Déboussolée, la Wallonie ?

Nous continuons à rendre compte de notre assemblée générale ouverte du 11 octobre. Voici le texte du discours prononcé par Georges Régibeau. Après avoir évoqué le Congrès national wallon de 1945, il dénonce la régression qui affecte aujourd’hui la Wallonie. Une régression qui n’est pas seulement de nature économique.

   congrès 1945Revenons sur le Congrès wallon de 1945. 1945. Au mois d’octobre. A Bruxelles, Charles De Gaulle venait d’être accueilli triomphalement. La foule avait chanté la Marseillaise. A Liège, on l’attendait mais il n’est pas venu. Trop de ferveur, cela pouvait devenir embarrassant. Que cela ne tienne, l’avenir de la Wallonie allait se décider à Liège. Il y avait là, pour ce Congrès national wallon, des personnalités fortes issues de la résistance et du monde politique. Eux aussi chanteraient la France, à la façon des patriotes, au bord de l’exaltation, pour se donner l’impression d’y croire, avant de se résoudre à rester belges. Un vote, une envolée, et puis un autre. Une émotion ravalée. Un coup de semonce : voilà comment l’appellerait Jean Louvet, 50 ans plus tard. Depuis…  un nouveau Palais des congrès a été construit, il regarde passer les eaux de la Meuse qui, le 14 juillet, s’illuminent. La Wallonie a régressé, économiquement mais pas seulement; doutant d’elle-même, avec une identité sans consistance, elle marche à reculons vers le confédéralisme, les yeux désormais fixés sur la Flandre, en se répétant que la Belgique est un pays formidable. En 2015, il semblerait que les Wallons n’aiment pas se dire wallons. Pas français non plus.

   1945. C’était une autre époque. Il y avait de la gravité chez ces hommes qui avaient connu la guerre, mais aussi le sentiment d’une opportunité. La Wallonie une fois libérée, on pouvait se donner l’ambition de choisir son destin collectif, sachant que, depuis 1936, la cohabitation avec la Flandre avait tragiquement confirmé les craintes de Jules Destrée. Un état mais deux peuples et une Wallonie condamnée à subir la loi du nombre. En 1945, la Wallonie avait encore de la vigueur. Du caractère. Mais elle appréhendait le moment où elle n’aurait plus grand-chose à dire en Belgique. Où son économie étoufferait, manquerait de souffle. Où son destin lui échapperait. Où, peut-être, elle aurait perdu l’envie de se battre et d’exister. L’indépendance de la Wallonie, en 1945, c’était une idée à débattre. A ce moment, la Wallonie produisait plus de richesses que la Flandre, elle avait fait de la Belgique une puissance industrielle, elle en avait gardé une certaine estime d’elle-même, une identité plus affirmée qu’aujourd’hui. A ce moment, oui, elle avait les ressources qui lui permettaient d’envisager son indépendance. Or, ces Wallons réunis à Liège il y a 70 ans, qui étaient la conscience et la voix d’une Wallonie plus forte, ces Wallons ne rêvaient pas d’indépendance. Ils rêvaient d’avoir leur pays bien à eux, certes, le pays de la Wallonie libre. Mais, pour la plupart d’entre eux, ils rêvaient de la « mère-patrie ». Ils rêvaient de la France.

   Nous ne sommes plus en 1945. Convenons que ce trémolo patriotique est d’un autre âge. Surtout quand on mêle ainsi la Wallonie et la France. Au royaume de Belgique, ou, pour être exact, en Belgique francophone, on tire à vue sur tout ce qui ressemble à un sentiment national, sauf quand on peut nourrir un chauvinisme bien belge. Et pourtant, la Belgique a cessé d’être unitaire. On peut même douter qu’elle soit vraiment fédérale, on est plus loin dans le processus. Qu’on le veuille ou non, la Flandre et la Wallonie ont pris leurs distances, l’une par rapport à l’autre, et ce n’est pas fini. Pour un observateur neutre, il est clair que la dynamique à l’œuvre en Belgique arrive à son terme, au dépérissement de l’état belge. Certes, on pavoise encore aux couleurs de la Belgique, et même aujourd’hui plus qu’hier, mais cette réalité-là brouille les esprits, étouffe la réflexion politique, on surfe sur la vague noir-jaune-rouge, quand on ne la fait pas gonfler. Paradoxalement, l’autonomie croissante de la Wallonie a produit des Wallons moins soucieux de la faire exister, parfois même honteux, cultivant de plus en plus leur dépendance affective à un pays condamné à se défaire, incapables de se prendre en charge, effrayés par le vide où les plongerait le séparatisme. Un divorce avec la Flandre… angoisse. A peine imaginable. Impossible. On refuse. Il n’y a que les fous pour envisager la fin du monde. Parce que la Belgique est leur monde, on leur dit que le monde a besoin de la Belgique. Il n’est pas excessif de le dire : il y a une vraie crispation identitaire en Belgique francophone, un syndrome belge abusivement présenté comme un signe d’ouverture ou de modernité. Plutôt une impasse et une incapacité réelle à penser l’avenir. Comme la ville de Mons, la Wallonie a son doudou, mais c’est le doudou d’un enfant qui refuse de grandir, traîné partout ; c’est un morceau de tissu qu’elle pétrit de sa main, pour se rassurer, tellement usé qu’il ne ressemble plus à rien, mais elle ne veut pas en changer, c’est son repère unique dans un monde trop grand pour elle ; elle s’accroche à la Belgique, à une certaine idée de la Belgique, en se racontant des histoires. En 2015, la fierté des Wallons couverts de noir-jaune-rouge, c’est de former un petit royaume avec une nation flamande qui s’affirme et ne craint pas de les écraser. C’est le nouveau complexe belge : quand les Wallons seront laissés tout nus par la Flandre, ils se diront toujours belges, et même flamands, partageant comme ils pourront l’assurance de la Flandre (et ses projets de confédération avec les Pays-Bas).

   Nombreux sont les Wallons que de tels propos indisposent. A les entendre, on serait des traitres ou des comiques. Avec la construction européenne et l’immigration, cela n’aurait plus beaucoup de sens de parler de deux peuples en Belgique. Il serait parfaitement ridicule d’opposer l’intérêt du Sud de la Belgique à celui du Nord, plus riche et performant. Pas de rapport de force entre eux, l’un dominant l’autre. On pourrait confier l’avenir de la Wallonie à la Flandre, puisque la seule chose qui vaille, c’est la pérennité de l’état belge, sous quelque forme que ce soit. Car, oui, la Belgique a changé, concéderont-ils, mais le monde également. Si la Belgique est double, fédérale, confédérale, eh bien tant mieux car l’Etat-nation, c’est dépassé. La Belgique post-nationale est devenue un symbole indispensable, il est important qu’un pays divisé reste uni. La disparition de la Belgique serait un symptôme inquiétant d’une maladie qui rappellerait les heures les plus sombres de l’histoire. Nous sommes au XXIe siècle, au temps de la révolution numérique et de l’économie globale, au temps du libre-échange, au temps de l’individu-qui-refait-le-monde-à-son-image : alors que tout nous invite au voyage, au nomadisme, aux rencontres, alors que jamais les relations humaines n’ont été aussi libres, aussi fluides, il serait totalement anachronique d’opposer la Flandre à la Wallonie.

   Cela fait beaucoup de bla-bla pour justifier son conservatisme. En Belgique wallonne, on ne voit que la Flandre, alors regardons la Flandre, à la fois libérale et nationaliste, où le nationalisme romantique, enraciné dans le XIXe siècle, est en partie une réponse au défi de la mondialisation libérale. Il s’agit bien de concentrer ses forces pour être aussi compétitif que possible. Avec une personnalité forte et mobilisatrice, la Flandre se constitue en Etat-nation pour être acteur dans un monde où la violence n’aura pas disparu. Le tout, pour elle, est de trouver l’équilibre entre l’ouverture indispensable et l’affirmation d’une solide identité collective. En Flandre, il est clair que le passé, le présent, le futur s’inscrivent dans un récit national cohérent. Il en va tout autrement du nationalisme belge (il faut bien l’appeler comme ça) qui, malgré ce qu’on en dit, ce qu’on en pense, est foncièrement réactionnaire. Une réaction panique, une incapacité de s’adapter. Cela ressemble à la méthode Coué. Il faudrait célébrer ce pays de cocagne, haut en couleur, brassant les cultures autant que la bière, et buvant la bière dans toutes les langues, où les langues se mélangent comme en un baiser gourmand, un pays capitale de l’Europe et de l’OTAN, un pays de synthèse, un pays visionnaire, un pays rassembleur, mais un pays qui s’arrête à Linkebeek. Il paraît que là il y a une frontière intérieure, ou extérieure, on ne sait plus, dans ce pays tout est compliqué mais c’est le folklore habituel, dira-t-on. Rien d’intéressant. Pour l’immense majorité des Wallons, pas de quoi se poser des questions : comment douter de la Belgique en voyant jouer les Diables rouges ?

   Les tensions communautaires, on n’en saisit pas la dynamique. A chacun ses petits ou ses grands problèmes, il manque une vision collective. Cette incapacité de penser la Wallonie en-dehors de sa relation dommageable (et sans avenir) avec la Flandre, est une réalité qui nous interpelle et nous désole. Au moment où des choix sont possibles, il n’y a pas de Wallonie, il n’y a pas le début d’un vrai débat public, même si nous savons que les autorités wallonnes ont déjà préparé le terrain pour une collaboration renforcée avec la République française. On voudrait de la pédagogie, une prise en considération du choix de la France, mais non, du moins depuis quinze ans, si ce n’est à la marge, de telle façon que l’on passe, encore aujourd’hui, pour des traitres ou des comiques, malgré l’évolution récente et à venir de l’état belge, malgré le raz-de-marée de la N-VA.

   Nous ne prétendons pas représenter la Wallonie, évidemment. Mais c’est au nom de la Wallonie que nous nous exprimons, en nous tournant prioritairement vers les leaders politiques, les élites universitaires, les faiseurs d’opinion, les possibles éveilleurs de conscience, pour leur rappeler que gouverner c’est prévoir, que la démocratie impose au moins d’ouvrir un débat argumenté, équilibré, qui prenne en compte la réalité de la Belgique aujourd’hui, dans sa dynamique. Il ne suffira pas d’encourager l’apprentissage du néerlandais pour effacer la frontière linguistique. Un état flamand se met en place : et pourquoi pas ? Mieux vaut développer des relations de bon voisinage, fondées sur le respect mutuel, plutôt que de rester dans la cave ou le grenier de la maison Belgique, avec des Wallons soulagés de rester belges, quel qu’en soit le prix. La Wallonie, une région de France : et pourquoi pas ? Sur le chemin de l’Europe et du monde, il vaut mieux passer directement par la France, à la fois plus grande, plus forte, plus amicale, plus solidaire. Un partenaire qui compte encore un peu dans le monde. Et en Europe. Un pays où la langue française a encore un avenir. Où la Wallonie trouvera sa place et pourra valoriser son identité particulière et sa position au cœur de l’Europe, en contact avec Bruxelles, avec la Flandre, avec les Pays-Bas, avec l’Allemagne, avec le Grand-Duché du Luxembourg.

   Les Wallons ne sont pas enthousiastes ? Ils ont peur d’y perdre au change ? Ils ne se sentiront jamais français ? Que cela ne tienne, on peut leur proposer un contrat sur mesure. Contrairement à ce qui se dit en Wallonie, la République française est loin d’être monolithique. Cette leçon, nous l’avons reçue de Jacques Lenain, un Français, un haut fonctionnaire, maintenant à la retraite et désormais plus disponible pour défendre son idée d’intégration-autonomie. Intégration dans la République française. Autonomie de la Wallonie. (…)

3 réflexions sur « Déboussolée, la Wallonie ? »

  1. La première étape en vue de reconstruire la Wallonie passe inévitablement par la mise à mort de la Communauté française – Wallonie- Bruxelles qui induit hypocritement un cordon ombilical émotionnel avec la marâtre belge !

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  2. Très bon exposé. Quel dommage que ce sujet « Intégration de la Wallonie à la France » attire si peu de jeunes.
    Au niveau économique, Jules Gazon a prouvé que leur avenir dépend de cette intégration.

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    1. D’accord mais les jeunes s’intéresseront à leur Wallonie lorsque les partis politiques wallons retrouveront la raison. La Wallonie n’est pas déboussolée, ses guides le sont sans aucune raison valable !
      Il n’y a pas de fatalité. Les choses commenceront à bouger positivement quand les syndicats wallons s’éveilleront à la réalité et défendront les Wallons au lieu de s’épuiser pour la Belgique et…donc la Flandre (y compris Bruxelles). A titre d’exemple du passé, aux ordres de De Bunne la FGTB a détruit l’image du travail wallon et le tissus industriel wallon au grand bonheur des capitalistes belges qui n’attendaient que cela pour « justifier » leur désinvestissement.
      Aujourd’hui, les syndicalistes n’ont toujours rien compris ou alors ils trahissent; par bêtise j’espère.

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