« Voter Oui au Traité de Maastricht permettra de faire le poids face aux Etats-Unis. » C’était une affiche du Parti socialiste français.
Vingt-quatre ans après, le désenchantement est profond, et ce n’est pas sans raison. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ici la carte blanche que Pierre Defraigne a publiée dans La Libre.
L’industrie européenne prise dans l’étau américain
L’Europe n’est-elle pas simplement en train de construire un jardin à la française où ses concurrents américains et chinois déambuleront à loisir pendant que les entreprises et les régulateurs européens ratisseront les allées ?
UNE OPINION DE PIERRE DEFRAIGNE, DIRECTEUR EXECUTIF DU CENTRE MADARIAGA-COLLEGE D’EUROPE ET DIRECTEUR GENERAL HONORAIRE A LA COMMISSION EUROPEENNE.
Au moment même où ils négocient durement le TTIP, les Américains qui viennent d’obtenir de l’OMC une sanction de 12 milliards contre Airbus au titre d’aides illégales, soumettent l’Europe à la double pression de l’extraterritorialité et du pouvoir de marché de leurs « superstars » (1). Voici l’Europe placée entre le marteau et l’enclume.
Des dizaines de milliards de dollars
Le marteau est constitué par la juridiction extraterritoriale exercée par les départements de la Justice et du Trésor américains ou du procureur de New York dans des affaires de mauvaise pratique financière (Deutsche Bank), de non-respect des embargos de l’Iran ou de Cuba (BNP), de corruption dans des marchés publics de pays tiers (Alsthom) et de fiscalité. L’extraterritorialité n’est certes pas neuve. Ses proportions vont toutefois grandissant. Les confiscations imposées à des banques ou des groupes industriels européens s’élèvent à des dizaines de milliards de dollars et sont décidées dans des deals négociés hors cours par les avocats d’affaires pour éviter des jugements susceptibles de ruiner l’entreprise européenne.
Le dernier cas en date est constitué par la faramineuse amende de 14 milliards réclamée à la Deutsche Bank (18 milliards de capitalisation boursière) par le département de la Justice, pour son activité illégale dans l’affaire des subprimes, signe d’une saine rigueur certes, mais de toute évidence hors de proportion avec les sanctions imposées à ses concurrentes US. Deux poids, deux mesures ! On est en plein nationalisme économique. On est surtout face à un privilège impérial, insupportable à l’endroit d’un allié stratégique et d’un partenaire économique comme l’Europe. Cette menace d’amende pèse en effet comme une épée de Damoclès sur tout le système bancaire européen. L’intention agressive est évidente.
Autre exemple : dans une lettre à Angela Merkel, 130 CEO de multinationales, appuyés par le Trésor US, s’expriment contre la décision courageuse de la Commissaire danoise Vestagher d’exiger de l’Irlande qu’elle récupère 13 milliards de taxes dont elle avait indûment exempté la firme de Cupertino. Cette offensive américaine contre la souveraineté fiscale en Europe, doit être prise très au sérieux. Que cette lettre soit adressée à la chancelière allemande n’est pas une erreur de destinataire : l’Allemagne est à la fois l’Etat leader en Europe et un partenaire européen très dépendant des Etats-Unis pour sa sécurité; elle est donc la voie d’entrée idéale pour contourner la Commission et diviser le Conseil européen. On n’est plus dans la guérilla traditionnelle entre partenaires transatlantiques. Il s’agit d’autre chose.
Une politique de la puissance totale
L’enclume de son côté est figurée par le phénomène de concentration qui caractérise plusieurs secteurs, de l’agrochimique au numérique et à la finance et qui crée des structures de marché oligopolistiques extrêmement rentables (2). Ces fusions et acquisitions s’inscrivent dans une double logique : tantôt, elles répondent à la décélération de la croissance économique mondiale et à la perspective de ce que Larry Summers appelle une stagnation séculaire à l’Ouest, ainsi qu’à la montée de la Chine en puissance; tantôt, elles sont le produit de l’avance prise par le Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) dans la révolution numérique, initiée et soutenue, il faut le rappeler, par le Pentagone et qui s’étend aujourd’hui, notamment avec l’uberisation, à la numérisation en aval de toute l’économie mondiale.
L’Amérique entend non seulement que l’Europe se plie à cette double stratégie de puissance, mais aussi qu’elle lui serve d’alliée obligée dans son dessein d’un ordre international qui assoit à la fois ses principes et ses intérêts au sommet des institutions et des marchés internationaux. C’est une politique de puissance totale qu’elle poursuit, à la fois économique, financière, technologique et militaire, redoutablement efficace et complètement étrangère aux vues et aux moyens de l’Europe. Elle est poursuivie avec constance par Washington depuis le système multilatéral de Bretton Woods (1945) et à travers le Consensus de Washington jusqu’en 2008. L’Amérique, déjà investie du « privilège exorbitant » du dollar, combine plus que jamais supériorité stratégique et avance technologique pour promouvoir la prééminence de ses firmes et de sa finance sur les marchés mondiaux. Cette synergie de la puissance publique avec ses énormes moyens économiques, stratégiques et culturels, et des grandes firmes oligopolistiques exerce un impact irrésistible sur l’Europe dont le retard technologique va croissant.
Le triple piège
L’Europe est ainsi prise dans un triple piège. Sa dépendance stratégique d’abord : comment parler sur un pied d’égalité avec Washington, sans défense commune ? Ensuite, ses investissements croisés avec les Etats-Unis l’ont jusqu’ici empêchée de définir une préférence communautaire pour les véritables entreprises européennes. Enfin, le retard numérique de l’Europe la place devant un dilemme : faut-il tenter de rattraper les géants du numérique américains ou chinois, ou jouer plutôt la numérisation de tous les secteurs en aval en misant sur des réseaux ouverts, un accès aux big data, la libre circulation des données, une protection de la vie privée minimum ? Mais l’Europe, avec son projet de marché digital unique sans stratégie industrielle, n’est-elle pas simplement en train de construire un jardin à la française où ses concurrents américains et chinois déambuleront à loisir pendant que les entreprises et les régulateurs européens ratisseront les allées ?
Si l’objectif de l’Europe est de revenir à 20 % de valeur ajoutée industrielle dans le PIB en 2020, sera-ce par des segments de haut de gamme de ses propres chaînes globales ou sera-t-elle confinée dans le moyen et le bas de gamme des chaînes de production globales des grandes firmes multinationales US, voire chinoises ? Sans groupes industriels et financiers transnationaux de taille globale, l’UE ne préservera pas son modèle et n’accédera pas à l’autonomie stratégique. Et le TTIP compliquerait irrémédiablement leur émergence.
(1) C’est ainsi que « The Economist » du 16 septembre qualifie les nouvelles firmes globales oligopolistiques américaines.
(2) Aux USA, la rentabilité des firmes oligopolistiques américaines serait de 40 % supérieure à ce qu’elle est dans le reste du monde.
Tout cela est très juste mais à l’origine TOUS les gouvernements européens choisirent la vassalité face au USA. L’Europe et son rêve ne furent qu’une duperie à l’attention des peuples.
Question : serait – il trop tard pour changer de cap ? Rien que la problématique de la défense européenne fournit, hélas, la réponse.
L’Histoire nous enseigne, heureusement, que la vie des empires ne bénéficie pas de l’éternité.
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Très bonne analyse de la situation par Pierre Defraigne.
Il appert que l’UE, qui était un bon concept, a été rapidement corrompue par ses dirigeants, qui ont préféré prêter allégeance aux lobbies américains, que défendre l’économie des Pays partenaires.
Un exemple frappant est le boycotte économique de la Fédération de Russie, imposé par les USA.
Ce boycotte pénalise plus les entreprises Européennes que Russes qui s’est tournée vers les Pays du BRICS, pour alléger sa pénalité.
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Tout à fait d’accord avec toi, Guy !
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