L’actualité mise en perspective, par G. Régibeau
La République a décrété l’état d’urgence et, depuis, s’interroge.
Bien sûr, la seule urgence, c’est de vivre et d’aimer. Dans nos sociétés démocratiques, ouvertes, apaisées, on préfère ignorer le langage de la violence.
« Elle est née dans le Paris dix-sept cent quatre-vingt-dix comme une rose épanouie au jardin des fleurs de lys… » Cette chanson de Michel Delpech me revient quand je pense à la République française… « Mais que Marianne était jolie quand elle embrasait le cœur de Paris en criant dessus les toits : Ça ira ! Ça ira ! Toute la vie. »
On l’imagine sourire, Marianne, insouciante et désirable, comme on pouvait l’être au début des années ‘70… Il suffit de mettre un peu de chair sur une idée pour s’y attacher avec une candeur juvénile. On devine une silhouette au milieu de la lumière, on la voit qui rayonne, à la fois touchante et lointaine.
En 2015, la France a été secouée par une violence dont elle se croyait protégée, et voici la chanteuse Camélia Jordana qui, en couverture de l’Obs, pose en nouvelle Marianne, un brin dénudée mais solennelle. Elle offre une colombe au monde et nous donne à voir que la République est vivante. Un message de Noël, en somme, avec une fille qui, née de l’écume de la mer Méditerranée, affiche sa liberté vestimentaire. Evidemment, le décolleté ouvert, cela marche aussi bien avec d’autres idées, ou avec des bagnoles, ou du savon de vaisselle. Un message, un coup de pub, libre à chacun de réagir à sa façon. Mais elle a du caractère, Marianne…
Marianne est une enfant des Lumières, mais elle est née aussi de la colère, comme un défi lancé au monde ancien. Pas dans une crèche avec des santons de Provence, illuminée par une étoile, entre l’âne et le bœuf. Même si le christianisme est dans ses gènes, elle s’en est prise au pouvoir de la religion, qui la révoltait. Les rois n’avaient aucune raison de lui rendre hommage, ils se sont coalisés contre elle et ses « missionnaires armés ». Elle a fait ses premiers pas avec le Chant du départ : « …La liberté guide nos pas et, du Nord au Midi, la trompette guerrière a sonné l’heure des combats. Tremblez ennemis de la France… Le Peuple souverain s’avance… »
Marianne était loin de vouloir plaire à tout le monde, elle bousculait tout sur son passage. « Jusqu’ici l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre, et la législation le moyen de réduire ces attentats en système… » Ainsi parlait Robespierre, droit comme un i majuscule au milieu de la tempête révolutionnaire, figure majeure et controversée d’une République à peine sur ses jambes et déjà menacée de toutes parts. La République, c’est « donner au gouvernement la force nécessaire pour que les citoyens respectent toujours les droits des citoyens, et faire en sorte que le gouvernement ne puisse jamais les violer lui-même ».
Certes, en fonction des hommes et des circonstances, il y a parfois loin des paroles aux actes. Si la République française alias Marianne avait réellement été une femme au XVIIIe siècle, elle qui avait pour vocation d’être émancipatrice et généreuse, avec du charme et de l’esprit, vertueuse jusque dans l’héroïsme, elle aurait peut-être été guillotinée comme Madame Roland. Dans le chaudron que fut la Révolution française, le sublime et le tragique se mêlaient confusément.
Puisqu’on avait balayé tout ce qui avait fait la France, il fallait casser l’histoire en deux. Certes, on avait puisé dans sa culture classique pour créer le citoyen, la nation, la république mais, plus que le bonheur, c’est le progrès qui était une idée neuve en Europe. On inventait l’avenir meilleur pour tous, du moins le proclamait-on joyeusement, religieusement, porté par une foi nouvelle en ce que l’homme avait de meilleur : Liberté-Égalité-Fraternité. Même si le calendrier républicain, conçu dans l’esprit des lumières, adopté par décret le 14 vendémiaire an II, n’allait pas réussir à faire oublier que la France avait des racines profondes, on défendait les acquis révolutionnaires et on se projetait dans l’avenir.
« Citoyens, vous représentez-vous l’avenir ? Les rues des villes inondées de lumières… les nations sœurs, les hommes justes, les vieillards bénissant les enfants… les penseurs en pleine liberté, les croyants en pleine égalité… la conscience humaine devenue l’autel, plus de haines, la fraternité de l’atelier et de l’école, pour pénalité et pour récompense la notoriété, à tous le travail, pour tous le droit, sur tous la paix, plus de sang versé, plus de guerres… » Voilà ce que Victor Hugo faisait dire à Enjolras sur la barricade où celui-ci était prêt à mourir pour son idéal républicain.
Il y avait quelque chose de religieux dans cette adoration de Marianne mais c’était pour mieux affirmer le pouvoir et la responsabilité de l’humanité, car le salut du genre humain ne dépendait que des hommes eux-mêmes. Au XIXe siècle, avec Marx, c’est un messianisme plus radical qui promettra le Grand Soir au son de l’Internationale : « Du passé faisons table rase Foules, esclaves, debout, debout Le monde va changer de base Nous ne sommes rien, soyons tout… » (E. Pottier). Certes, avec le recul, on peut sourire ou s’effrayer de la prétention de casser l’histoire en deux, mais il fallait soulever des montagnes et la marche en avant du progrès réclamait qu’on s’abandonnât à la mystique révolutionnaire.
Bien sûr, Marianne, identifiée à la France devenue républicaine, a fini par faire oublier son caractère révolutionnaire, mais elle est toujours une enfant des lumières, une figure de la liberté, du progrès. Marianne a un rôle à jouer dans nos sociétés démocratiques, il y a un désenchantement qui doit la rendre attentive. Il est dans sa nature de se méfier des références à Jeanne d’Arc. Mais l’irruption d’une violence extrême inspirée par un messianisme dont elle ne comprend pas les codes, en tout point contraires à ses valeurs, la trouble et la désoriente. Il faut qu’elle se ressaisisse.
Il faut que Marianne soit à nouveau forte et séduisante. Il n’y a pas si longtemps, François Hollande avait cette ambition de « réenchanter le rêve français ». L’intention était bonne mais, en politique, il faut des résultats. Le danger serait de s’en tenir aux bonnes intentions. Pour ma part, n’ayant pas d’autre responsabilité que d’être un citoyen ordinaire, j’admets volontiers ne pas avoir de leçon à donner. Comme j’ai envie de faire de jolis rêves, il me suffit de me gargariser des mots que Victor Hugo prête à Enjolras :
« Nous allons à l’union des peuples; nous allons à l’unité de l’homme… Le réel gouverné par le vrai, voilà le but. La civilisation tiendra ses assises au sommet de l’Europe, et plus tard au centre des continents, dans un grand parlement de l’intelligence… La France porte cet avenir sublime dans ses flancs… Ce qu’avait ébauché la Grèce est digne d’être achevé par la France… Au point de vue politique, il n’y a qu’un seul principe – la souveraineté de l’homme sur lui-même. Cette souveraineté de moi sur moi s’appelle Liberté. Là où deux ou plusieurs de ces souverainetés s’associent commence l’État. Mais dans cette association il n’y a nulle abdication. Chaque souveraineté concède une certaine quantité d’elle-même pour former le droit commun. Cette quantité est la même pour tous. Cette identité de concession que chacun fait à tous s’appelle Égalité. Le droit commun n’est pas autre chose que la protection de tous rayonnant sur le droit de chacun. Cette protection de tous sur chacun s’appelle Fraternité… L’égalité, citoyens, ce n’est pas toute la végétation à niveau, une société de grands brins d’herbe et de petits chênes… C’est, civilement, toutes les aptitudes ayant la même ouverture; politiquement, tous les votes ayant le même poids; religieusement, toutes les consciences ayant le même droit. L’Égalité a un organe : l’instruction gratuite et obligatoire. Le droit à l’alphabet, c’est par là qu’il faut commencer. L’école primaire imposée à tous, l’école secondaire offerte à tous, c’est là la loi. De l’école identique sort la société égale. Oui, enseignement ! Lumière ! lumière ! tout vient de la lumière et tout y retourne… Citoyens, le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième siècle sera heureux. »
Ne parlons pas du XXIe siècle… Allez, vive la France et bonne année à tous.
Permettez-moi de relever ce que la gauche et les gauchistes ont saboté, caviardé, tronqué et détruit:
1) L’égalité (…), ce n’est pas toute la végétation à niveau,( …)
2) L’Égalité a un organe : l’instruction gratuite et obligatoire. Le droit à l’alphabet, c’est par là qu’il faut commencer.
3) L’école primaire imposée à tous (mais dont il ne faut pas sortir illettré comme, aujourd’hui, en Belgique francophone et hélas déjà en France).
4) L’école secondaire offerte à tous.( mais bien choisie selon les qualités et les espoirs des adolescents et non l’imposition du système et des parents)
5) De l’école identique sort la société égale. Oui, l’enseignement mais pas à la sauce anglo -saxonne perpétuant la domination de l’inégalité et du puissant.
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