Des visionnaires et des autres

Par Jules Gheude

Feu Lucien Outers a compté beaucoup dans l’existence du FDF. Admirateur de Racine, du cardinal de Retz et de Chateaubriand, il mettait un point d’honneur à s’exprimer dans un français élégant, souvent précieux. Nul doute qu’il a exercé une forte influence sur Olivier Maingain.

Mais ce dernier tient à la Belgique, alors que son modèle, dans « Le Divorce belge », publié en 1968, tenait un tout autre discours : Ma colère, je la réserve à ceux qui, par aveuglement ou par intérêt, veulent nier ce qui fait l’originalité de nos deux peuples, leurs richesses propres et leurs virtualités profondes, dans un amalgame interne qu’ils appellent la patrie.

Wallon d’origine (il était né à Barchon), Lucien Outers avait le cœur tourné vers la France. Ce n’est pas pour rien qu’il se retrouva en 1985 à Paris, en qualité de Délégué général de la Communauté française de Belgique.

Qui se souvient encore de cette « Lettre ouverte » qu’il adressa au Roi Baudouin et dans laquelle il explique que si, entre les composantes belges, il ne s’établit pas une confédération où l’essentiel des pouvoirs seraient laissés à chacun, (…) la Flandre finira par s’émanciper sans demander l’avis de personne et les Wallons peu sûrs d’eux-mêmes se tourneront un jour vers la France pour négocier avec elle, pour leur région, un statut particulier qui la fera participer progressivement et toujours davantage à la vie d’un pays dont ils se sentent si proches. (…) Bruxelles cherchera peut-être dans sa vocation européenne une solution à son avenir.

François Perin avait tenu un discours identique dans son essai « La Belgique au défi », publié en… 1962 :

Si aucune révision constitutionnelle n’intervient à temps, l’éclatement du pays pourrait se solder par des institutions centrales très simples (…). Les trois parties gardent la plénitude de leur souveraineté : seules des conventions entre voisins régleraient les problèmes auxquels ils seraient inévitablement confrontés. C’est une formule de confédération centrifuge.

Comme Lucien Outers, François Perin envisageait, à terme, une Wallonie devenue graduellement une région de France et soulignait la vocation internationale de Bruxelles.

Olivier Maingain est loin de tout cela. Pour lui, il s’agit de maintenir la structure fédérale de l’Etat, une structure dont le Parlement flamand s’est distancié dès 1999, en adoptant les fameuses résolutions d’inspiration confédérale, défendues principalement à l’époque par le parti démocrate-chrétien.

Aujourd’hui, la N-VA est devenue la première force politique du pays et son président, Bart De Wever, entend bien mettre ce projet confédéral sur la table des négociations au lendemain des prochaines élections législatives.

Dans sa « Lettre ouverte au Roi », Lucien Outers évoquait la nécessité de pouvoir discuter. Mais Olivier Maingain ne veut pas entendre parler de la N-VA, ni de ce confédéralisme qui reviendrait à placer Bruxelles sous la tutelle de la Flandre et de la Wallonie.

La Flandre, comme on le sait, a toujours été réticente au concept de « Bruxelles, région à part entière » et elle n’a pas abandonné l’espoir de la voir tomber à terme dans son escarcelle.

Nous achèterons Bruxelles ! avait lâché un jour le ministre-président flamand CVP Gaston Geens. Pour y parvenir, Bart De Wever, propose que chaque habitant de Bruxelles choisisse librement, indépendamment de sa langue ou de son origine, entre la Flandre et la Wallonie pour ce qui concerne les matières dites communautaires : l’impôt des personnes, le système de sécurité sociale, l’aide sociale, la protection de la jeunesse, l’immigration et l’intégration.

Mais la menace n’existe pas que pour Bruxelles.  Comme vient de le rappeler Olivier Chastel, le président du MR : On sait que la manne financière qui vient du fédéral est dégressive sur 10 ans et donc la Wallonie doit se préparer à vivre en totale autonomie.

Privée des quelque 7 milliards d’euros que la Flandre lui transfère chaque année, la Wallonie ne manquerait pas d’être confrontée à une situation budgétaire intenable, qui l’obligerait à se serrer douloureusement la ceinture. Cela déboucherait sur un climat quasi révolutionnaire, avertit Jules Gazon, professeur émérite d’Economie à l’Université de Liège.

Pourtant, Olivier Chastel souhaite la reconduction de la coalition suédoise. Cela suppose donc qu’il est disposé à négocier avec la N-VA la mise sur pied de ce système confédéral.

Le président du PS, Elio Di Rupo, appelle de ses vœux la formation d’une coalition avec Ecolo et Défi. Exit le PTB qui, à ses yeux, n’est pas prêt à prendre ses responsabilités. Mais il reste prudent, en ajoutant : Cela dépendra du choix des citoyens.

Si l’on se base sur les résultats du dernier Baromètre politique, une coalition PS-PTB-Ecolo serait créditée de 49,4%, contre 42,5% pour une coalition PS-Ecolo-DéFi. La différence est sensible !

En portant son choix sur DéFi, Elio Di Rupo inscrit donc ce parti dans la mouvance de gauche, dite progressiste. Olivier Maingain préfère, quant à lui, parler de libéralisme social.

Olivier Maingain ne s’est pas privé de dénoncer les affaires qui ont secoué le monde politique ces derniers temps, et qui ont principalement touché le PS. Il n’ignore pas non plus que la situation difficile de la Wallonie est due en grande partie à la mainmise socialiste. De 1985 à 2017, la ministre-présidence de la Région a en effet été confiée, de façon quasi ininterrompue, au PS.

Voilà les divers choix qui se présentent à Olivier Maingain, tant au niveau fédéral que régional.

Mais il doit prendre conscience que la détermination qu’il affiche aujourd’hui n’empêchera pas la Nation Flandre de poursuivre la route qu’elle s’est fixée.  Comme l’a rappelé François Perin dans son interview-testament, en 2011 : D’étape en étape, le mouvement a gagné sur toute la ligne.

Une chose est sûre : au lendemain du 26 mai 2019, la formation d’un nouveau gouvernement belge relèvera de la quadrature du cercle. Informateurs, médiateurs, démineurs se succèderont dans un ballet infernal. Au final, le roi pourrait se retrouver nu.

3 réflexions sur « Des visionnaires et des autres »

  1. Je viens de trouver cette article (et sa vidéo) très intéressant sur RTBF, alors je le poste ici, dans le dernier article publié par l’AWF.
    J’ai surtout retenu cette phrase de l’historien d’art: « il faut bien avoir à l’esprit que quand on parle de politique du patrimoine dans notre « pays », la Wallonie, la Flandre et Bruxelles constituent 3 pays différents »!!!
    Moi, personnellement, ça me va hein, le partage du patrimoine anciennement belge, avant la séparation…

    https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_patrimoine-belge-quand-l-institutionnel-complique-tout?id=10013856

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  2. Lucien Outers fut l’atout majeur de la réussite du FDF à Bruxelles. A la « Madeleine », Lucien Outers soulevait la foule, à l’époque encore majoritairement wallonne, au point de pouvoir la mener à la révolte de rue. Il ne faisait pas bon vociférer en flamand aux abords de la salle de congrès les jours de meeting du FDF. Malheureusement, Lucien Outers fut bridé par les belgicains, les bourgeois bruxellois et les  » éjectés de Leuven ». Il ne faut pas oublier qu’au début le mouvement se nommait « Front démocratique des francophones de Bruxelles » (ndlr: ce qui dit tout)
    A Paris, en qualité de Délégué général de la Communauté française de Belgique, il put s’extraire du marigot Belgique jusqu’ au jour où frappé par des problèmes de santé, il ne puisse plus reprendre ses fonctions. Il mourut en 1993 sans avoir pu assister au divorce belge.
    Maingain n’est qu’un Janus qui perpétue les menées belgo-bruxelloises du FDF. Il faut noter que le FDF subit débâcle sur débâcle à partir du moment ou Les discours de Lucien Outers ne purent plus masquer le vrai visage de ce parti finalement complice de la Flandre.

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