Pays-Bas et plat pays

Selon un sondage publié hier, un Belge sur quatre voudrait qu’on en finisse avec la Belgique, et 45 % souhaiteraient le « confédéralisme » ; en cas d’élection, les Flamands donneraient une majorité absolue aux nationalistes de la N-VA (23,3 %) et du Vlaams Belang (27 %). Dans ce contexte, le plus inquiétant n’est pas d’envisager « l’après-Belgique », mais de refuser de le faire. On sait ce qu’il en est du côté francophone. En Flandre, une carte blanche a fait resurgir la question du rattachement aux Pays-Bas et, commentant cette option dans une chronique du Trends, Amid Faljaoui a haussé les épaules en faisant part de son incrédulité.

Au nom de la Belgique, la Flandre est pourtant déjà occupée à retisser des liens que la révolution belge avait rompus. C’est qu’en 1830, la création d’une Belgique indépendante était loin d’être évidente : même dans les 2 % de la population qui ont pu s’exprimer par un vote, beaucoup ne voulaient pas se séparer des Pays-Bas (surtout en Flandre) et beaucoup ne pensaient qu’à retourner en France (surtout en Wallonie). L’« orangisme » a toujours été une tendance du mouvement flamand, au minimum sous la forme de relations privilégiées avec les « cousins » du Nord. Le plus dommageable, pour des Wallons qui font partie de « l’espace » français, serait de suivre aveuglément la Flandre dans sa volonté de rapprochement avec les Pays-Bas, car on ne voit pas comment la Wallonie pourrait devenir autre chose qu’un « hinterland » sous domination néerlandophone, avec le risque de connaître une situation comparable à celle de… la Flandre au XIXe siècle (à la différence que les Flamands ont toujours été majoritaires en Belgique et que leur passé glorieux a été chanté par les thuriféraires de l’identité « belge »). 

Nous reprenons ici la chronique d’Amid Faljaoui, suivi d’une réaction de Cédric Chopin, qui est français… et membre de l’AWF.

Et si la Flandre se rattachait aux Pays-Bas ?

Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Et si la Flandre se rattachait aux Pays-Bas ? C’est la thèse d’un économiste flamand.

En cette veille de week-end, on a enfin l’impression qu’on arrivera à former un gouvernement fédéral. Pour notre Belgique, on pourra dire qu’il était grand temps. Les personnes les plus impatientes sont souvent au nord du pays.

L’un d’eux, Peter De Keyser, ancien économiste en chef de la première banque de Belgique, a décidé de se lancer à son compte et a donc créé une société spécialisée dans la communication financière.

Et sa dernière idée est une bombe, il plaide pour la Flandre soit rattachée aux Pays-Bas. Pourquoi les Pays-Bas ? Parce qu’il y a un lien historique entre les deux régions, parce que les Pays-Bas font mieux que nous sur la plupart des critères socio-économiques que l’on peut choisir. Et puis aussi, parce que Peter De Keyser semble accréditer la thèse que la Flandre ne reçoit pas son juste dû de la Belgique et que les prochains impôts seront payés à 80% par les Flamands.

Bref, selon lui, si la Belgique ne marche pas, pourquoi ne pas essayer les Pays-Bas ? Cette opinion, Peter De Keyser ne l’a pas donnée dans un dîner privé, mais l’a rédigée pour le journal économique TIJD, c’est-à-dire pour le quotidien lu par tous les patrons flamands.

En tant que francophone, j’ai été étonné de cette soudaine envie de rattachement avec les Pays-Bas. J’en ai parlé à quelques patrons flamands et donc ça n’a aucune valeur de sondage, mais je dirais que les plus francophones de ceux que j’ai pu avoir au téléphone sont horrifiés par le message et disent qu’ils iront se réfugier à Bruxelles. Et puis, d’autres, plus nombreux, disent qu’ils en ont marre de la situation de blocage actuelle, car même s’ils restent attachés à la Belgique, ils estiment que nous sommes la risée du monde et que ce pays devient ingouvernable. Bref, que cela nuit à leur business car des décisions ne sont pas prises.

J’entends bien le message, mais en tant qu’observateur subjectif, je me dois aussi de poser la question à l’auteur de cette carte blanche dans le TIJD : en tant que Flamand, vaut-il mieux être majoritaire en Belgique ou minoritaire aux Pays-Bas ? Je ne dois pas mener une enquête approfondie pour constater que les principaux rouages économiques et sociaux fédéraux sont aux mains de managers néerlandophones. Très largement, et bien au-delà de la représentativité démographique du nord du pays.

Et puis, la plupart de mes amis néerlandophones me confirment qu’entre Flamands et Néerlandais, ce n’est pas le grand amour mais souvent le mépris réciproque. Donc, je n’ai pas vraiment compris l’utilité de cette carte blanche. Et vous ?

La réaction de Cédric Chopin

Voilà un article qui brise un tabou !

Ce Monsieur Peter De Keyser a le mérite de briser le consensus, non seulement belge, mais également flamand.

Non, le confédéralisme et l’indépendance ne sont pas les seules options possibles : l’option « thioise-orangiste » en est une autre !

Bien sûr, il y a une part d’exaspération et de provocation, face à une situation politique fédérale stagnante (mais le déblocage semble avoir débuté, suite au revirement des chrétiens-démocrates flamands).

L’article paru dans De Tijd a-t-il été traduit en français ? Cela permettrait d’aller à la source plus facilement.

Cependant, Amid Fadjaoui (chroniqueur que j’entends parfois sur Classic 21) reprend un certain nombre de clichés, sans doute pour minimiser la portée de la thèse de De Keyser :

« (…) vaut-il mieux être majoritaire en Belgique, ou minoritaire aux Pays-Bas ? ».

S’il est vrai que les décideurs flamands contrôlent de facto la Belgique, cette dernière peut également être vue comme un obstacle aux projets politiques et économiques flamands (cf. la question centrale des transferts financiers nord-sud, souligné par De Keyser).

De plus, et je fais là référence au projet de Mathias STORME (que j’évoque dans mon texte sur la question) : le « plan N ».

Ce juriste proche de la NVA prend appui sur le droit constitutionnel néerlandais, qui prévoit la possibilité de créer des territoires à statut particulier, rattachés à la couronne et à l’état néerlandais, mais pouvant bénéficier d’une autonomie interne (comme les Antilles néerlandaises). Loin d’avoir une diminution de son autonomie, la Flandre pourrait au contraire gagner sur tous les tableaux !

– « entre Flamands et Néerlandais, ce n’est pas le grand amour mais souvent le mépris réciproque. »

Je renvoie de nouveau à mon propre texte : c’est exactement le même type d’argument (en petite partie fondé, en très grande partie fallacieux) qui est invoqué, par les tenants de la Belgique à tout prix, pour « démontrer » l’incompatibilité entre la Wallonie et la France, qui rendrait la réunion impossible !

Je pense avoir au contraire montré que les points communs, entre la Flandre et les Pays-Bas, sont beaucoup plus nombreux que les différences, et que ces dernières, au demeurant, se sont largement estompées ces dernières décennies.

Cette relation d' »amour-haine » n’est pas plus marquée que celle qui peut exister, en France, entre Paris et « la Province », ou entre Paris et Marseille… Cela relève du cliché, et ce n’est pas un élément d’opposition « structurant ».

S’il s’agit réellement des seuls obstacles pouvant être invoqués, alors la thèse « thioise-orangiste » vient de gagner d’un seul coup plusieurs échelons de crédibilité !!

2 réflexions sur « Pays-Bas et plat pays »

  1. Bonjour.
    Tout d’abord, un grand merci d’avoir publié ma réaction !
    Toutefois, je voudrais m’excuser de certaines imperfections, l’ayant rédigée à chaud et dans l’urgence.

    Je voudrais également mentionner le lien vers le « plan N » de Mathias STORME :
    http://vlaamseconservatieven.blogspot.com/2010/11/un-plan-n-pour-la-flandre-et-bruxelles.html
    Celui-ci veut englober Bruxelles dans son plan, mais à part ce point majeur que je désapprouve, sa proposition est excellente, en ce sens qu’elle est le complément idéal de l’article de Peter de Keyser.

    Loin d’être une lubie, l’idée « orangiste » est donc on ne peut plus sérieuse ! Si elle venait à se répandre dans l’opinion publique flamande, ce serait une évolution considérable, et sans doute le vrai commencement du « compte à rebours » vers la fin de la Belgique…

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