La Flandre se prépare. Et vous ?

« Partout, quand un Etat unitaire est travaillé par un mouvement nationaliste, il est impossible qu’il ne finisse pas par craquer. La sagesse est de s’en apercevoir à temps  ! » (Jean Rey – « Pourquoi Pas ? », 25 avril 1947)

Nous assistons, sous l’influence de plus en plus sensible du nationalisme flamand, à un démantèlement progressif de la Belgique. L’hypothèse d’une disparition de celle-ci n’est donc pas, comme le constatait feu Xavier Mabille, le président du CRISP, une hypothèse fantaisiste. Il convient dès lors que les francophones s’y préparent avec sérénité. Rien n’est plus dramatique que de se retrouver le nez sur le poteau, contraints de réagir dans l’urgence et la précipitation.

Contrairement à ce que la plupart des francophones pensent, le nationalisme flamand ne s’incarne pas uniquement au sein de la N-VA. Comme l’a fort bien souligné l’ancien ministre CD&V, Stefaan De Clerck : la relation entre la démocratie-chrétienne et le nationalisme est profondément ancrée dans l’ADN flamand. N’oublions pas non plus que c’est l’ex-Premier ministre démocrate-chrétien Yves Leterme qui a, en 2004, porté le cartel avec la N-VA sur les fonts baptismaux.

Il s’est constitué en Flandre, au fil du temps, un sentiment d’appartenance collective très fort, qui n’existe pas en Wallonie.

Le phénomène s’explique par la manière même dont a été constitué le Royaume de Belgique en 1830. Cette création découle d’une décision des grandes puissances européennes de l’époque pour se protéger contre la France. Tout cela s’est fait sans la moindre consultation des populations concernées. Même le choix du monarque nous a été imposé.

Dès le départ, le ver était dans le fruit, puisque les rênes étaient tenues par la bourgeoisie qui, tant au Nord qu’au Sud, s’exprimait en français. Les francophones, dans leur grosse majorité, ignorent à quel point le Mouvement flamand a dû lutter pour que la Flandre trouve sa place légitime sur l’échiquier politique belge. Au début du XXe siècle, le cardinal Mercier parlait encore del’unité belge cimentée par l’emploi de la langue française. Pour lui, le flamand était la langue des servantes et des valets. Ce contexte a laissé des traces profondes, comme on a pu le constater lors des deux conflits mondiaux.

Alors que le Mouvement flamand a manifesté une attitude bienveillante envers l’occupant, le Mouvement wallon s’est clairement inscrit dans la résistance.

La frustration, du côté wallon, fut grande de voir les prisonniers de guerre flamands très vite libérés. Il y avait aussi la fascination pour le chef de la France Libre. Aussi fut-il décidé, sous l’influence notamment de « Wallonie Libre », de mettre les pieds dans le plat sitôt la liberté retrouvée.

Rien ne fut négligé pour faire du Congrès National Wallon des 20 et 21 octobre 1945 une réussite totale. Jamais encore une manifestation n’avait été aussi représentative de l’opinion wallonne. Les 1048 participants  furent invités à se prononcer sur les quatre formules suivantes quant au sort futur de la Wallonie : 1° le maintien de la Belgique unitaire avec un mécanisme de décentralisation ; 2° l’indépendance complète de la Wallonie ; 3° l’instauration du fédéralisme ; 4° la réunion de la Wallonie à la France. C’est cette dernière option qui recueillit la majorité relative. Et en ajoutant les voix en faveur de l’indépendance, on obtenait, pour la première fois, un vote majoritairement anti-belge. Le cœur avait parlé !

Fernand Dehousse était alors intervenu pour souligner les remous que cela allait entraîner, notamment auprès des Américains et des Anglais. Le général de Gaulle a confirmé cela, tout en précisant qu’il n’aurait eu alors qu’à claquer des doigts pour que la Wallonie devienne française. On imagine, en effet, quel aurait été l’impact d’un « Vive la Wallonie libre », lancé du haut du balcon de l’Hôtel de Ville de Liège !

Il fut donc procédé à un second vote, celui de la raison, qui donna la majorité absolue, moins 12 voix, à l’option fédéraliste.

Cette option était de nature à arranger les choses, dans la mesure où elle permettait d’offrir à chacun un cadre institutionnel propre où il pouvait exprimer librement son identité. Mais il fallut vaincre bien des réticences pour y parvenir.

Ce qui intéressait surtout la Flandre, c’était l’obtention de l’autonomie culturelle. La Wallonie, en revanche, avait besoin d’une régionalisation pour pouvoir faire face au déclin industriel qui la frappait de plein fouet. Quant à Bruxelles, il fallait lui garantir un statut propre, de façon à ce qu’elle ne puisse tomber dans l’escarcelle flamande.

On constata très vite que le fédéralisme n’était pas une fin en soi pour la Flandre, mais un moyen pour progresser sur la voie de l’indépendance. C’est la raison pour laquelle François Perin  claqua la porte du Sénat en 1980. Pour lui, le fait que la Flandre s’était lentement constituée en nation compromettait la survie même de l’Etat.

En fait, le fédéralisme est dépassé depuis le début des années 1990, lorsque le ministre-président flamand CVP, Luc Van den Brande, a lancé l’idée du confédéralisme, idée qui a été adoptée, en 1999, par le Parlement flamand.  A l’époque, la N-VA n’existait pas !

L’objectif vise à octroyer le maximum de compétences à la Flandre et à la Wallonie, ces dernières assurant la cogestion de Bruxelles. Mais si l’on considère le confédéralisme sous l’angle du droit international, il s’agit clairement d’Etats souverains qui, à un moment donné, pour des raisons qui leur sont propres, décident de gérer un certain nombre de compétences en commun. C’est évidemment cette dernière définition qui anime aujourd’hui le parti de Bart De Wever. La réalisation d’un tel objectif suppose donc que la Belgique ait préalablement cessé d’exister.

Bart De Wever vient, comme on le sait, de charger une commission interne de son parti de préparer un projet confédéraliste pour 2019. Cette stratégie n’a donc rien de surprenant.

Quelle crédibilité peut-on accorder aux leaders francophones lorsqu’ ils se disent aujourd’hui opposés à une telle évolution ? En 2001 et en 2010, ils étaient aussi « demandeurs de rien ». Et pourtant, ils ont fini par céder…

Méfions-nous également du président du CD&V, qui déclare qu’il n’est pas favorable à une nouvelle réforme de l’Etat en 2019. A l’inverse de Bart De Wever, qui joue franc jeu, Wouter Beke tient un double langage. A un journal québécois, en 2007, il se disait clairement confédéraliste et ajoutait que si les francophones ne lâchaient pas du lest, la Flandre n’aurait pas d’autre choix que l’indépendance. Et alors que l’encre de la sixième réforme de l’Etat n’était pas encore sèche, il précisait que d’autres réformes verraient le jour, car l’approfondissement de la réforme de l’Etat est irréversible.

Sans posséder de boule de cristal, il est donc clair que, comme l’a déclaré le libéral flamand Karel De Gucht en 2002, la Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer.

Certains  évoquent, en cas de largage des amarres par la Flandre, un  Plan B, à savoir la mise sur pied d’une « Belgique résiduelle », composée de Bruxelles et de la Wallonie. D’autres estiment qu’une Wallonie indépendante pourrait fort bien s’en tirer.

Un sondage RTL-Ipsos-Le Soir, réalisé en 2010, indiquait que plus de 60% des Bruxellois préféraient poursuivre la route de manière indépendante. On peut les comprendre. Si la Wallonie devait prendre à sa charge 35% de la dette publique belge, elle serait confrontée, avec un ratio dette/PIB de plus de 150%, à un scénario à la grecque. On voit mal les Bruxellois se montrer solidaires d’une telle situation ! Ce WalloBrux n’est donc qu’une chimère, tout comme le scénario d’une Wallonie indépendante, laquelle verrait ses prestations sociales chuter lourdement.

Il faut admettre la réalité. Depuis 1980, cela fait donc aujourd’hui 35 ans, la Wallonie a obtenu la régionalisation. En dépit de compétences de plus en plus étendues et de divers plans de redressement, son sort reste précaire. Elle n’a toujours pas décollé, reconnaît Philippe Destatte, le directeur de l’Institut Destrée. Le récent rapport économique de l’IWEPS précise que la Wallonie reste à la traîne au niveau de son PIB et que pour rattraper la Flandre,  il faudrait dix années successives d’une croissance annuelle réelle de 5% sous l’hypothèse que la Flandre ne connaîtrait qu’une croissance de 1,5%. Autant rêver !

Au vu de ce qui précède, seule le projet d’intégration-autonomie à la France nous apparaît de nature à redonner du souffle à la Wallonie et à lui garantir une vision d’avenir crédible.

D’aucuns s’empresseront de rétorquer que la situation économique de la France n’est guère brillante – soulignons qu’elle reste tout de même la 6ème puissance mondiale ! – et qu’elle n’a nulle envie de s’encombrer d’une Wallonie dont la situation reste bancale.

Jacques Attali, l’ancien conseiller du président Mitterrand, a fort bien résumé la chose : le prix à payer pour la France serait sûrement plus faible que ce que cela lui rapporterait. A-t-on jamais vu un pays refuser que son territoire et sa démographie s’accroissent de manière pacifique ? Avec la Wallonie, la France réduirait sensiblement son différentiel avec l’Allemagne. D’autre part, la Wallonie n’est pas privée d’atouts : elle est stratégiquement bien située, avec un réseau de communications performant. Son activité culturelle est intense et bénéficie d’une belle promotion dans l’Hexagone. Sans oublier ses centres universitaires, ses ressources naturelles, ses techniciens et sa main-d’œuvre qualifiée…  Comme on dit, la mariée ne viendrait pas les mains vides !

Quant à la dette wallonne, il est clair qu’elle n’aurait, au niveau de la France, qu’un impact marginal.

Pourquoi ne pas prôner d’emblée l’assimilation de la Wallonie à la France ? Parce qu’une telle formule ne pourrait être appliquée du jour au lendemain. Il faudra d’abord passer par la phase d’un statut particulier. La Constitution française, à cet égard, est fort souple, comme en témoignent les exemples  de la Corse, de l’Alsace-Moselle ou des territoires d’outre-mer. Tout cela a fait l’objet d’analyses fouillées de la part du GEWIF, depuis sa création en février 2010.

Français et Wallons marqueront-ils leur accord sur un tel schéma ? La question est pertinente, puisqu’un double référendum s’imposera.

La politique de la France à notre égard a toujours été celle de la non-ingérence, ce qui ne signifie nullement l’indifférence. Tant le général de Gaulle que plusieurs personnalités politiques actuelles ont nettement fait savoir que si la Wallonie émettait le souhait de rejoindre la France, celle-ci lui ouvrirait la porte de grand cœur. Du côté français, des sondages ont révélé que plus de 60% (75% dans les régions frontalières) se prononceraient de façon favorable. Et il y a aussi ce sondage réalisé conjointement par « Le Soir » et « La Voix du Nord » en 2008, selon lequel près d’un Wallon sur deux serait prêt à rejoindre la République si la Belgique disparaissait.

Quid de la question bruxelloise ?

Il appartient aux Bruxellois eux-mêmes de se prononcer sur la solution d’avenir qu’ils veulent adopter. Force est toutefois de constater que, ces dernières années, l’identité bruxelloise s’est nettement affirmée. Celle-ci pourrait se traduire dans les faits par un statut de Cité-Etat (rien à voir avec Washington DC ou un district européen !),  siège des institutions européennes et des grandes organisations internationales.

Dans son « Journal », André Gide constatait : Bien peu de gens aiment vraiment la vie ; l’horreur du changement en est preuve. L’histoire, quant à elle, nous révèle que ceux qui se sont accrochés au statu quo ont toujours été les perdants. La fin de la Belgique ne signifierait nullement l’apocalypse. Disparaîtrait seulement ce contexte épuisant de méfiance réciproque et de chamailles constantes.

Jules GheudeChaque parti, nous disons bien chaque parti, compte en son sein des personnalités qui sont convaincues du bien-fondé de la cause réunioniste. Certaines n’en font d’ailleurs pas mystère. Puissent-elles, dès à présent, AGIR dans ce sens !

Jules Gheude

7 réflexions sur « La Flandre se prépare. Et vous ? »

  1. Deux bonnes nouvelles quand même qui montrent que les choses progressent dans le bon sens !
    http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/au-ps-l-incomprehension-grandit-entre-ailes-wallonne-et-bruxelloise-56c0aaa13570fdebf5ee93c4
    http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/marcourt-il-faut-pouvoir-remettre-a-plat-les-competences-entre-francophones-56c086113570b1fc1122ae2d
    Faut-il rappeler que contrairement à ce que nombreux croient (dont Jules Gheude qui reste hostile au débat entre réguionalistes et communautaristes dit-il), il ne faut (constitutionnellement) pas l’aval des Flamands pour vider la Communauté française (improprement appelée « Fédération Wallonie-Bruxelles ») de toutes ses compétences au profit des Régions wallonne et bruxelloise ?

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    1. Exact, rien n’empêche de déménager les « meubles », d’abandonner « l’immeuble » vide et, surtout, de ne pas toucher aux appellations. De cette manière, pas d’ingérence des Flamands et pas de modification de la Constitution.

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  2. Ah ben moi, j’suis déjà prêt!!! Dans les « starting-blocks » même… Et puis je l’ai déjà dit ici, si je deviens pas français par la Wallonie, je le deviendrai en allant vivre en France (mon épouse est française) lorsque tous nos enfants auront quitté le foyer familial…Bien que j’préférerais devenir français en restant wallon, mais bon, si ça se fait pas ainsi, alors tant pis, on fera autrement. Mais dans ma tête et dans mon cœur, c’est clair!!!

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  3. Si les personnalités auxquelles M. Gheude fait allusion étaient vraiment réunionistes, elles devraient au moins être membres de l’A.W.F. Est-ce le cas ?

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  4. La Flandre se prépare, oui, mais à quoi ?
    Je ne partage pas entièrement l’avis exprimé dans cet article, car il existe une autre tendance en Flandre que le séparatisme pure et dure qui s’inscrit dans une vision manichéenne typiquement francophone.
    La séparation du point de vue flamand est à géométrie variable.
    Quant à la disparition de la Belgique, la Flandre la conçoit d’une manière très différente de la conception wallonne.
    1) La séparation : La Flandre veut se séparer de tout ce qui ne l’intéresse plus : Ex la sécurité sociale. Par contre elle veut garder le droit de pomper les eaux de sources wallonne. L’influence et la main mise du Boerenbond sur l’agriculture wallonne. Ou encore la main mise du Voka sur les territoires wallons. La Flandre veut se séparer des Wallons mais pas de la Wallonie, ses territoires, ses ressources, ses terres vierges, ses forêts, ses terres agricoles, ses espaces industriels et ses routes (que les camions flamands traversent gratuitement) et aussi ses zones touristiques. La Flandre peut compter sur les politiques wallons qui sont prêts, au nom de la Belgique, à vendre la Wallonie.
    2) La disparition de la Belgique. Les Flamands voient plutôt une Belgique qui se dissout dans une bloc néerlandais, généré par l’union de la Flandre et de la Hollande.
    C’est progressif et c’est déjà en cours. La fusion des armées, des polices, des ambassades, un rapprochement ferroviaire (à coup de milliards et au dépend du rail wallon) on y est déjà. Et aucun politiques wallons ne bougent.
    Un village néerlandais aux barrages, réservés uniquement aux néerlandophones. La banque flamingante KBC et le Boerenbond qui colonisent la Wallonie. etc..
    Et alors ? Rien, les wallons acceptent. Faut dire que nos médias bruxellois ou d’influence bruxelloises n’en font pas état.

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  5. La Flandre se prépare, oui, mais à quoi ?
    Je ne partage pas entièrement l’avis exprimé dans cet article, car il existe une autre tendance en Flandre que le séparatisme pure et dure qui s’inscrit dans une vision manichéenne typiquement francophone.
    La séparation du point de vue flamand est à géométrie variable.
    Quant à la disparition de la Belgique, la Flandre la conçoit d’une manière très différente de la conception wallonne.
    1) La séparation : La Flandre veut se séparer de tout ce qui ne l’intéresse plus : Ex la sécurité sociale. Par contre elle veut garder le droit de pomper les eaux de sources wallonne. L’influence et la main mise du Boerenbond sur l’agriculture wallonne. Ou encore la main mise du Voka sur les territoires wallons. La Flandre veut se séparer des Wallons mais pas de la Wallonie, ses territoires, ses ressources, ses terres vierges, ses forêts, ses terres agricoles, ses espaces industriels et ses routes (que les camions flamands traversent gratuitement) et aussi ses zones touristiques. La Flandre peut compter sur les politiques wallons qui sont prêts, au nom de la Belgique, à vendre la Wallonie.
    2) La disparition de la Belgique. Les Flamands voient plutôt une Belgique qui se dissout dans une bloc néerlandais, généré par l’union de la Flandre et de la Hollande.
    C’est progressif et c’est déjà en cours. La fusion des armées, des polices, des ambassades, un rapprochement ferroviaire (à coup de milliards et au dépend du rail wallon) on y est déjà. Et aucun politiques wallons ne bougent.
    Un village néerlandais aux barrages, réservés uniquement aux néerlandophones. La banque flamingante KBC et le Boerenbond qui colonisent la Wallonie. etc..
    Et alors ? Rien, les wallons acceptent. Faut dire que nos médias bruxellois ou d’influence bruxelloises n’en font pas état.
    Quant aux Bruxellois, ils se sont forgé un régionalisme facilement, notamment parce que les médias francophones (RTBF, RTL, Le Soir, La Libre) sont bruxellois.
    Ce régionalisme affiche une identité qui devient forte et dans laquelle les flamands bruxellois sont très présents. Le choix est donc déjà fait !

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