Par Georges Régibeau
Il y a deux mois, Vinciane Pirenne-Delforge prononçait sa leçon inaugurale au prestigieux Collège de France, où elle occupe désormais la chaire consacrée à la religion, l’histoire et la société dans le monde grec antique.
C’est par ces mots qu’elle a terminé son brillant exposé :
« Vous me témoignez une confiance dont j’espère être digne.
« J’espère l’être tout autant des institutions qui ont créé les conditions de mon parcours scientifique, à savoir le Fonds de la Recherche Scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Université de Liège.
« Je souhaite honorer aussi les collaborations que j’ai pu nouer au fil de ces années avec des collègues français car j’ai conscience d’être accueillie dans l’un des établissements les plus prestigieux de la République. Et pour une Wallonne, liégeoise de surcroît, l’appel de la France a une saveur toute particulière. En attendant l’avenir, dont nous aurons collectivement à nous charger, j’arrive au terme de cette leçon inaugurale dont je vous remercie de tout cœur d’avoir été les témoins. »
Voilà qui, au moment de conclure, ressemble à une profession de foi rattachiste, et le nom que porte Vinciane Pirenne est en soi tout un symbole.
En faisant le tour de son sujet, Vinciane Pirenne-Delforge a rappelé que l’histoire se renouvelle sans cesse avec le regard porté sur le passé. À ce niveau de rigueur scientifique, la réflexion se teinte aussi de philosophie. Il s’agit de prendre en compte la façon dont on questionne et appréhende un passé mort, plus ou moins lointain, exotique, dont l’évocation plus ou moins fantasmée est en soi un sujet d’étude. Evidemment, le récit de l’histoire s’inscrit lui-même dans une histoire. Il suffit de voir comment le roman national a pris forme au XIXe siècle, en particulier dans un pays tout neuf qui se cherchait des origines lointaines et prestigieuses.
On a prétendu que le peuple belge était presqu’aussi ancien que le peuple grec, tout en répétant que les tribus belges, situées au nord de la Seine, vaincues par Rome et progressivement romanisées, n’avaient aucun rapport avec les Flamands, venus plus tard dans ce qui s’appelle aujourd’hui la Flandre. Pour trouver du sens à cette histoire, il faut bien sûr inverser la perspective : un gouvernement provisoire a proclamé l’indépendance de la Belgique en 1830 et, après, on a donné une assise historique à ce pays qui était loin de s’imposer comme une évidence. Alors, le récit des faits passés dut s’adapter à ce besoin de légitimer la nouvelle réalité politique. Une entreprise à laquelle on associe volontiers le nom d’Henri Pirenne, dont la réputation a dépassé nos frontières, en particulier pour ses travaux sur le Moyen Âge.
Venu de Verviers pour enseigner l’histoire à l’Université de Gand, non loin du château des comtes de Flandre, Henri Pirenne était à l’image de cette Belgique francophone qui, en se reconnaissant dans le rayonnement de la Flandre au Moyen Âge et à la Renaissance, jusqu’aux ducs de Bourgogne et Charles Quint, voulait croire en un destin original, ni néerlandais ni français. Ce projet montrait déjà ses limites au XIXe siècle, avec la montée en puissance du mouvement flamand, qui associait la langue française à celle d’une puissance étrangère occupant la Flandre. Et puis, en 1912, ce fut au tour de Jules Destrée d’accuser la Belgique, avec ses oripeaux faussement nationaux, d’avoir détourné les Wallons de leur histoire et de leur identité :
« Confiants dans l’illusion belge, nous avions appris à considérer comme des expressions de l’âme de nos aïeux, la fierté farouche des beffrois et des hôtels de ville, l’élan religieux des églises du beau pays de Flandre. (…) Puisque la Belgique, c’était nous comme eux, qu’importait que son histoire, difficile à écrire, fut surtout celle des jours glorieux de la Flandre ? Aujourd’hui, nous commençons à apercevoir l’étendue du mal. Lorsque nous songeons au passé, ce sont les grands noms de Breydel, de Van Artevelde, de Marnix, de Anneessens qui se lèvent dans notre mémoire. Tous sont Flamands ! (…) Des milliers et des milliers d’écoliers ont subi le même enseignement tendancieux. Je suis confus de mon ignorance quand je m’interroge sur le passé wallon. Des amis mieux informés m’assurent que notre grand Pirenne, malgré tant d’aperçus ingénieux, n’a pas su, sur ce point, se dégager de la traditionnelle glorification flamande et faire à la Wallonie la place qu’elle mérite. »
Henri Pirenne fut lui aussi victime de cette illusion belge : la flamandisation de l’Université de Gand, dont il ne voulait pas, précipita la fin de sa carrière académique. A ce moment-là, sa vision de l’histoire de Belgique a-t-elle été troublée ? Et si le même Henri Pirenne avait pu vivre une seconde vie et voir, progressivement, le mouvement flamand se confondre avec la Flandre et phagocyter ce qu’il reste de la Belgique, dominée aujourd’hui par un autre historien, Bart De Wever, aurait-il encore eu l’envie de nous raconter la même histoire ? Au Moyen Âge, on s’est longtemps arrêté aux écrits des savants de la Grèce antique; en les vénérant comme une source de vérité indépassable, on trahissait leur démarche. En bon historien, sensible aux effets du temps, critique, Henri Pirenne ne dénoncerait-il pas la permanence, en Belgique francophone, de représentations surannées qu’il a pourtant contribué lui-même à faire entrer dans les têtes ?
Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes, s’est demandé Vinciane Pirenne-Delforge, en reprenant le titre d’un essai de Paul Veyne… Et les Wallons, avons-nous envie d’écrire, ont-ils renoncé à leur mythologie belgo-flamande ? On sait combien le mythe est essentiel pour créer du lien, souder une communauté nationale ou religieuse en lui donnant les principaux éléments de son identité, mais les circonstances évoluant sans cesse, il arrive que la fiction dans laquelle on baigne, avec sa charge émotionnelle, devienne non seulement inutile mais collectivement préjudiciable. Il est urgent, dans ce cas, de procéder à des mises à jour. Plus de cent ans après la Lettre au Roi de Jules Destrée, trop de Wallons sont encore aujourd’hui mentalement « programmés » pour une Belgique qui a depuis longtemps cessé d’exister.
C’est dans la confrontation avec le présent que le passé gagne une intelligibilité qui interroge aussi le rôle social de l’historien. La fonction de celui-ci n’est certes plus de fabriquer des mythes en réduisant l’histoire à une lecture patriotique, il aurait plutôt tendance à déconstruire, à mettre à distance, à relativiser, mais on voudrait voir si, en dehors de ce travail critique, il se donne encore une responsabilité politique et citoyenne. Comment se fait-il qu’en dehors de l’Institut Jules Destrée, les historiens de Wallonie bousculent si peu les idées reçues sur la permanence d’une identité belge ?
Heureusement, il y a parfois des raisons d’espérer : « …pour une Wallonne, liégeoise de surcroît, l’appel de la France a une saveur toute particulière. En attendant l’avenir, dont nous aurons collectivement à nous charger… »
J’ai le plaisir de connaître quelque peu cette dame remarquable. Tout comme vous, j’avais observé sa prise de position rattachiste lors de sa leçon inaugurale au Collège de France. Au cours de son exposé, elle s’est refusé la moindre allusion à la Belgique ou à la nature de son passeport. Dois-je dire que j’ai beaucoup apprécié cette mise en quarantaine de la belgitude? Faut-il encore préciser que les médias subsidiés (les quotidiens bruxellois et la RTBF par exemple) n’ont pas dit un mot sur la création de sa chaire au Collège de France?
Non, décidément: « Questo paese non è per noi » (mot de Madame Mère au clan Bonaparte et dans un contexte différent, il est vrai).
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Si c’est une profession de foi « réunioniste », alors elle illustre bien cette incapacité des élites belges, pour leur partie « clairvoyante », à prendre nettement partie pour la « solution française ». Procéder ainsi par allusion, sans s’engager, permet au moins de ménager l’avenir sans « se mouiller ».
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Oh! Monsieur Lenain , « tout ce qui petit est joli » ne s’applique pas à la Belgique. Le Régime est bien plus retord qu’on puisse le penser et le croire. Et ses poubelles sont bien plus profondes que celles de pays considérés comme autoritaires. Par ici, croyez le bien la vengeance est un plat qui se mange froid…
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Monsieur Lenain pointe judicieusement le « mal wallon » : » Procéder ainsi par allusion, sans s’engager, permet au moins de ménager l’avenir sans « se mouiller » « .
Faut-il croire que les Wallons craignent leur ombre ? Aujourd’hui, dans l’impérial Union Européenne ou dans l’OTAN, l’une ou l’autre puissance menacerait-elle la Wallonie et la France de tout rapprochement ? A l’heure du Brexit, quelqu’un panique-t-il encore au nom Wellington ou de Lord Palmerston ? Ridicule !
» Comment se fait-il qu’en dehors de l’Institut Jules Destrée, les historiens de Wallonie bousculent si peu les idées reçues sur la permanence d’une identité belge ? »(Par Georges Régibeau)
Faut-il croire que les enseignants wallons craignent pour leur emploi s’ils osent faire découvrir aux écoliers et étudiants la vérité toute nue ? Ce ne serait pas si étonnant que çà, bien qu’aujourd’hui le cours d’Histoire passe à la trappe.
« Plus de cent ans après la Lettre au Roi de Jules Destrée, trop de Wallons sont encore aujourd’hui mentalement « programmés » pour une Belgique qui a depuis longtemps cessé d’exister. » (Par Georges Régibeau)
Faut-il croire que les politiques wallons craignent pour leurs élections, leurs mandats et leurs prébendes qu’ils n’ osent faire découvrir aux citoyens la réalité des choses qu’ils ont camouflée par leurs mensonges et leurs silences ? Espérons que la cessation des transferts financiers de Flandre les rappellent à la raison ?
Mais, il y a peut-être pire engeance, souvenez-vous de Monsieur Magnette qui déclara préférer l’Allemagne à la France. Dans toute l’Histoire de la Wallonie une seule personne politique osa déclarer, avant lui, que les « wallons étaient des germains romanisés »; cela se passa durant l’occupation allemande au cours de la Seconde Guerre Mondiale.
» Des milliers et des milliers d’écoliers ont subi le même enseignement tendancieux. Je suis confus de mon ignorance quand je m’interroge sur le passé wallon. Des amis mieux informés m’assurent que notre grand Pirenne, malgré tant d’aperçus ingénieux, n’a pas su, sur ce point, se dégager de la traditionnelle glorification flamande et faire à la Wallonie la place qu’elle mérite. » (Jules Destrée)
Faut-il que seul Bart De Wever nous dessille les yeux, alors que les géniaux organisateurs de la Communauté française, porteuse de la « Toison Mitée » de la Communauté Wallonie-Bruxelles, s’obstinent à soutenir la propagande belgicaine dans l’enseignement du primaire à l’universitaire ? L’indéboulonnable Demotte, plus Renaisien que Tournaisien, devrait pouvoir nous éclairer.
Mais ce n’est peut-être qu’une question de transfert de fonds ? Ah Si nous pouvions encore questionner Monsieur de Talleyrand à ce propos ?
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Personnellement, je me souviens d’un titre du grand Jacques qui s’intitulait: « le plat pays » (qui était le sien)!!!
Pour ma part, ce n’est pas le mien (le plat pays)! Jacques Brel avait oublié que la Belgique, c’est aussi les Ardennes et les Hautes-Fagnes entre autres! Mais comme il était pas wallon hein!!!
Et c’est quand même par la France (par Paris) qu’il a dû passer pour « réussir » comme beaucoup d’autres belges: Adamo, Plastic Bertrand, Lio, Cécile de France, Virginie Efira, Marie Gillain, Maurane, François « l’embrouille » Damiens, Benoît Poelvoerde, ou même Arno ou Axelle Red (côté flamand) et j’en passe… le seul qui aurait mérité plus de reconnaissance mais pour je ne sais quelle raison, il n’a pas vraiment insisté pour se faire connaître plus en France, c’est Pierre Rapsat!
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