La Wallonie face à un mur

Dimanche, le Vlaamse Volksbeweging a envoyé un observateur à notre assemblée générale ouverte, en la personne de son secrétaire politique Willy De Waele. Lorsque la parole fut donnée à l’assistance, il sollicita le micro pour dire quelques mots à un public un peu crispé. des sousSon message : la Flandre n’est pas contre la solidarité mais il ne faut pas qu’elle perde de l’argent (!) ; or, la Wallonie, c’est le tonneau des Danaïdes.

Le VVB, qui milite pour l’indépendance de la Flandre, est loin d’être un mouvement marginal en Flandre (c’est à un de ses congrès, en 1962, que Wilfried Martens plaida pour le fédéralisme : on n’en est plus là). Ce que la Wallonie coûte à la Flandre, en termes de transferts financiers, toute autre considération mise à part, cela reste un sujet controversé. Selon Willy De Waele, qui disait tenir ses chiffres d’Eurostat, les transferts s’élèveraient à 9 milliards d’euros par an (ce qui, soit dit en passant, resterait dans la moyenne des transferts régionaux observés en Europe). Le message est clair : c’est de l’argent perdu pour la Flandre, il faut que cela cesse. La 6e réforme de l’Etat conduit déjà à une réduction sensible de la solidarité interrégionale en Belgique, mais ce n’est qu’un début.

En Wallonie, personne ne sera épargné, mais certains seront plus touchés que d’autres. On n’a encore rien vu. La région Wallonie hésite à comprimer ses budgets. Politiquement, c’est risqué d’aller plus loin dans la rigueur, surtout pour des formations de gauche qui dénoncent les mesures antisociales décidées par le gouvernement fédéral (dominé par la droite et par la Flandre). La Wallonie compte sur les investissements publics pour se relancer, mais déjà, l’argent manque : alors, que se passera-t-il dans un avenir plus ou moins proche ?

Sauver la Belgique actuelle est certainement ce que cherchent à faire les décideurs wallons, ils misent sans doute sur l’effet « Diables rouges » pour maintenir le plus longtemps possible un niveau « acceptable » de solidarité dans le cadre belge. Il est certain que l’attachement à la Belgique est cultivé, nourri par les médias, du moins en Belgique francophone. A court terme, cela peut masquer les problèmes, on peut rassurer les gens, le chauvinisme made in Belgium peut les endormir dans une douce euphorie : et après, que fera la Wallonie ?

Le professeur Gazon tire à nouveau la sonnette d’alarme : au vu des données les plus récentes, il apparaît que la Wallonie ne peut en aucun cas envisager une quelconque forme d’autonomie financière, dans le cadre belge (confédéralisme) aussi bien qu’en dehors (indépendance). La Wallonie connaîtrait le sort de la Grèce. En pire, car la Wallonie ne mobilise par les énergies comme peut le faire une nation. Les Belges francophones sont des somnambules, ils ne voudraient pas se réveiller wallons, wallons dans la tourmente financière : c’est alors que la stratégie actuelle, qui vise à conforter le sentiment d’appartenance à la Belgique, pourrait se révéler catastrophique. Incapables de se détacher de la Belgique, et de se sentir responsables de la Wallonie, les « Belges du Sud » rejetteraient massivement les très lourds sacrifices que leur imposerait la situation.

Cela peut arriver dans quelques années, et rien n’est fait, rien n’est dit pour préparer les « Belges du Sud » à une telle éventualité. Le sentiment d’abandon, de trahison, pourrait conduire à des émeutes insurrectionnelles. Après l’éclatement de la Belgique, on pourrait même avoir une implosion de la Wallonie, avec un Brabant qui, pour des raisons économiques et historiques, voudrait s’accrocher à Bruxelles, avec une province du Luxembourg qui, en se séparant des autres provinces wallonnes, arriverait à se faire accepter dans le Grand-Duché. Un tel scénario de crise est possible et, dès lors, doit être envisagé par les autorités régionales. Il manque une conscience wallonne, le sentiment de partager un destin commun, indépendamment de la Belgique. Après 35 ans de régionalisme/fédéralisme, le constat est accablant.

La Wallonie a besoin de temps, de soutien, d’empathie. Il n’y a que la France pour lui donner la stabilité dont elle a besoin. C’est la conclusion du professeur Gazon. (G.R.)

Voici l’analyse du professeur Gazon. A peu de choses près, il s’agit du texte que le journal Le Soir a publié récemment.

Wallonie : Connais-toi toi-même

Le calme institutionnel actuel ne peut dissimuler la volonté flamande d’instaurer un Etat confédéral avec rupture du lien solidaire entre les Régions. Cette option aura pour conséquence de confronter chaque Région à l’autonomie budgétaire y compris pour la sécurité sociale.  Etonnamment, les statistiques officielles, qu’elles soient nationales ou régionales, ignorent cette problématique. Elles ne répondent pas à la question de savoir si l’autonomie budgétaire des Régions inhérente au confédéralisme est soutenable.

La connaissance de la réalité et son anticipation constituent pourtant le point d’appui de toute politique attentive au bien-être des générations futures et singulièrement de l’équilibre des finances publiques. En Wallonie, le discours ambiant se veut optimiste. Le gouvernement souligne les réussites : les plans Marshall en sont et c’est bien de le faire savoir. Mais masquer l’ampleur de l’effort à fournir, le véritable état des lieux, c’est s’inscrire dans le scénario à la grecque. Cette descente des Grecs aux enfers pour avoir falsifié les chiffres, ignorant la devise inscrite au frontispice du Temple de Delphes que Socrate reprend à son compte : Connais-toi toi-même. Retardant d’autant la prise de conscience et notamment la mise en œuvre du redressement des finances publiques.

La Wallonie n’est pas la Grèce. Quoique ! Si les statistiques publiées ne sont pas trafiquées, elles sont trop souvent insuffisantes, voire ambiguës, pour mobiliser les acteurs dès aujourd’hui autour des véritables défis à relever.

En 2011, sur base des chiffres 2009, j’ai montré que les finances publiques d’une Wallonie autonome n’étaient pas soutenables. Cette analyse fut possible grâce à une publication du CERPE de l’Université de Namur. En avril 2015, le CERPE publie à nouveau un cahier de recherche faisant le point sur les transferts interrégionaux en Belgique suivant la méthode du « juste retour ». Cette méthode postule un Etat soucieux de la solidarité entre ses Régions. Elle n’est pas applicable dès lors que l’on se place dans la perspective d’une autonomie des Régions pour la gestion des finances publiques. La publication du CERPE m’a toutefois permis d’actualiser mon étude de 2011. Sur base des chiffres 2007-2012, la conclusion reste inchangée : une Wallonie autonome n’est pas soutenable au plan des finances publiques.

Il ne s’agit pas d’épiloguer sur la scission possible ou non de la Belgique mais bien de faire ressortir ce que seraient les finances publiques d’une Wallonie autonome, que ce soit au sein d’une Belgique confédérale, dans l’indépendance ou pour toute autre alternative. S’impose alors la connaissance du solde net à financer d’une Wallonie autonome, sécurité sociale comprise. Ce solde net à financer pour les Régions (Communautés incluses) avant prise en compte des intérêts de la dette publique, est constitué de la somme du solde primaire net à financer (différence entre les recettes et les dépenses primaires [i]) de chacune des Régions [ii] et de ce qui ressortit à chaque Région dans les comptes de l’entité fédérale en termes de recettes et de dépenses publiques, ce qui revient à défédéraliser les comptes de l’entité fédérale. On obtient ainsi les soldes primaires de chacune des entités fédérées dans un cadre institutionnel d’autonomie (voir tableau 1).

Le tableau 1, selon l’optique du domicile [iii], montre qu’en cas d’autonomie budgétaire, la Wallonie aurait présenté en 2012 un déficit primaire de 7, 939 mias d’euros, ce qui correspond à 8,83% de son Produit Intérieur Brut (PIB), alors que la Flandre aurait enregistré la même année un surplus primaire de 7,411 mias d’euros (3,45% de son PIB), et Bruxelles un déficit primaire de 741 mios d’euros (1,04% de son PIB).

En se limitant à la Wallonie, soulignons un déficit récurent de l’Entité régionale en légère diminution sur la période 2009-2012 ; la source majeure du déficit primaire pour la Wallonie autonome se loge au niveau des compétences de l’Entité fédérale afférentes à la Wallonie, comme c’est le cas pour la sécurité sociale. C’est à ce niveau que se creuse le déficit de la Wallonie, déficit non directement ressenti par les Wallons en raison de la solidarité flamande.

Tableau 1 : Soldes primaires nets à financer (optique au lieu de domicile)

tableau 1

Source : CERPE, n° 77 – 2015/01, C. Emaesteen, M-E Mulquin, M. Mignolet et M. Romato ;
F : Solde primaire régionalisé de l’Entité fédérale ; f : Solde primaire de l’entité fédérée ;T=F+f : Solde primaire de l’entité fédérée autonome.

Mais pour appréhender la dimension budgétaire d’une Wallonie autonome, il faut encore ajouter au déficit primaire les intérêts de la dette publique qui seraient imputables à la Wallonie. Ceux-ci dépendent du critère retenu pour le partage de la dette. Si on répartit la dette publique au prorata des Produits intérieurs bruts régionaux (hypothèse optimiste pour la Wallonie en cas de scission du pays), sachant que les intérêts de la dette publique belge en 2012 se chiffrent à 13,257 mias d’euros [iv], on obtient les résultats du tableau 2 ci-dessous :

Tableau 2 : Solde net à financer (intérêts de la dette publique compris) : année 2012

tableau 2

Le solde net à financer par la Région wallonne autonome se serait donc élevé en 2012 à 11,121 mias, soit 12,37 % du PIB wallon et environ 24 % des dépenses publique wallonnes [v]. Ne disposant pas des statistiques mesurant les besoins de financement des provinces et communes, je n’ai pas pu les intégrer dans le calcul.

Une telle réalité résultant de la rupture du lien solidaire avec la Flandre, déclencherait un processus infernal du type de celui que connaît la Grèce qui, en 2009, hasard des chiffres, présentait un solde net à financer en proportion de son PIB proche de celui calculé pour une Wallonie autonome. On sait donc ce que serait l’avenir wallon en l’absence d’une mobilisation immédiate, constructive et surtout consciente des vrais défis à relever. Une information objective et récurrente s’impose pour qu’aucun décideur politique, social ou économique ne puisse échapper à la vérité des chiffres. Connais-toi toi-même et sois responsable de tes décisions et comportements, sachant qu’on ne peut partager que ce que l’on crée et qu’on ne peut reporter sur les générations futures le financement par l’emprunt des dépenses hors investissements des Administrations publiques.

Quelles que soient les options institutionnelles futures, la Wallonie ne pourra se soustraire au redressement de ses finances publiques qui nécessite une réduction drastique de son hypertrophie politico-administrative.

La continuité de la Belgique fédérale ne peut subsister que si la Flandre garantit le lien solidaire interrégional, ce qui postule, pour le moins, que les Wallons acceptent la résorption du déficit qui leur est imputable. La septième réforme de l’Etat l’imposera dans le confédéralisme non seulement voulu par la N-VA mais bien par une majorité flamande. Une façon élégante de nommer la fin de la solidarité interrégionale et de créer les conditions de la scission du pays !

L’indépendance d’une Wallonie en cessation virtuelle de paiement n’est pas soutenable. Elle engendrerait un appauvrissement considérable des Wallons, l’insurrection voire l’éclatement de la Wallonie.

Une union de la Wallonie à Bruxelles, plus viable au plan économique que l’indépendance wallonne en raison du PIB/habitant de Bruxelles qui est un des meilleurs des Régions d’Europe, présenterait néanmoins un déficit public important. Et elle se heurterait à l’opposition tant des Bruxellois que des Flamands.

Dès lors, à défaut de pouvoir maintenir la solidarité interrégionale belge, l’union à la France soutenue par certains s’avèrerait crédible grâce à un effet d’échelle rendant le déficit et la dette wallonne supportables par rapport au PIB de la France « augmentée » de la Wallonie. Cette union ne pourrait se limiter à une simple association. Elle postule nécessairement une intégration fusionnant les systèmes sociaux tout en autorisant, si telle est la volonté des parties, une relative autonomie wallonne au sein de la France. Voir Jacques Lenain  (www.belgique-francaise.fr), proposition reprise par l’Alliance Wallonie France (AWF) (https://alliancewalloniefrance.wordpress.com) et son président Paul Durieux et par d’autres comme Jules Gheude.  Paul-Henry Gendebien ayant porté l’idée d’une fusion totale.

[i] Dépenses, recettes et solde primaire à financer sont les dépenses, les recettes et le solde (recettes-dépenses) d’une entité publique avant prise en considération des charges d’intérêt.

[ii] L’information statistique disponible ne permet pas d’évaluer au niveau régional les soldes des Entités communales et provinciales qui ne sont donc pas intégrés dans le calcul.

[iii] L’ordre de grandeur des résultats selon l’optique du lieu de travail n’est pas sensiblement différent sauf pour Bruxelles qui, selon cette optique, est en surplus.

[iv] Rapport 2014 de la BNB.

[v] On applique à la Wallonie le pourcentage des dépenses publiques belges par rapport au PIB belge qui en 2012, était de 51,4 %,

Jules GAZON, Professeur émérite, HEC, Ecole de gestion de l’Université de Liège, août 2015

5 réflexions sur « La Wallonie face à un mur »

  1. Une réflexion en passant…
    Je me demande quand les responsables – ou ceux qui se disent à un titre ou un autre représentant des Mouvements wallons actuels se contentent encore et toujours de se regarder le nombril en déplorant une situation qu’ils n’ont pas voulue…
    Cette phrase résume bien tout ça : « La Wallonie a besoin de temps, de soutien, d’empathie (…) pour lui donner la stabilité dont elle a besoin. C’est la conclusion du professeur Gazon. (G.R.) »
    Et si, comme d’autres (en Ecosse, Catalogne, Pays basque ou québec) on commençait à se réveiller et parler d’identité au Peuple de Wallonie ?
    Regardez ce qui se fait ailleurs :
    http://irq.quebec/etudes-et-recherches/identite-quebecoise/treize-idees/

    Cliquer pour accéder à 13-idees-pour-le-Quebec1.pdf

    De la fierté que diable !
    .
    Avez-vous déjà entendu ceci ? (en orthographe wallonne dite « refondue ») :
    Nos estans firs di nosse pitite patreye,
    Nous sommes fiers de notre petite patrie,
    (…)
    Vola pocwè k’ on-z est firs d’ esse Walons !
    Voilà pourquoi nous sommes fiers d’être Wallons !

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  2. Brillante démonstration du Professeur Emérite Jules GAZON et excellente intervention de Mr. Willy De Waele, qui sans le dire expressément, met en évidence le fait que lorsque la Flandre bénéficiait des transferts « SUD-NORD » elle a utilisé les fonds à des programmes efficaces, qui ont permis le redressement économique et financier de la région.
    Par contre, les transferts « NORD-SUD » sont utilisés depuis les années 60, par des responsables politiques qui n’ont utilisé ces fonds qu’à des fins électorales, grâce à la méthode du « Clientélisme ».
    Cette méthode a eu pour résultat de placer des « petits amis » incapables de mener à bien un programme tel que le « Plan Marshall » et ses « Pôles de compétitivité ».
    Devant les nombreux dysfonctionnements de la politique wallonne, nous comprenons très bien le message de Mr. De Waele et du VVB.
    La population de Flandre est d’accord avec le mécanisme de solidarité, mais elle ne veut plus donner son argent pour favoriser quelques intérêts personnels, incapables de redresser la Wallonie, depuis plus de trente ans.

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  3. Ces données récentes de J Gazon, fondées sur l’année 2012, confirment celles antérieures, et montrent que le temps qui passe n’arrange pas la situation financière de l’entité wallonne.
    Celles que j’ai utilisées par le passé, en 2009, fondées sur l’année 2005 (source BNB, qui se tait depuis…), donnaient alors 7 milliards, soit 7 ans auparavant.
    Donc, de l’ordre de 12 milliards de besoins annuels de financements publics annuels pour une Wallonie qui serait devenue « souveraine », qui devrait donc financer seule, chaque année, ses services publics, y compris ceux hérités d’un Etat centra belge réduit à l’os, sa propre Sécurité sociale, avec ses quatre branches, et sa dette (intérêts annuels), dont sa quote-part de la dette fédérale, ce ne serait pas supportable, ni économiquement, ni socialement, et donc ni politiquement.
    Mais, 12 milliards annuels, pour l’Etat français, même appauvri comme il l’est aujourd’hui, c’est encore à sa portée. La France pèse vingt fois la Wallonie. Et elle vit actuellement avec un déficit public annuel tendanciel de 80 milliards…Mais, du coup, pour elle aussi, ce sera plus difficile demain que ce l’aurait été hier…Attendre n’arrange donc rien, ni pour la France, ni pour la Wallonie, mais ce n’est pourtant qu’au bord du gouffre que les décideurs wallons se bougeront vraiment. Ils seront donc alors traités plus durement par Paris, du fait d’une Wallonie devenue trop exsangue parce que restée trop longtemps dans le cadre belge.

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  4. J’ai retenu la partie où il est dit que « avec une province du Luxembourg qui, en se séparant des autres provinces wallonnes, arriverait à se faire accepter dans le Grand-Duché »
    Personnellement, étant né et habitant dans cette Province du Luxembourg (région frontalière d’Arlon-Athus-Virton) et ayant travaillé pratiquement 13 ans au Grand-Duché, je peux vous dire que j’aime bien ce pays, où j’y ai pas mal de gens que je connais, où je vais y prendre mon essence (comme la plupart ici, même les Lorrains de France), mais devenir luxembourgeois, non merci!!! Le Luxembourg est un pays « germanique », ressemblant un peu à l’Allemagne, au niveau de la langue et même dans les mentalités. Non, je préfère de loin la France!!!
    Votre réunion avait cependant, l’air très intéressante. Mais je pense que lorsque les politiques wallonnes seront vraiment au pied du mur, alors il faudra que le mouvement rattachiste augmente sa visibilité et son auditoire qui n’est pas, actuellement encore, au niveau de la NV-A en Flandre, par exemple. A ce niveau là, il y a encore du chemin… Le peuple wallon aura besoin que cela vienne « d’en-haut » pour adhérer au projet (envisager l’idée, référendum, études d’opinion, sondages, etc…) avec la nécessité de sonder également côté français pour essayer d’avoir un sentiment réciproque d’un futur wallon avec la France!!!

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