C’est pas moi c’est lui… Le jeu dangereux d’une partie de la presse française

Lu sur le site du quotidien « La Libre »

FRANCIS VAN DE WOESTYNE Publié le lundi 23 novembre 2015 à 19h57

EDITO Un commentaire de Francis Van de Woestyne, rédacteur en chef.

La presse française, plus précisément parisienne, se déchaîne ces derniers jours, sur la Belgique. À lire les reportages et éditoriaux, à entendre les émissions matinales, notre pays serait devenu “le berceau du terrorisme européen”, “une fabrique djihadiste”, une “Nation sans État”, “un Belgikistan”…

“Le Monde”, une référence, d’ordinaire nuancée dans ses analyses, fige la Belgique dans un portrait au vitriol. “ Au cœur de l’Europe, la sympathique Belgique est devenue une plaque tournante du djihadisme. Le pays”, écrit l’éditorialiste “doit se ressaisir”. Pour mieux enfoncer ces voisins insouciants, l’auteur rappelle : “ Il aura fallu qu’il connaisse la terrible affaire Dutroux, dans les années 90, pour qu’il réforme enfin sa police et sa justice”.
Nous n’avons évidemment pas attendu qu’une partie de la rédaction du “Monde” débarque à Bruxelles pour dénoncer les failles des services belges dans la lutte contre le terrorisme (voir ici), le laxisme coupable dont avait fait preuve l’ancien bourgmestre de Molenbeek, Philippe Moureaux, le manque de coordination entre les pays européens dans la traque aux djihadistes.

On ne peut évidemment nier que les attentats de Paris aient été décidés en Syrie, organisés en Belgique et perpétrés en France. Mais l’information a ses droits. Oui, il y avait des Belgo-Marocains, parmi les terroristes. Mais il y avait aussi des ressortissants français, vivant en Belgique. S’il est exact que plusieurs auteurs d’attentats sont passés par Bruxelles ou par Molenbeek, d’autres n’ont jamais quitté l’Hexagone sauf pour aller “se former” en Syrie. Des djihadistes, dont Nemmouche, ont été radicalisés dans les prisons françaises. Et Dutroux ? Que vient-il faire là dedans ? Faut-il que l’on reparle de l’affaire d’Outreau ?

La condescendance française n’a pas de limites. “Loin d’isoler la Belgique, il faut l’aider à se protéger et c’est ce que font les services français”, écrit Le Monde. C’est sans doute oublier un peu vite que ce sont les renseignements des services belges et marocains qui ont permis de localiser la planque d’Abaaoud à Saint-Denis. Tiens mais comment est-il parvenu à quitter la Syrie pour revenir à Paris, celui-là ? Il y a une explication : la France s’oppose toujours fermement à toute idée de PNR européen – le fichier des données des voyageurs aériens – lui préférant un PNR national. Et elle continue à refuser tout échange automatique d’informations entre les PNR nationaux. Avec de telles réticences, la traque aux terroristes n’est pas gagnée.

Reconnaissons-le : cet exercice – c’est pas moi, c’est lui…– a quelque chose d’un peu minable. On en est bien conscient. Il y a eu des failles partout. Et il est un peu vain de vouloir sans cesse rejeter la responsabilité des attentats de Paris sur d’autres pays amis. Ce petit jeu est d’ailleurs bien ce que cherche Daech : diviser, diviser diviser. En accablant les Belges de tous les maux, certains commentateurs sont tombés dans le piège tendu.

On le répète. Il n’est pas question ici de gommer certaines responsabilités et réalités belges, les lourdeurs institutionnelles qui peuvent gêner des enquêtes. Mais les critiques seraient plus faciles à accepter si elles venaient d’un État infaillible, un État qui serait un modèle du vivre ensemble et de l’intégration. Si c’était le cas, le FN, parti raciste, xénophobe, anti-européen, ne serait pas le premier parti de France. Mais sans doute les responsables du FN ont-ils été formés en Belgique…

Commentaire de l’AWF : Francis Van de Woestyne se sent blessé par la prose du quotidien « Le Monde » et nous pouvons le comprendre, la perfection des services de renseignements n’existant ni en France, ni en Belgique. De même, la référence à l’affaire Dutroux est hors-sujet, tant il est vrai que la justice française n’a pas été plus brillante dans l’affaire d’Outreau. Nous donnerons encore un satisfecit au rédacteur en chef de « La Libre » quand il regrette que la France s’oppose à toute idée de PNR européen et quand il reconnaît que les lourdeurs institutionnelles belges gênent les enquêtes.

Mais ergoter sur le fait que la Belgique, et plus particulièrement la Région de Bruxelles ne soit pas une plaque tournante du djihadisme et des trafics en tout genre (armes, drogues, prostitution, …) relève d’une mentalité laxiste bien belge.

Il en va de même sur la comparaison entre les politiques d’intégration et du vivre ensemble qui serait bien mieux en Belgique parce que le FN, parti raciste, xénophobe et anti-européen, ce que nous ne contestons  pas, serait le premier parti de France. Non, Monsieur Van de Woestyne, le premier parti de France est celui des abstentionnistes et bien des Wallons et Bruxellois, la retraite sonnée, passent la frontière pour aller jouir de la vie qu’offre encore aujourd’hui la douce France, loin des chamailleries communautaires belges, ne vous en déplaise. Les divisions apparues entre régions et fédéral pour quantifier la contribution de chacun à la COP21 ne sont-elles pas une nouvelle illustration du petit esprit qui anime certains de nos décideurs politiques ?

Un homme comme vous ne peut pas avoir raté le numéro de journalistes de la Première qui se sont attelés à comparer les discours de Charles Michel et de François Hollande. Ils se sont amusés à faire ressortir les différences entre les deux discours, celui de Charles Michel étant bien sûr beaucoup moins guerrier que celui du président français. N’était-ce pas là un jeu inadéquat alors qu’il eut été beaucoup plus correct de mettre en lumière les 90 % des deux discours qui se rejoignaient ? Mais nous savons que le french bashing est aussi un sport qu’apprécient certains journalistes belges.

En ces temps difficiles, soyons bons joueurs et reconnaissons que nous devons tout mettre en ordre pour parler, mais surtout agir à l’unisson. 

5 réflexions sur « C’est pas moi c’est lui… Le jeu dangereux d’une partie de la presse française »

  1. Effectivement, les journalistes « belges » de langue française travaillent tous, à des degrés divers, selon le canevas d’une officine officielle de propagande. Comme l’objet de leurs soins s’étiole, ils se doivent de discréditer le pays qui apparaît, même pour les citoyens les plus nostalgiques, comme la Terre Promise. Expliquez-moi pourquoi certaines populations bibliques peuvent obtenir, d’une manière ou d’une autre, une Terre Promise et pas les pacifiques Wallons ?
    Quant aux journalistes flamands, ceux-ci travaillent pour la Flandre !

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  2. Peut-être faudrait-il également mettre en référence l’article original du Monde…
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/23/la-belgique-une-nation-sans-etat_4815690_3232.html

    LIre – à propos de l’affaire Dutroux : « Mais le pays doit se ressaisir. Il aura fallu qu’il connaisse la terrible affaire Dutroux, dans les années 1990, pour qu’il réforme enfin sa police et sa justice. L’épreuve du terrorisme doit le conduire à renforcer sa sécurité, qui est celle de tous les Européens, et à s’interroger – comme la France – sur ses défaillances en matière de prévention et d’intégration. » Pour se rendre compte de la déformation induite à la lecture de l’édito de ce Van de Woestyne.

    Ceci dit, il faut reconnaître que « Le Monde » a un problème majeur de connaissance de ce qui se passe en Belgie-que et que l’on peut percevoir dans cette phrase : « Le pays a beau avoir retrouvé une certaine stabilité, il reste prisonnier d’un débat institutionnel que l’on a pu trouver pittoresque mais qui tourne au tragique et qui lui a fait perdre de vue l’importance de ses missions régaliennes. Confondant régionalisation et efficacité, cet Etat sans nation prend le risque de devenir progressivement une nation sans Etat ». Les « journalistes » ou plutôt correspondants du Monde qui consacrent habituellement des articles à ce pays qui n’est ni un Etat, ni une Nation, sont de fieffés belgicains unitaro-royalistes.

    Contrairement à ce « Rédacteur en Chef », je trouve cet édito du Monde bien pertinent.

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  3. Petite guéguerre entre journalistes de France et de la Communauté française de Belgique, qui ne fait pas avancer la recherche de solutions au terrorisme. Ces articles ne sont efficaces ni pour la France ni pour nous. Par contre, le commentaire mettant en relief la « mentalité, (non pas bien belge mais francophone) du Pays » est d’actualité. Plutôt que « trouver des excuses en publiant les erreurs du voisin » Mr. Van de Woestyne aurait pu reconnaître les nombreuses failles de notre système et accepter que:
    Nos services de sécurité seraient inexistants, sans l’aide des services secrets étrangers trop souvent ignorés;
    Notre justice francophone est gangrenée par la politique, stigmatisant les victimes et relâchant les coupables.

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  4. Bien sûr, la France n’a pas à faire la leçon à la Belgique en matière de lutte contre le terrorisme islamiste. Pas plus la patrie de Christiane Taubira que celle de Philippe Moureaux ne peuvent s’enorgueillir, c’est le moins qu’on puisse en dire, d’avoir réussi à éradiquer cette peste idéologique. Il y eu même, de part et d’autre, un refus de voir la réalité en face, de nommer les choses, voire, dans le chef de certains, de la passivité, dont on paie le prix fort aujourd’hui. Mais le surréalisme à la belge, cette culture en creux, comme aiment à s’en revendiquer les culturels en mal d’identité et les politiques en mal de projet, est en faillite. A part quelques esprits éclairés de ce petit royaume des aveugles et des sourds, dont l’écrivain Pierre Mertens, le ministre Wallonie-Bruxelles, Rachid Madrane et le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, trois personnalités qui tranchent dans le concert des « on-n’a-rien-à-se-reprocher ou on-n’accepte-pas-les-critiques », le choix du déni et de la complaisance est insupportable. Vu de l’étranger, le panorama des faiblesses, carences, erreurs, fautes et incuries du non Etat qu’est devenu la Belgique est sans doute plus aisé à contempler et à scruter. Un peu de courage et beaucoup de lucidité ne seraient pas du luxe en ces heures sombres où le surréalisme, en tout cas, pour un temps, doit cèder la place au réalisme. Qualité qui a cruellement manqué aux politiques belges et français ces trente dernières années.

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  5. Nos chers voisins, amis et frères de France, oublient un peu vite sur ce coup là, que Mohammed Mérad (Toulouse) n’avait rien à voir avec la Belgique, pas plus que les frères Kouachi ou Coulibaly. L’autre terroriste qui a tué une dame et échoué dans son plan était aussi français. Et de plus, dans les 8 terroristes, certains étaient bien français.
    Ont-ils oublié également un certain Fourniret (français), qui était au moins l’égal (si pas pire…) que « notre » Dutroux de sinistre mémoire!!!
    Enfin, on va pas leur en vouloir mais il faut que non seulement la France et la Belgique unissent leurs efforts en matière de lutte contre le terrorisme mais bien toute l’Union européenne qui a à revoir son système de défense et de frontières extérieures.

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