusqu’à la mort de Franco en 1975, soit quatre siècles plus tard ! ), ainsi aussi les neuf cents ans d’existence de la Principauté de Liège qui passent à la trappe, alors qu’en même temps vous glorifiez la « révolution » brabançonne , essentiellement flamande et visant à conserver un ordre ancien, laquelle n’a rien à voir avec la révolution liégeoise, directement inspirée des Lumières. On peut discuter à l’infini sur le caractère immanent de la Belgique (bien que j’aie mon idée sur la question, comme vous vous en doutez), mais cela n’a au fond que peu d’intérêt pour le propos qui nous occupe. Les faits sont là, la réalité est là, la Belgique d’aujourd’hui est un Etat évanescent, un échec patent, il n’y a pas de peuple belge, il n’y en a jamais eu et le très faible Etat belge n’a pas réussi à créer cet espace de solidarité que l’on appelle une nation ; la Belgique est une parenthèse historique qui va bientôt se refermer et elle disparaîtra comme ont disparu la Prusse, l’Autriche-Hongrie, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, l’Empire ottoman, l’URSS, pour ne m’en tenir qu’à quelques exemples du XXe siècle. A l’instar de l’Empire ottoman en son temps, la Belgique est devenu « l’homme malade » de l’Europe, dont la déliquescence commence d’ailleurs à inquiéter ses proches voisins (voir la saga des centrales nucléaires), qui se demandent s’il y a encore un capitaine dans le navire, tant les centres de décision sont dispersés. Comme disait, je crois, Hermann De Croo, personne ne prendra jamais le pouvoir par la force en Belgique, parce personne ne sait où il est exactement. Il y a quelque jours, deux anciens diplomates se sont fendus d’un article dans La Libre (23 février 2016 – « Plus de Belgique pour plus d’Europe ») au sujet de l’actuelle crise européenne (qui ressemble d’ailleurs à la crise belge comme deux gouttes d’eau, et en cela, la Belgique est bien ce fameux « laboratoire européen » dont on nous a si souvent parlé) dans lequel ils expliquent que l’Europe ne sera pas la bouée de sauvetage de la Belgique – comme elle l’espérait -, que la nouvelle Europe se constituera plutôt autour des nations traditionnelles et que dès lors la Belgique devrait se ressaisir et réactiver ses pouvoirs régaliens. Bref, ce que ces diplomates prônent, c’est le retour de la « Belgique de papa », que, comme beaucoup de francophones, ils regrettent. Cela procède évidemment du « wishful thinking », ou plus exactement du vœu pieux. Est-ce que, en tant qu’observateurs aguerris de la politique internationale, ils pensaient vraiment ce qu’ils ont écrit dans le dernier paragraphe de cet article, par ailleurs excellent ? Comment peut-on imaginer un seul instant que le processus de dislocation de la Belgique va s’arrêter, et même s’inverser, alors que l’on constate, chaque jour qui passe, que la Flandre acquiert peu à peu toutes les caractéristiques d’un Etat souverain et se désintéresse au plus au point de la Belgique, qui ne lui apporte, comme il est dit ci-dessus, aucune valeur ajoutée. Il faut être aveugle – ou Wallon ou Bruxellois francophone – pour ne pas le voir.

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    1. Bonjour Monsieur,
      Merci pour votre commentaire très exhaustif. Permettez-moi de faire quelques remarques.
      1) Les histoires nationales ont évidemment été créées au fil du XIXième siècle, non seulement en Belgique, mais également dans des autres pays européens. C’est normal: les nouveaux Etats-nations venant d’apparaître et voulant se légitimer.
      2) Ceci étant dit, un historien H. Pirenne n’est pas seulement un des plus grands historiens belges, mais son Histoire de Belgique est également considéré – à juste titre d’ailleurs – comme un des chefs d’oeuvres de l’historiographie européenne. Même P. Geyl, une des figures proues du mouvement  »grand-néerlandais » avouait à huis clos que  »Pirenne (est) un génie » (cf. sa correspondance avec F.C. Gerretson, qui fut publié il y a quarante années). Quant à G. Kurth, je ne mettrait pas à la même hauteur, bien qu’il ait effectué un admirable travail historique.
      3) Sur les origines de l’Etat-nation belge, il convient également de lire l’oeuvre magistrale et plutôt récent de S. DUBOIS, L’Invention de la Belgique. Genèse d’un État-nation (1648-1830), Bruxelles, 2005. Dubois explique là l’évolution de la (proto-)nation belge durant deux siècles en consultant des milliers de sources. Evidemment, les nations, Belgique … ne sont ni nés par la volonté de la nature, ni par une intervention divine. Par contre leur existence ne se doit pas non plus à la pure coïncidence.
      4) Vous parlez de l’exodus des élites urbaines flamandes et de la contre-réformation. Certes, une partie des élites flamandes et brabanconnes a fui nos contrées au 16ième siècle (la région flamande dans le sens actuel et historiquement d’ailleurs fautif du mot n’existait pas à l’époque, … la principauté de Liège ne faisait pas partie de la contra-réformation espagnole et comptait également des gens qui employaient un idiome germanique parmi sa population). Toutefois, l’élément catholique a resté prédominant en Belgique jusqu’au années 1960. Voilà d’ailleurs une des raisons pourquoi deux nations nâquirent au 16ième siècle: une nation belge ne possédant pas encore l’indépendance, mais plus liée au centre de l’empire bourguignon et une nation hollandaise, protestante et orienté (jusqu’en 1945) sur la Prusse, puis sur l’Allemagne en particulier et sur le protestantisme en général.
      5) je ne  »glorifie » pas la révolution brabanconne. Cette révolution avait d’ailleurs deux composantes: un aile conservateur et un aile très libéral. Le mouvement était d’ailleurs tangible dans tout le pays: de Namur au Limbourg.
      6) Quant à la principauté de Liège: nulle part j’ai affirmé que le territoire du Royaume de Belgique correspond parfaitement au territoire des pays-bas habsbourgeois.
      7) Les prédictions sur la  »fin inéluctable » de la Belgique, on les répète depuis cent années …
      8) Vous citez un article de La Libre Belgique du 23 février 2015. Selon vous les deux anciens diplomates prôneraient le retour vers la  »Belgique à papa ». Ont-ils défendu la suppression du fédéralisme et le retour à une Belgique unitaire?

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