La nation pour mieux vivre ensemble

Après le deuil, la réflexion. Bien des choses ont déjà été dites, écrites, avec plus ou moins de pertinence.

Des jeunes en mal d’affirmation personnelle, il y en a plein, tout le temps, mais que certains d’entre eux, confondant leur force avec la rigidité de leur dogme, rejettent avec tant de violence une société qui a multiplié les droits pour chacun, cela doit interpeller.

Notamment dans les écoles. Depuis le temps qu’on donne à l’enseignement la mission de former des « citoyens responsables », il ne devrait plus y voir de telles remises en question des valeurs démocratiques. On a dû se tromper quelque part. Ou on a fermé les yeux. Ou on a renoncé.

Dans une société qui ne reconnaît que des individus souverains, qu’on veut croire autonomes et rationnels, très loin d’une vision grégaire ou tribale de l’humanité, peut-être a-t-on négligé la dimension politique, le besoin de se ranger sous une identité commune, en s’inscrivant dans une histoire collective.

On le sait, la religion est un puissant facteur d’intégration sociale, ainsi que l’étymologie du mot l’indique, et on sous-estime sa capacité de remplir le vide identitaire, là où les lois du marché sont parfois les seules à réguler les relations sociales. Il ne suffit pas de laisser faire pour émanciper les hommes et donner forme à un idéal démocratique. A partir du moment où la religion est un choix comme un autre, et que l’on veille à ce que la diversité soit la règle, il ne suffit pas de prêcher la bonne parole en invoquant la tolérance et le vivre ensemble.

Il faut recréer du lien symbolique et culturel dans l’espace où l’on vit, pour intégrer les différences et les dépasser. L’individu n’existe que dans sa relation avec les autres. On a trop déconstruit l’idée nationale. Il ne s’agit pas de se laisser duper par les représentations, les croyances et les mythes. Il y a un nouvel équilibre à trouver. La conception française de la nation repose sur la participation du citoyen à la « chose publique ». Au-delà des cheminements personnels, des identités multiples et parfois meurtrières, il faut croire en ce qu’on fait ensemble et donner une valeur positive à ce qu’on partage… Et même avoir une patrie à aimer, comme on disait avant.

Après le deuil, la réflexion. En réalité, ce choc n’étant pas le premier, le débat a déjà été lancé. Par décret du 26 février 2015, le Premier Ministre Manuel Valls a nommé M. Malek Boutih, Député de l’Essonne, parlementaire en mission auprès du ministre de l’Intérieur et l’a chargé d’une réflexion sur l’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier.

Malek BoutihRemis quatre mois plus tard, le rapport de Malek Boutih n’a pas fait l’unanimité, surtout dans son propre camp, si l’on peut ainsi qualifier la gauche en général. Issu d’une famille algérienne, cet ancien responsable de SOS Racisme est très attaché aux valeurs de la République française et s’oppose à toute forme de communautarisme. On a peut-être eu de bonnes raisons de critiquer son rapport, qu’il n’a pas hésité à intituler Génération radicale, mais celui-ci mérite à coup sûr de nourrir la réflexion des uns et des autres. Surtout que maintenant, il y a eu le 13 novembre et le 22 mars…

Voici notamment ce qu’on peut y lire : « Le corpus de valeurs et l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales ne fournissent pas un cadre suffisamment englobant et sécurisant pour s’y ancrer et s’y attacher (…). La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli. Or une partie de la jeunesse refuse ces valeurs trop “molles” et cherche à se distinguer. » Bien sûr, pour avoir une vue plus complète sur ce rapport, il faut le lire :  Génération radicale.

« Il ne s’agit pas seulement de prévenir la dérive de quelques individus marginalisés ; il faut plutôt s’interroger sur le fait qu’une grande partie de la jeunesse se détourne de notre modèle de société. » Certains ont reproché à Malek Boutih d’amplifier, d’exagérer, de dramatiser. Près de deux cents morts plus tard, après les attentats de Paris et de Bruxelles, la réaction de Malek Boutih tranche à nouveau dans le vif quand on l’interroge sur RTL France : « Je dis les choses avec force et solennité : ça suffit les minutes de silence comme simple bilan politique. On n’arrête pas d’enchaîner des minutes de silence et, trois jours après, on retourne dans nos petites polémiques qui n’ont aucun intérêt. Si le gouvernement et les membres du Parlement ne se mettent pas au travail pour lutter contre les ghettos, les Molenbeek qu’il y a chez nous, contre les fractures, on va vers des demains très difficiles (…) En face, on a des gens qui essaient de nous détruire. Il est temps de comprendre qu’on est dans une autre dimension ». Pour l’ensemble de l’interview, cliquer sur le lien.

G.R.

3 réflexions sur « La nation pour mieux vivre ensemble »

  1.  » La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli.  » (lire ci-dessus) Ni Adenauer ni De Gaulle ne concevaient l’Europe de cette façon. Aujourd’hui nos pseudo – élites tentent de nous imposer une identité européenne à la mode macédoine de fruits, ce qui est une aberration. La particularité culturelle, artistique et philosophique du continent européen n’aurait jamais pu naître, au cours des siècles, sans les multiples nations et leur génie particulier.
    L’ International brouet n’est qu’un leurre et une imposture !

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    1.  » … il faut plutôt s’interroger sur le fait qu’une grande partie de la jeunesse se détourne de notre modèle de société. »
      Et la douce voix de Saint-Exupéry de s’émouvoir au delà de notre siècle :
       » …Si l’on me vient ensuite d’exiger de moi que je meure pour des intérêts, je refuserai de mourir. L’intérêt d’abord commande de vivre. Quel est l’élan d’amour qui paierait ma mort ? On meurt pour une maison. Non pour des objets ou des murs. On meurt pour une cathédrale. Non pour des pierres. On meurt pour un peuple. Non pour une foule. On meurt par amour de l’homme, s’il est clef de voûte d’une communauté. On meurt pour cela seul dont on peut vivre. » (extrait de « Pilote de guerre »)

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    2. Que les  » multiples nations et leur génie particulier » aient collaboré à la particularité culturelle de l’Europe est indéniable, mais il est tout autant indéniable que ce visage particulier de l’Europe est davantage que la somme des apports nationaux. Pour le dire autrement, l’identité ne se conjugue pas seulement en termes de différences, elle se conjugue aussi en termes de ressemblances, qui sont nombreuses et qui ne font pas de notre Europe culturelle un « brouet ».
      Il suffit de relire Michel SERRES à ce propos, qui préfère au brouet peu appétissant le costume d’Arlequin!

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