Publié le 31 août 2017
Par Georges Régibeau
Marché planétaire et société globale, mise en cause de l’Etat-nation, dépérissement de l’Etat : certains feront sans doute valoir que la question du rattachement de la Wallonie à la France a perdu de sa pertinence au XXIe siècle, et que la diversité des trajectoires individuelles autant que la multiplication des enjeux planétaires auront bientôt raison des identités nationales. A ce compte, on pourrait même soutenir que l’évaporation de la Belgique est un signe de modernité. En poussant le raisonnement plus loin, pourquoi ne pas se faire à l’idée que, pour être à l’avant-garde, il faudrait précipiter la fin de l’Etat belge et se réjouir de ce qui arriverait juste après ?
N’est-il pas ridicule de se croire au-dessus des problématiques identitaires pour justifier que l’on s’accroche aux symboles d’un pays moribond, désormais piloté par la N-VA ? Si, pour paraphraser Gaston Eyskens, la nation belge est « dépassée par les faits », cela n’est pas dû à l’avènement d’une ère post-nationale mais à l’émergence d’un Etat-nation flamand dont souffre une Wallonie incapable d’exister par elle-même.
La vérité, c’est qu’il y a une difficulté bien réelle à se défaire d’une identité sans en prendre une autre. Alors, oui, nous dénonçons la façon dont la Wallonie s’enferme encore aujourd’hui dans un Etat belge en voie de liquidation. Bien sûr, nos yeux sont tournés vers la France, dont la culture est aussi la nôtre. Oui, en l’absence d’une Europe forte, nous sentons l’urgence, pour la Wallonie, de consolider sa position dans un monde incertain, la nécessité de grandir, de s’adapter à une réalité mouvante et potentiellement hostile en gardant, autant que possible, la maîtrise du changement. Oui, nous voulons concilier l’ouverture avec une conscience de soi qui ne cède à aucun relativisme. Il n’y aura pas d’avenir pour la Wallonie sans une identité forte et rayonnante.
Alors que la politique est de plus en plus soumise à la logique économique, il faut espérer que la France aura plus à défendre qu’une image de marque et, qu’avec tout le poids de son histoire, elle ne soit pas « fatiguée d’être elle-même », ainsi que l’écrivait l’historien Pierre Nora, décontenancé de voir se réduire à presque rien l’enseignement de la philosophie des Lumières en France.
Car avec l’humanisme des Lumières, on touche à l’identité de la République française : une identité forte et rayonnante que la Wallonie se plaît à revendiquer pour elle-même. En 1789, la Déclaration des droits de l’homme ouvrait la voie à un certain multiculturalisme, mais elle en fixait aussi les limites. La révolution morale, économique et technologique issue des Lumières a favorisé l’émancipation de l’individu. Celui-ci est sorti conforté du XXe siècle, en s’affranchissant de la morale elle-même quand il a proclamé qu’il est « interdit d’interdire » avec l’enthousiasme un peu rageur d’une jeunesse exigeant pourtant d’aller plus loin dans la célébration de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. Poussé à bousculer les normes et à refuser les frontières, sinon les contraintes, on est plus que jamais «condamné à être libre», selon la formule de Jean-Paul Sartre.
On a fait de l’autonomie un idéal universel. En faisant croire à l’individu qu’il n’a d’obligation qu’envers lui-même, ou envers la communauté qu’il reconnaît pour sienne, on risque néanmoins de trahir les valeurs dont on se réclame. La liberté ne peut être invoquée en dehors de sa dimension humaniste. Il ne suffit pas de libéraliser l’économie en favorisant les échanges et l’innovation dans la perspective d’une économie globale. Les progrès de l’esprit humain, esquissés par Condorcet pour éclairer l’avenir, excluaient tout retour à l’état sauvage ou au tribalisme. Plus question non plus de laisser les croyances étouffer la pensée. Il y a là une culture politique, une identité qui doit faire honneur à la France. La liberté ne peut conduire à l’affaiblissement de la démocratie.
Ce qui est en jeu, c’est aussi l’affaiblissement de l’Etat-nation. On ne peut à la fois saper le lien politique, isoler les consciences, et répéter les mots « citoyenneté responsable » à la façon d’une formule magique. Il n’y a plus de citoyenneté quand on perd de vue l’articulation nécessaire entre intérêt personnel et intérêt général. L’esprit des Lumières est détourné quand la liberté et la raison ne servent qu’à légitimer le pouvoir de l’argent, au point de marginaliser le débat politique, ou de le plonger dans le doute et la confusion. L’abandon de références communes ne fortifie pas le libre examen mais renvoie chacun à ses propres appartenances, au mépris des valeurs de liberté et de raison qu’on ne fait même plus semblant de croire universelles, et dont on finit par se demander si on a le droit de les imposer dans l’éducation. Ce qui a pourtant caractérisé les droits de l’homme, en 1789, c’est la fin des privilèges et des lois particulières adaptées au statut des uns et des autres. Il n’y a pas d’universalité si la loi n’est pas la même pour tous et, dans une culture humaniste, la loi est décidée par les citoyens qui, ensemble, forment la nation.
Qu’il y ait un rapport culturel, historique, entre les droits de l’homme et la nation française, cela n’enlève rien à la portée universelle des principes énoncés. Si on y adhère, il faut en respecter l’esprit. L’être humain se construit par imitation. Il lui faut du temps pour développer sa capacité de jugement. L’expérience qu’il a du monde est forcément réduite, imparfaite, et pourtant il doit pouvoir s’élever au-dessus des croyances et des préjugés. Cela suppose une culture, une éducation qui ne se limite pas à déclamer liberté-égalité-fraternité, car les mots sont susceptibles d’être interprétés selon des a priori culturels parfois très différents. Dans ce monde ouvert, global, instable où chacun s’emploie à saisir sa chance et à faire exister ses croyances intimes, il faudra plus que des mots pour protéger l’esprit des Lumières.
Pour tendre à l’universel, la France doit d’abord être elle-même, offrir plus que ses paysages et son patrimoine, ou sa gastronomie. Il est évident que la nation doit se redéfinir en permanence, mais sans renoncer à ses principes fondamentaux, ni en coupant le fil d’une histoire qu’il faut pouvoir assumer dans sa complexité. La culture s’inscrit dans un temps qui n’est pas celui des individus. Là où la cohésion nationale est malmenée, il est urgent de retrouver le sens de la vertu républicaine. Et puis, sans rien enlever à sa vocation internationale, la France doit miser davantage sur la langue française.
La langue française est aussi la nôtre. Au XIXe siècle, les Etats-nations se sont constitués, essentiellement, sur le critère de la langue. A l’époque, on a pensé que la Belgique ne serait viable qu’en adoptant une seule langue officielle et le choix du français ne semblait souffrir aucune discussion, même en Flandre, où il s’était imposé dans les «bonnes familles». En réponse, il y eut le « Tael is gansch het Volk », qui devait préserver la germanité de la Flandre au prix d’un vibrant nationalisme, que la Wallonie francophone a ressenti comme une trahison. Aujourd’hui, alors que la connaissance du français régresse en Flandre et dans la partie germanophone du pays, c’est surtout avec la France que les entrepreneurs wallons font des affaires, en raison d’une plus grande sécurité linguistique. Ajoutons, si c’est bien utile, que le Belge francophone est naturellement connecté aux médias et aux réseaux sociaux français, et qu’il ne sait à peu près rien de la culture flamande.
Il y a tout lieu de s’interroger sur ce que signifie alors l’identité belge. Il faut une bonne dose de parti pris, d’inconscience, d’aveuglement pour soutenir que ce pays crispé sur sa frontière linguistique est un modèle annonçant l’avènement d’une ère post-nationale et qu’à ce titre, il met la Wallonie en position d’assurer son avenir. S’il y a une chose que tend à confirmer l’évolution récente de l’Etat belge, lui-même investi par un nationalisme flamand devenu plus représentatif et intransigeant, c’est qu’il y a un lien farouche entre unité linguistique, conscience nationale et solidarité consentie.
Sûre d’elle-même et soucieuse de conforter sa place en Europe et dans le monde, la Flandre est bien décidée à renforcer sa collaboration avec les Pays-Bas. Parler de repli, en ce qui la concerne, est inapproprié. Qui osera nier qu’elle est mieux adaptée au monde actuel que la Wallonie, incapable de se projeter en dehors d’un cadre belge usé jusqu’à la corde ?
Alors oui, la Wallonie a besoin de s’appuyer sur une idée nationale pour assurer son existence, à la façon d’une colonne vertébrale. En sapant la légitimité de l’Etat-nation, c’est à la forme moderne de la solidarité qu’on s’attaque, et il n’est pas surprenant que cela conduise à moins de services publics, moins de sécurité sociale, moins de contrôle démocratique, moins de repères et moins de confiance en soi. Mais ce n’est pas sur le nationalisme flamand que la Wallonie peut raisonnablement s’appuyer. La Belgique est devenue un fantasme dont les Wallons paieront le prix. Sans jouer au prophète, il est permis d’avancer que la Wallonie sera française ou ne sera plus. L’avenir de la Wallonie est situé en France, dans un grand pays dont elle partage la culture et les valeurs.
C’est avec la France que la Wallonie pourra de nouveau s’épanouir.
C’est avec la Wallonie que la France retrouvera la confiance en un destin particulier.
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – Et les mots pour le dire arrivent aisément ( Nicolas Boileau). Merci, Monsieur Régibeau, tout ce que vous développez reflète la réalité, le drame et l’espoir de la Wallonie.
Faut-il enterrer l’Etat-Nation ? Bien entendu que non ! Certes, il doit muer comme toute entité vivante sur terre mais un « globe de boutiquiers » sans aucun Etat n’existera jamais. Comme exemple criant ( soit, ce n’est une preuve) l’actuel « Brexit » ne pourrait se concevoir sans l’existence de l’Etat britannique et la volonté de son parlement.
« Tael is gansch het Volk », cette phrase est réellement intraduisible correctement parce qu’elle recèle toutes les facettes de la pensée, et de la volonté d’existence d’un peuple. Il n’existe qu’un synonyme à cette phrase: » Qu’est-ce qu’une Nation ? » d’Ernest Renan.
Le Belgium ne peut pas être ni devenir une nation parce qu’il lui manque, depuis son origine, la volonté du vivre ensemble. Ce » mensonge d’entre-deux », construit par la force des armées britanniques et européennes ne repose que sur un voisinage séculaire « plus ou moins » paisible entre entités ducales, comtales ou principautaires mais jamais unies par le vouloir des populations. il suffit de tourner autour du mausolée de Charles Le Téméraire, à Brugge, pour s’en rendre compte. Ce triste sire ne fut JAMAIS prince, roi ou seigneur des Bas Pays mais uniquement un potentat reconnu par et pour un lien personnel par chaque entité de son « domaine ». Godefroid Kurth et Henri Pirenne, les manipulateurs stipendiés, durent en convenir.
Mais comment décrocher les Wallons de ce réflexe identitaire pernicieux auquel ils cèdent encore ? Comment leur ouvrir les yeux ? Comment leur rappeler les alarmes qui datent, comme pour les Flamands, depuis le XIXe siècle ? le Congrès de 1945 ne date qu’en même pas de si longtemps ?
La Belgique est devenue un fantasme par la seule volonté d’un corps politique wallon médiocre et infatué de lui-même. Hélas, seuls les citoyens wallons en paieront le prix fort.
L’avenir de la Wallonie est situé en France, dans un grand pays dont elle partage la culture depuis le XIIIe siècle et les valeurs depuis la révolution de 1789.
Cela dit, rien n’interdit de penser qu’un SOS wallon lancé vers la France ne réveille pas le cri de Valmy: « Vive la Nation » !
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