Par Jules Gheude
Ce qui se passe entre la Flandre et l’Espagne constitue une nouvelle illustration du caractère surréaliste de notre Royaume.
Lorsque les Commissariats aux Relations internationales des Communautés française et flamande se sont créés en 1983, certains ambassadeurs étrangers ont exprimé une certaine incompréhension, voire de la réticence, à l’égard de cette évolution institutionnelle qui permettait aux Communautés d’exercer également leurs compétences au niveau international. On leur expliqua que tout cela était constitutionnel et que ces Commissariats étaient, en quelques sorte, les ministères des Affaires étrangères desdites Communautés.
Les accords culturels, qui n’impliquaient jusqu’ici que l’Etat belge, allaient ainsi être désormais gérés par les Communautés, chacune de leur côté. Et, par sa signature, un représentant de l’Etat belge avaliserait le résultat des négociations à l’issue des Commissions mixtes, chargées de mettre régulièrement au point les échanges culturels.
Les Régions sont ensuite entrées dans la danse, au niveau de leurs propres compétences, et les entités fédérées ont fini par ouvrir des délégations dans un certain nombre de pays, les délégués désignés jouissant du statut diplomatique et de conditions identiques à celles des ambassadeurs belges.
C’est ainsi que la Flandre dispose aujourd’hui d’un représentant à Madrid. Mais celui-ci vient de se voir lever, par les autorités espagnoles, son statut diplomatique.
Madrid n’a, en effet, pas apprécié les déclarations de Jan Peumans, le président du Parlement flamand, à propos de la situation catalane.
Lors d’une visite à l’ex-présidente du Parlement catalan actuellement en détention, M. Peumans lui a remis une lettre dans laquelle il qualifie les violences policières perpétrées lors du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 d’action scandaleusement anti-démocratique. Et d’ajouter : Maintenir les politiques en détention pendant des mois l’est encore davantage et constitue une preuve que le gouvernement central en Espagne est incapable de remplir les conditions d’une Union européenne démocratique et moderne.
Propos qui n’ont rien de surprenant, lorsque l’on connaît les liens étroits qui unissent les indépendantistes catalans aux nationalistes flamands.
Il convient de rappeler ici que le Premier ministre Charles Michel fut le premier chef de gouvernement de l’Union européenne à avoir condamné la violence qui avait marqué le déroulement du référendum catalan : Nous condamnons toutes les formes de violence et réaffirmons notre appel au dialogue politique.
Ne faisons pas les hypocrites : la violence ayant été essentiellement le fait de la Guardia civil, la réprobation de Charles Michel ne pouvait viser que Madrid.
Interrogé aujourd’hui quant au différend qui oppose l’Espagne à la Flandre, Charles Michel déclare : Il n’y a pas de conflit diplomatique entre le gouvernement fédéral belge et l’Espagne. Chose curieuse, lorsque l’on sait que la N-VA, dont Jan Peumans est membre, fait partie du gouvernement fédéral.
Mais, pour le Premier ministre, c’est d’abord une responsabilité de l’Espagne et du gouvernement flamand de régler leur différend. Et de rappeler ici l’existence d’une certaine autonomie des entités fédérées en Belgique, et donc des autorités flamandes, sur le plan des relations internationales.
On sait à quel point la Flandre tient à cette autonomie. Lorsqu’il était ministre-président flamand, Kris Peeters se comportait d’ailleurs en véritable chef d’Etat, n’hésitant pas, lors d’une mission économique au Vietnam, emmenée par le prince Philippe en 2012, à se rendre au Myanmar pour y rencontrer Aung San Suu Kyi.
Aussi est-il assez paradoxal de voir aujourd’hui le ministre-président flamand, Geert Bourgeois (N-VA), demander au ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, de convoquer l’Ambassadeur d’Espagne pour le rappeler à l’ordre. Car, explique M. Bourgeois, la Flandre est une partie de la Belgique interfédérale et nous menons ensemble la politique étrangère.
Certes, on l’aura compris, l’intention de Geert Bourgeois est d’amener le gouvernement belge à s’immiscer directement dans le dossier catalan. D’autant que le Parlement flamand a unanimement exprimé son soutien à Jan Peumans.
Didier Reynders n’entend pas tomber dans le piège. Il ne lèvera donc pas le petit doigt. Tout au plus accepte-t-il que son ministère serve de boîte aux lettres entre l’Espagne et la Flandre.
Mais il n’en reste pas moins que l’affaire vient handicaper sérieusement les relations diplomatiques entre la Belgique et l’Espagne.
Pour ce qui est du dossier catalan, on ne peut toutefois que donner raison à Jan Peumans. La réaction de Madrid lors du référendum de 2017 constitue, comme l’a fort bien expliqué Alfred-Maurice de Zayas, professeur de Droit international et expert indépendant auprès des Nations unies, une violation flagrante de l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 1 stipule : Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
Cette disposition est capitale, car elle implique la notion du « standstill », qui permet aux juges de mieux protéger les droits fondamentaux en limitant les possibilités de recul. En d’autres termes, Madrid ne pouvait revenir en arrière après avoir octroyé l’autonomie à la Catalogne.
Sur ce point, Alfred-Maurice de Sayaz est formel : Dénier à un peuple le droit de s’exprimer lui-même sur le processus d’auto-détermination, dénier la légalité d’un référendum, recourir à la force pour empêcher la tenue d’un référendum, et annuler l’autonomie limitée d’un peuple en guise de punition, constitue une violation de l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Pour le reste, l’incarcération de responsables politiques démocratiquement élus et qui n’ont fait que respecter leurs engagements, ne peut que susciter l’indignation.
Que l’affaire vienne handicaper sérieusement les relations diplomatiques entre la Belgique et l’Espagne relève du jouissif.
Voilà enfin de quoi offusquer et choquer les maniaques de l’héritage controversé de Pirenne, tous ceux qui louent la « civilisation ensanglantée de la période espagnole dans la Belgique avant la Belgique (cf. Le Vif Express) ».
« Période historique espagnole » à ne pas confondre avec « odieuse occupation française » ; il faut toujours nuancer en Royaume de Belgique.
A ce sujet, loué soit Bart De Wever qui rappela aux hidalgos madrilènes, en termes choisis, le sac d’Anvers, connu comme la Furie Espagnole, du 4 novembre au 7 novembre 1576, au cours duquel moururent plusieurs milliers d’habitants. Ce massacre déclencha le soulèvement des provinces des Pays-Bas dits espagnols.
Défenseur obligé de la Belgique, le Premier Charles Michel, à l’instar de Didier Reynders, ne pouvait que déclarer l’inexistence d’un conflit diplomatique entre le Fédéral et l‘Espagne, toutefois l’exercice relève de l’équilibriste. Vivement 2019 qu’il puisse prendre des vacances.
Mais l’intérêt principal de l’article de Monsieur Gheude se situe dans le rappel de la disposition de l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui implique la notion « d’arrêt » empêchant un gouvernement de revenir sur l’octroi d’une autonomie concédée à une province ou à une région.
Bien qu’illusoire, vu la puissance de la Flandre, le Royaume de Belgique ne peut plus reprendre aux régions leurs prérogatives et leur autonomie.
Ouf !
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