Absurde, n’est-il pas ?

Par Georges Régibeau

La Belgique francophone a connu son janvier 68. Et comme à Paris, quatre mois plus tard, ce fut un électrochoc. Mais, entre ces deux vénérables institutions que sont la Sorbonne et l’Université catholique de Louvain, la distance n’aura jamais paru si grande. En finir avec le vieux monde, aux yeux des étudiants flamands qui battaient le pavé louvaniste, ce n’était pas se gargariser de joyeux slogans censés libérer les corps et les esprits. Pas de fête au quotidien, ni de communion fantasmée avec les innombrables victimes du capitalisme impérialiste et violent. Un slogan suffisait, mais c’était du lourd : « Walen buiten ». Les Wallons dehors. Les Wallons chez eux. Et, avec eux, la langue française.

Ce qui travaillait la Flandre en profondeur sortait comme un cri de révolte, obligeant les autorités religieuses et politiques à ouvrir les yeux. A l’Université de Louvain, le divorce fut aussitôt prononcé. La cassure s’étendit au Parti social-chrétien. Puis, très vite, ce fut le tour des autres formations politiques, incapables de maintenir leur unité « nationale ». Désormais, de part et d’autre de la frontière linguistique, légalement figée en 1962, les discours allaient devoir s’adapter à un électorat plus « communautaire », avec des intérêts divergents. La Belgique allait de plus en plus céder à une logique centrifuge. Après cinquante ans marqués par six réformes de l’Etat, sans compter un tas de mesures allant dans le même sens, et dans l’attente de la grande réforme suivante, on n’a pourtant pas l’impression que les médias « belges francophones » ont vraiment bien saisi la dynamique à l’œuvre en Belgique.

En témoigne l’éditorial publié le 17 janvier dans le Soir, signé Béatrice Delvaux. Comme on le lira ci-dessous, celle-ci a des accents qui feraient penser que la Wallonie ne doit pas avoir peur de se prendre en charge, en se trouvant par exemple un nouveau partenaire privilégié, qui lui conviendrait davantage et lui permettrait d’envisager sereinement l’avenir. Mais non, si elle en arrive à penser à de « nouveaux liens de solidarité », c’est pour revenir vers la Flandre. On n’est pas près d’envisager le vrai, le grand divorce. A chaque fois, les nationalistes flamands font hurler, puis on s’habitue, on leur dirait presque merci de nous avoir bousculés. C’est tout juste si on ne s’excuserait pas d’être aussi c…

La leçon qu’il faut tirer du « Walen buiten », selon Madame Delvaux ? Continuer à célébrer cette union parfois douloureuse et souvent compliquée avec la Flandre, en prévenant les coups par une plus grande souplesse, en sachant qu’il vaut mieux accompagner le changement que le subir, mais en répétant comme une évidence imparable qu’il serait absurde d’aller trop loin dans le processus de démembrement du pays car, bien sûr, tout le monde « sait à quel point le séparatisme est absurde pour certaines compétences ».

Absurde… On se demande où niche l’absurdité. A l’approche du carnaval, l’envie nous prend d’enfiler les habits de ce gaffeur d’Yves Leterme, alors Premier ministre, non pour sa mémorable et jouissive interprétation de la Brabançonne, confondue avec la Marseillaise, mais pour une très vilaine déclaration faite au journal français Libération, à propos des francophones de la périphérie, dont l’état intellectuel ne permettrait pas d’apprendre le néerlandais.

C’est une question que nous posons aux médias « belges francophones » : les Wallons sont-ils intellectuellement incapables de penser la fin de la Belgique ? 

Voici lédito de Béatrice Delvaux dans le Soir du 17 janvier :

Le « Walen buiten », humiliation et opportunité

Notre histoire commune de Flamands et de francophones reste hantée par des événements et des images du passé. Au rang de ce qui a construit les symboliques fortes de nos fractures communautaires, figurent les manifestations de janvier 1968 menées par des groupes d’étudiants dans les rues de Louvain et les saluts nazis de militants flamingants. L’émotion suscitée en Belgique francophone par le docu-fiction « Bye bye Belgium » doit beaucoup au souvenir de ces moments où les francophones ont eu l’impression d’être jetés dehors, expulsés de « leur » Belgique unitaire. « Walen buiten », « Walen go home » : quelle violence, quelle blessure, quel déchirement que cette répudiation publique ! Et quoi de plus fort pour marquer cette volonté de ne plus partager de destin commun, que la scission d’une université catholique vieille de 500 ans, concrétisée par la répartition des livres de la bibliothèque, et donc des savoirs, selon une méthode barbare : les numéros pairs pour l’UCL, les impairs pour la KUL. Le rejet de l’autre était devenu tel, que l’intelligence des élites ne pouvait même plus gérer la séparation : au plus vite au mieux, et bon débarras.

Ce « Walen buiten » et la scission de l’Université de Louvain semblait préfigurer une étape décisive dans la condamnation à mort d’un destin national, pour cause d’humiliations indélébiles. Or que constate-t-on cinquante ans plus tard ? Que les tragédies annoncées ne sont pas nécessairement au rendez-vous et qu’un mal considéré comme intolérable peut, au final, générer un bien. La seule évocation à l’époque de cette possibilité aurait été vue comme une trahison à la cause belge. Et pourtant, on se doit de reconnaître que le monde francophone et la Wallonie ont beaucoup gagné à l’installation en terres brabançonnes d’une université de très haut niveau. Les bénéfices pour le Brabant wallon, mais aussi pour les autres zones où l’UCL s’est implantée, sont considérables, tant en termes de production de diplômes que d’activité économique. L’UCL est aujourd’hui un pivot scientifique et intellectuel majeur, autour duquel se sont développées nombre d’activités économiques, médicales, architecturales, culturelles, sociales… La scission louvaniste a paradoxalement doté le sud du pays d’un moteur de développement autonome dont elle (sic) ne disposait pas et qui contribue aujourd’hui à son avenir. Charleroi tente tout aujourd’hui pour combler l’absence d’un tel outil.

On sait à quel point le « séparatisme » est absurde pour certaines compétences, mais on se doit aussi de reconnaître que dans certains cas, l’autonomisation de certaines entités ou activités profite à des régions forcées de retrouver une dynamique propre. Deux leçons donc, cinquante ans plus tard : il faut négocier ces tournants à temps, dans la lucidité plutôt qu’en y étant forcés dans la violence, mais il faut avoir la sagesse d’enterrer les haches des guerres passées pour reconstruire de nouveaux liens et solidarité, comme l’ont fait récemment et très intelligemment KUL et UCL.

2 réflexions sur « Absurde, n’est-il pas ? »

  1. Le comble, c’est qu’un Hendrik Vuye, proche de la NVA et même du Belang, enseigne à l’université de Namur, capitale de la Wallonie… sans que cela ne gêne personne. L’inverse en Flandre provoquerait des émeutes.

    L’université doit être détruite (L.-A. Blanqui)

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  2. De grâce, ne vous attardez sur les écrits de Madame Anne Delvaux, cette parangon de la belgitude au service d’intérêts financiers soucieux de profiter le plus longtemps possible de l’existence de l’Etat belge et des avantages qu’il procure à certains puissants.

    A titre de rappel : « La belgitude ne nie pas seulement les cultures française, néerlandaise et allemande de ses habitants ; mais aussi l’identité régionale de ses habitants. Ainsi la belgitude est la négation des identités flamandes et wallonnes. José Fontaine, militant régionaliste wallon et philosophe, définira d’ailleurs la belgitude dans ces termes : « C’est cela la belgitude, l’idée qu’être belge c’est avoir l’identité de la non-identité, d’être petit, minuscule, sans épaisseur, médiocre, hybride… tous défauts revendiqués comme tels et qui, assumés, deviennent la gloire belge actuelle. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une négation de la Wallonie, c’est la négation de toute appartenance, l’acceptation du vide, du non-sens, de l’errance, du non-lieu, du vide comme étant le plein. »

    Profitez donc de la version flamande du « Walen Buiten » 28 janvier 2018 16:30 Flandreinfo.be

    Affaire de Louvain: prélude d’un mai 68 aux revendications flamandes Auteur: J.A.

    lun. 15/01/2018 – 15:23 J.A. Il y a 50 ans jour pour jour éclatait la contestation « Leuven Vlaams » (Louvain flamande), une lutte en faveur de la scission linguistique de l’Université catholique de Louvain. Alors qu’en France, l’année 1968 allait mener à un véritable soulèvement estudiantin aux allures révolutionnaires, le mouvement de grogne à Louvain allait davantage se jouer dans le cadre d’une émancipation flamande.
    A l’origine, l’Université catholique de Louvain (Brabant flamand) était constituée d’une section néerlandophone et d’une section francophone, toutes deux placées sous une même direction. En octobre 1962, alors que la frontière linguistique est établie, l’université se retrouve officiellement en territoire flamand, mais demeure bilingue.
    A cette époque, le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, avec l’inscription notamment de nombreuses jeunes femmes. Un élargissement est alors décidé, à travers l’implantation de nouveaux campus à Wavre et à Woluwe. Le nouvel hôpital universitaire de Saint Luc (Woluwe-Saint-Lambert) voit le jour. De plus en plus de Flamands commencent à craindre que le Brabant flamand ne devienne entièrement bilingue.
    « Le Grand Bruxelles »
    En 1965, l’administrateur francophone de l’université, Michel Woitrin, jette de l’huile sur le feu en annonçant que les trois campus de Louvain, Wavre et Woluwe formeront dans 20 ans « le Grand Bruxelles ». L’idée de ce triangle francophone engendra chez beaucoup de Flamands la crainte d’un élargissement de Bruxelles et d’une francisation de cette partie de la Flandre.
    En mai 1966, les évêques, qui détiennent alors encore le pouvoir sur l’institution, décident de commun accord que l’université de Louvain resterait unie. Chaque section linguistique obtiendrait toutefois plus d’autonomie. Les Flamands sont mécontents : la grogne prend dès lors l’allure d’un mouvement anti-catholique.
    Les Wallons (et les bourgeois) dehors
    Début 68, la tension est à son comble. Un important mouvement de protestation est lancé. Les étudiants flamands scandent les slogans « Leuven Vlaams » (Louvain flamande), « Walen buiten » (les Wallons dehors) et « Waalse ratten rol uw matten » (Rats wallons, pliez bagage). Des paroles qui heurtent évidemment la communauté visée. Ce qui est toutefois moins souvent évoqué, c’est que outre les Wallons, cette protestation s’opposait également avec vigueur à la bourgeoisie francophone de Flandre.
    Le 15 janvier, alors que la section francophone déclare qu’elle restera sur le territoire, les étudiants flamands descendent massivement dans les rues. Les meubles et les documents du rectorat sont brûlés, des cours sont sabotés. Les manifestations se multiplient, malgré les interventions musclées des gendarmes et des policiers. Des étudiants sont arrêtés, mais l’insurrection gronde : « la protestation démocratique est devenue impossible. Nous devons donc changer de moyens », lancera notamment Paul Goossens, l’un des leaders du mouvement. Dans la foule, la démission du Premier ministre est exigée.
    Une scission inévitable
    Alors que les évêques se rendent compte que leur mandement de 1966 était une erreur, le gouvernement de Paul Vanden Boeynants tombe le 7 février 1968, suite à l’interpellation parlementaire de Jan Verroken (CVP/PSC). Le chef de groupe des chrétiens démocrates, dévoile dans la foulée une profonde division communautaire au sein plus grand parti de la coalition sur la question de Louvain.
    La scission est inéluctable. Quelques jours après la chute du gouvernement, les évêques annoncent que l’unité géographique de l’université n’est plus un point de rupture. Après des élections anticipées, la nouvelle coalition, menée par Gaston Eyskens, intègre à son programme la volonté d’une scission.
    L’Université catholique de Louvain sera officiellement scindée en 1970. Un an plus tard, la première pierre du nouvel édifice francophone est posée dans la commune d’Ottignies, un déménagement qui entraînera la création d’une nouvelle ville : Louvain-la-Neuve. Il faudra attendre 1979, et une longue querelle sur la bibliothèque centrale, avant que l’intégralité des activités francophones ne soit transférée.
    Des conséquences pour tout le pays
    Au final, la scission de l’université de Louvain aura profondément marqué l’histoire communautaire du pays. Elle engendrera en effet la séparation linguistique des principaux partis du pays, et l’émergence de certaines formations politiques communautaristes. L’évènement sera aussi l’un des déclencheurs de la réforme institutionnelle.

    Il s’avère urgent que la Wallonie cesse de se penser belge et qu’elle commence sa mutation en supprimant la RTBF et ses annexes et déménager tout son petit monde en Wallonie (peu importe où) afin de créer LA VOIX DE LA WALLONIE sans oublier d’élaborer des synergies avec les médias de France. Dès que cette opération aura été menée par le Gouvernement wallon, toutes les officines journalistiques francophones belges changeront leur fusil d’épaule. Mediapart n’aura plus intérêt à financer le Vif ( et sa propagande flamande) et le Groupe Rossel pourra proposer à madame Delvaux une retraite bien méritée pour service rendu au Régime.
    Quant à l’ UCL, comme toute université européenne d’envergure, elle  » place son ouverture au monde au cœur de ses missions de formation et de recherche. Les échanges d’étudiants, l’accueil de chercheurs et d’enseignants internationaux, les partenariats interuniversitaires, la participation active aux réseaux européens et mondiaux ainsi qu’une longue tradition de coopération au développement lui permettent d’exercer depuis près de 600 ans son rayonnement à travers le monde. » et bien évidemment pourquoi l’UCL snoberait-elle la KUL ?
    Il faut penser comme Madame Delvaux pour confondre universitaires wallons et nains de jardin vendus chez Colruyt .

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