Une rubrique de Michel Francard, Professeur émérite de l’UCLouvain, pour le journal Le Soir du 6 juillet 2019
Paris n’a pas toujours été la référence en matière de littérature française. La Wallonie l’a précédé… il y a longtemps !
Depuis quand parle-t-on français en Belgique ? L’éventail des réponses possibles est large : depuis un millénaire ou depuis un siècle, suivant le point de vue adopté. Avec une différence essentielle entre Bruxelles et la Wallonie : la capitale du pays se situe sur un territoire historiquement flamand et son histoire linguistique n’est pas celle de la Wallonie romane. Notre périple estival nous mènera de l’une à l’autre, en commençant par le sud d’une frontière linguistique dont le tracé n’a guère changé depuis le Moyen Âge.
Du français en Wallonie
Si l’on se base sur la réalité démolinguistique, il est avéré que le français n’est devenu la langue de communication dominante en Wallonie qu’après l’instauration de l’école primaire gratuite et obligatoire, en 1919. À partir de cette date, à des rythmes différents selon les milieux et les régions, le français va s’imposer au détriment des langues régionales romanes (wallon, picard, gaumais, champenois), bannies par l’institution scolaire car suspectes d’abâtardir la pratique d’un français « correct ». Le processus est aussi rapide qu’irréversible : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’unilinguisme wallon (sic) a cédé la place à un unilinguisme français.
Si l’on adopte un point de vue philologique, on constate que des textes français circulent en Wallonie depuis la fin du 9e siècle. Il s’agit de textes littéraires, juridiques ou savants rédigés dans une langue proche de celle parlée alors dans l’Île de France et qui n’est donc pas assimilable à l’une des langues régionales romanes en vigueur en Wallonie à la même époque. Pour être plus précis, les premiers « monuments littéraires » de la langue française proviennent du territoire de l’actuelle Wallonie ou de ses confins : il s’agit de la Séquence de sainte Eulalie (vers 882), du Sermon sur Jonas (10e siècle) et de la Vie de saint Léger (10e siècle).
D’un diaule pas très français
Comment peut-on assigner une origine géographique à un texte qui remonte au-delà de l’an mil ? En étudiant les formes linguistiques qu’il contient et en tentant de localiser celles-ci d’après ce que nous savons de l’histoire des langues pour la période considérée. Risquons l’exercice pour cette Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie, considérée par les spécialistes comme le premier texte littéraire écrit dans une langue romane distincte du latin et dont le français est aujourd’hui le continuateur.
Ce poème de 29 décasyllabes nous narre le martyre d’Eulalie après qu’elle a refusé d’épouser le mari qui lui était destiné parce que ce dernier exigeait qu’elle renie sa foi en Dieu. Le texte s’ouvre par quelques vers qui soulignent la beauté physique de la future sainte, en accord avec celle de son âme. De quoi susciter de bien sombres desseins, que l’auteur évoque sobrement :
Buona pulcella fut Eulalia
Bel auret corps bellezour anima.
Voldrent la ueintre li Deo inimi.
Voldrent la faire diaule servir.
Ce qui donne, un millénaire plus tard :
Eulalie était une bonne jeune fille.
Elle avait un beau corps, une âme plus belle encore.
Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre.
Ils voulurent la mettre au service du diable.
Dans cet extrait dont les formes linguistiques restent proches du latin, un mot retient l’attention pour l’origine géographique du texte : diaule. Son équivalent en français, diable, a conservé un -b- qui le rapproche de l’étymon latin diabolus. Par contre, tant en picard qu’en wallon, le -b- est absent. Ce diaule est donc un indice de l’origine wallo-picarde de la Séquence de sainte Eulalie, confirmée par d’autres formes du texte. En appliquant le même type de raisonnement, on peut associer à la Wallonie les deux autres monuments littéraires du 10e siècle : le Sermon sur Jonas et la Vie de saint Léger.
D’un fâcheux renoncement
La littérature française a donc d’abord brillé dans nos contrées, bien avant d’autres régions de France, en ce compris l’Île de France. Ce rappel historique peut surprendre, lorsqu’on connaît le prestige dont bénéficie Paris. Mais cela n’a pas toujours été le cas en littérature. Il faut attendre le 12e siècle pour qu’une œuvre majeure soit produite à Paris : il s’agit du Roman de Renart. Avant cela, Turoldus aura signé La chanson de Roland, écrite dans le parler anglo-normand. À la même époque, Béroul, auteur normand, produit une version de Tristan et Iseut ; le champenois Chrétien de Troyes entame son Perceval ou le conte du graal.
Le français a donc bénéficié très tôt d’une diffusion en Wallonie, ce qui autoriserait plus d’assurance dans notre rapport à cette langue souvent perçue comme appartenant au « patrimoine de la France ». Mais sa pratique a été longtemps l’apanage des seules élites, le reste de la population parlant les autres langues romanes de la Wallonie. Cependant, les classes favorisées ont maîtrisé le français et la langue régionale de leur choix jusqu’au début du 20e siècle. On leur doit d’ailleurs les premiers textes écrits en langue wallonne, dès le 17e siècle.
Si l’institution scolaire n’avait pas imposé le monolinguisme aux élèves de l’enseignement primaire, il y a fort à parier que la langue de la promotion sociale aurait coexisté jusqu’à aujourd’hui avec les langues de proximité et de solidarité. Et que ce plurilinguisme « naturel » aurait rendu les Wallons moins frileux face à d’autres langues, plus étrangères. Le diaule soit des coupeurs de langue !
Ayant appris au Lycée Royal de Forest l’histoire de la langue Française depuis le roman de Renard, Tristan et Yseult en vieux Français, j’ai pu ainsi voir son évolution par la littérature classique Française.. Avec Charles Quint en tant qu’empereur, il impose la langue Française effectivement parmi l’élite Flamande et les gros bourgeois notamment dans l’industrie textile, voir la configuration de La Lys et l’apogée des grandes tapisseries. Voir mon manuel scolaire dont je me souviens : « «De Gouden Eeuw ».
Les dialectes certes ont eu la vie dures. Je regrette toutefois toute cette culture locale disparue comme les contes et danses. L’histoire orale des anciens.
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Bonjour. Les Français de France ne le savent pas; mais le premier texte littéraire en français est en fait écrit en Wallon-Picard. Il est conservé à la bibliothèque de Valenciennes. Il en constitue le joyau, symbole de l’union indéfectible qui existe entre les français de France et les français Wallons.
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En effet. La communauté française de Belgique a reconnu officiellement le picard comme langue régionale endogène à part entière, aux côtés du wallon, du gaumais (lorrain), du champenois et du francique (décret du 24 décembre 1990). Sources wiki. Il est intéressant de le savoir. La France à ce sujet est je pense plus tatillonne comme d’habitude. Cela c’est moi qui le dit.
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Merci de rappeler ces réalités et surtout de mettre en évidence les conséquences de cette évolution.
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Il s’avère exact que nos instituteurs exigeaient, en classe et à la récréation, l’abandon du langage régional. Ils nous répétaient en boucle: « nous vous apprenons le français de l’Ile -de- France. » Contrairement à la débandade actuelle, nos Maîtres ne badinaient pas avec la grammaire et chaque semaine nous devions apprendre par cœur du vocabulaire, extrait de manuels bien conçus. Cette méthode permit à des milliers d’enfants de lire, d’analyser, de penser et d’entreprendre des études qui leur permirent d’accéder à l’ascenseur social par le mérite et non par le « caviardage » des notes et des examens. Navré mais pour de sombres raisons la gauche a tout détruit par opportunisme démagogique.
Cela étant , l’histoire linguistique de la Wallonie romane « colle » à celle de l’aire de langue d’oïl qui deviendra la FRANCE.
Brussel, actuelle capitale d’un Etat artificiellement composé par les armes étrangères se situe en Brabant ( excepté le Roman Païs), territoire historiquement thiois, bas-allemand, néerlandais, flamand depuis le 16e siècle. Que les idéologues belgicains bornés de la pseudo Communauté Wallonie – Bruxelles refusent la réalité de la frontière linguistique, dont le tracé n’a guère changé depuis le Moyen Âge, ne change pas le fait que la présence de la langue française à Brussel relève d’une importation de Wallons au 19e siècle. Pour les Bruxellois d’origine, la présence de la langue française résulte d’une volonté quasi coloniale du « pouvoir belge. » Un pouvoir mis en place après le retrait de la puissance néerlandaise.
La NVA, le Vlaams Belang et le Mouvement Flamand n’insistent pas assez sur ce point qui n’a rien d’un détail !
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Ce jeudi 11/07/2019 à l’hôtel de ville de Bruxelles à l’occasion de la Fête de la Communauté flamande, le PS était représenté par le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close, qui a mis en exergue la nécessité de défendre, parmi d’autres, l’identité flamande dans la capitale.
D’accord, je le répète à l’envi mais Brussel n’appartient pas à l’aire d’influence romane, wallonne, française. D’ailleurs, depuis Monsieur Close, le PS bruxellois le répète régulièrement !
Les Wallons, particulièrement les politiques, devraient rapidement en tirer les conclusions sinon ils vont lamentablement répéter l’erreur de leur lutte inutile et épuisante contre la flamandisation de l’université de Gent (1916-1923-1930). Ils n’en plus le temps ni les moyens.
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Ho combien juste..Je possède des reliures des petits journaux en wallon de mon grand-père,Li Mésse Arsouye.Un Wallon combatif….mais qui s’est comme beaucoup d’autres trompé dans cette lutte notamment à Gand………
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Comme Wallons, fiers de l’être, la langue française constitue notre patrimoine et la nature propre de notre personnalité.
En nous libérant du failed Belgium et en rejoignant la France, » Charles de Gaulle nous voici « , nous renforcerions sa résistance face à l’évanescence des Nations dans cette bouillabaisse européenne programmée par des idéologues dangereux.
L’article qui suit éclairera sur le fait germanique de la Flandre, qui n’a jamais rien eu en commun avec les Wallons depuis des siècles et des siècles et qui n’en aura jamais. ( Valmy)
La nation de Fichte et la nation de Renan : l’antinomie irrémédiable entre l’Allemagne et la France
Méprisant les sifflets, oubliant l’état de santé physique et politique de la chancelière, le vieux monde d’Emmanuel Macron paradait pourtant pour le 14 Juillet, tentant encore et encore d’accréditer l’idée caduque d’une Europe-État, dotée d’une armée intégrée. Il s’était entouré de chefs d’État à faible capacité militaire et du chef de l’OTAN qui pourrait bien disparaître, tant en raison du souhait américain que de la défection de fait de la Turquie.
Mais le Royaume-Uni, l’autre grande puissance militaire européenne qui le restera après les convulsions du Brexit, était absent.
Quant au mythique tandem franco-allemand, il fait eau de toute part. Car l’âme allemande de toujours n’est pas miscible avec la quête française. Comme l’explique si bien le Pr Anceau dans un ouvrage collectif majeur mais « blackouté » (Qu’est-ce qu’une nation en Europe ? Sorbonne, déc 2018), pour Fichte, la nation est fondée sur le sang et la germanité (y compris encore à ce jour pour les règles de la nationalité) alors que les Français, de Rousseau à Renan, en ont une approche contractualiste : le consensus pour vivre ensemble. Pourquoi une telle irréductible antinomie ?
Tout simplement parce que l’Allemagne bénéficie d’une longue continuité ethnolinguistique alors que la France n’est pas homogène et qu’elle a changé plusieurs fois d’identité. Il lui fallait donc inventer une autre forme de cohésion. Depuis les origines, les Germains parlent germain même s’il y a eu, longtemps, des variantes régionales qui restent encore vivaces. La langue gauloise a été remplacée peu à peu par le latin et par un patois gallo-romain.
Cette désuétude du gaulois a été rapide, au moins au nord, car le serment de Strasbourg (842) utilise déjà; à côté du vieux germain, une langue romane (gallo-romain) qui a survécu au nord (oïl) et au sud (oc). Et il faut ajouter que d’autres langues sont encore parlées : alsacien, basque, breton, kanak, catalan, corse, créole, flamand, gallo, galibi, mahorais, occitan… En vingt siècles, les hexagonaux et périphériques ont subi au moins deux ou trois acculturations en raison des pertes de continuité, de repères et de bagage linguistique et sémantique de tout ce qu’une langue enrichie par les siècles véhicule. Ce qui a rompu souvent des liens historiques et géographiques et amputé les transmissions intergénérationnelles. Sans parler des langues oubliées comme le franc, le burgonde, le wisigoth, le norrois. C’est énorme.
Ceci explique à la fois la force et la contre-productivité des postures politiques allemandes faites souvent de tentation dominatrice, par incapacité à concevoir la diversité qui n’existe pas dans leur héritage.
À l’opposé, si la France est une mosaïque, familiarisée de plus avec l’administration de vastes contrées colonisées en Afrique et en Asie, ce bloc de prime abord si fragile peut se souder – un peu comme les USA – derrière des thèmes fédérateurs, ceux de la République, des libertés, du respect mutuel et de la majorité, de l’État de droit et de la laïcité.
Or, le 14 juillet 2019 a fait voir sous une lumière crue qu’il y a désormais trois France qui se font face : place de la Concorde, celle du système patricien, sifflé ; sur les Champs, celle de la plèbe malheureuse, convulsive, matraquée ; et à l’Étoile, celle des banlieues, oubliant sa nationalité acquise et exaltant – dans une confusion édifiante – sa nationalité perdue.
Le Système semble incapable de comprendre cette scission, et encore moins d’y remédier. Ou bien il s’y refuse. Seul un leader inspiré et énergique pourra le faire : il lui suffira de s’appuyer sur l’immense majorité de nos concitoyens, consultés par référendum sur les sujets majeurs. Mais ils en sont privés depuis bientôt quinze ans (2005) et leur dernier vote a été trahi par les partis aujourd’hui moribonds – sans doute de ce fait –, partis alors majoritaires au Parlement.
Henri Temple, Universitaire, juri-économiste, expert international, dialecticien. Boulevard Voltaire, le 17/07/2019
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En parlant de langue française, tout citoyen wallon de cet Etat hybride, royaume bancal plus germanique que roman, peut s’interroger sur l’importance que revêt sa Région aux yeux du » bon Roi Philippe 1er » ?
Comme parents, ils détiennent, à titre privé, certes le droit de choisir l’enseignement qui convient le mieux à leur progéniture.
Toutefois, comme souverains du Royaume de België – Belgique – Belgien, ne devaient-ils pas, au minimum, choisir un enseignement partagé entre les trois communautés ?
Il semble que l’inclination familiale naturelle de nos souverains ait penché de facto vers un choix néerlando-anglo-saxon.
Point d’avenir politique hors de l’enseignement néerlandais !
Il est vrai aussi que, depuis 2017, les membres de la famille royale « belge » se réapproprièrent, l’ ancien titre allemand de SAXE – COBOURG , qu’ils pourront transmettre (sans honte) aux descendants.
Biffé pour toujours le « de Belgique », 14-18 et 40-45 relèvent de l’Histoire ancienne.
Mais nos souverains persévèrent.
Elisabeth étudie en Grande-Bretagne ( The future Queen of Belgium ?) comme tous les princes hollandais, allemands, autrichiens et scandinaves. De l’ entre – soi !
Et, aujourd’hui, la presse relate que Gabriel quitte le prestigieux Sint-Jan Berchmanscollege Brussel pour l’International School of Brussels à Watermael-Boitsfort. Objectif: le baccalauréat international !
Surtout ne pas préjuger pour les deux autres princes.
Qu’en pensent donc nos élites présidentielles et ministérielles de la Communauté française de Wallonie et Bruxelles (ollé!) de la bouderie royale à l’égard de leur » enseignement d’excellence » ?
A leur place, un questionnement devient nécessaire et urgent. Que Bart et consorts les nient comme des moins que rien, soit, c’est de la lutte politique. Mais que leurs monarques les boudent, voilà tout autre chose bien plus grave.
Pourquoi rester fidèle, en fin de compte, à des ALLEMANDS, qui vous cajolent avec des sourires de circonstance mais captieux afin de mieux vous retenir dans une entité de plus en plus proche d’une nouvelle sorte de Goulag ?
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