Education, instruction : le tronc commun n’est pas la solution

Une carte blanche de Pierre Hazette, mise en ligne sur le site du quotidien « Le Soir ».

L’ancien ministre de l’Enseignement secondaire en Communauté française plaide pour une revalorisation des filières et l’exploitation des temps libres et autres journées blanches par des activités linguistiques, artistiques, sportives et philanthropiques.

« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. »

Je me suis souvenu de cette saillie d’Albert Einstein en lisant les propos péremptoires et définitifs de la Professeure Dominique Lafontaine de l’Université de Liège. Elle s’inscrit fidèlement dans la suite de ses devanciers liégeois, les maîtres pédagogues Gilbert De Landsheere et Marcel Crahay. L’Ecole de Liège a, en effet, largement inspiré les réformes pédagogiques qui ont bouleversé l’enseignement dans la Communauté française de Belgique.

L’instauration du tronc commun vient du siècle précédent. Il n’a pas fonctionné parce qu’il s’est traduit, dans la perception des adolescents, comme l’assurance de passer automatiquement de la première à la deuxième année de l’enseignement secondaire. Il s’est heurté aux objections que les enseignants soulevaient, non seulement lorsqu’ils étaient confrontés à la démotivation des élèves, mais aussi lorsqu’ils constataient la difficulté de garder la qualité de leur enseignement au niveau qui les rendait fiers de leur travail et motivait les élèves, heureux d’apprendre et de progresser.

Des erreurs « sacralisées »

Le tronc commun jusqu’à quatorze ans a été un échec.

La correction proposée par le pacte d’excellence et soutenue par Madame Lafontaine fixe à quinze ans le terme du parcours commun, en attendant, annonce-t-elle, de le porter à seize ans.

Chez nous, on n’apprend pas vraiment de ses erreurs ; au contraire on les sacralise !

On s’accroche à un système qui prend l’eau pour éviter de présenter un autre modèle de société où chaque enfant trouverait sa place, parce que ses aptitudes propres auraient été reconnues et valorisées. On se gargarise de comparaisons internationales pour affirmer que nos piètres résultats se corrigeront en aggravant les erreurs qui les ont provoquées. Curieusement, le modèle allemand n’est jamais évoqué, alors que le chômage des jeunes y est moindre qu’ailleurs.

Une pluralité d’excellences

Dans un authentique « Pacte d’excellence », il conviendrait d’écrire « excellences ». C’est que l’excellence n’est pas unique. Il y a dans chaque enfant une quête de reconnaissance et plus tôt la parcelle d’excellence qu’il y a en lui se sera révélée, plus l’école aura l’obligation de lui ouvrir le chemin qui monte. Ce sera trop tard à quinze ans.

Se conforter par une étude statistique des systèmes étrangers, c’est refuser de construire l’école avec ses acteurs de terrain, avec les attentes des parents, des Hautes Ecoles et des Universités, des responsables économiques, aussi. Je rejoins Michel Onfray. « Une civilisation n’existe qu’en répondant à ce qui met sa vie en péril. » On peut, à coup sûr, dire la même chose de notre Communauté française de Belgique.

Exploiter les temps libres

Lorsque la Ministre annonce qu’elle accorde la priorité au français et à l’arithmétique à travers tout l’enseignement primaire, on a envie d’applaudir et d’ajouter, après l’ovation, que d’autres priorités sont à l’ordre du jour : meubler les temps libres, les jours de congé, les journées blanches, les mercredis après-midi, les samedis par une offre d’activités manuelles, de stages linguistiques, de découvertes artistiques et d’initiation à l’art, de pratiques sportives accessibles aux filles comme aux garçons, d’actions philanthropiques, de visites aux bibliothèques ou aux académies comme aux centres de technologie avancée. En associant à ces activités d’éveil ou d’initiation, des acteurs extérieurs à l’école, nous créerions enfin une société enfants admis et libérés de l’addiction aux tablettes et smartphones.

Des filières épanouissantes

Ainsi lorsque s’ouvrira l’enseignement secondaire, l’adolescent pourra trouver, non un tronc commun, parce qu’il aura appris à se connaître, parce que ses instituteurs auront recueilli les observations qui, s’ajoutant aux leurs, à celles des CPMS et à celles des parents, permettront de lui conseiller une orientation parmi tant d’autres. En d’autres termes, on en aura fini avec la relégation vers les filières techniques ou professionnelles. Celles-ci s’offriront au contraire comme la voie d’accès à un épanouissement attendu, espéré. De même, les filières de l’enseignement général pourront développer les enseignements adaptés aux attentes dans les domaines littéraire, scientifique, économique, artistique, sportif… Je ne crains pas de défendre les filières, pourvu qu’elles soient conçues pour permettre les passages de l’une à l’autre. La diversité de l’offre éducative, je la réclame, non pas quand l’adolescent aura quinze ans, mais quand accédant à la « grande école », il prendra conscience qu’il franchit une étape de sa vie et que le passage est important.

Dans ce contexte d’éducation élargie aux loisirs actifs, se situera aussi la réponse à apporter aux enfants et adolescents dont le français n’est ni la langue maternelle, ni la langue de communication à la maison. Pour eux, aussi, il faut briser le cadre horaire et offrir, voire imposer, la fréquentation d’activités d’appropriation de notre langue et de notre culture.

« Pour penser en largeur, écrit Michel Debray, il convient d’émouvoir en profondeur, et pour faire palpiter, il faut faire espérer. Quoi ? Que demain sera un autre jour. Que l’on peut s’en sortir. »

 

 

 

3 réflexions sur « Education, instruction : le tronc commun n’est pas la solution »

  1. « Sacraliser les erreurs » permet à des idéologues fourvoyés de conserver leurs places (maléfiques) et à la Communauté W-B ( en fait financièrement exsangue) de se targuer d’avancer vers « l’excellence » en jetant l’argent du contribuable à la mer.
    Comment se fait-il que l’école primaire d’aujourd’hui ne parvienne plus à enseigner le français et l’arithmétique comme dans les années cinquante ? Tout était sujet à dictées et à rédactions aussi bien une page de leçon d’histoire que de géographie. Aujourd’hui, même la règle de trois a été abandonnée. Aucun élève n’était désavantagé ni le fils d’ouvrier ni le fils d’agriculteur ni le fils du pharmacien. Chacun décrochait la place de son mérite et de son travail parce que l’instituteur ne lâchait personne et pourtant, à l’ époque, il gérait plusieurs années regroupées dans la même classe.

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  2. Parfois même, Valmy, les six années. Dans les écoles rurales notamment. Parfois même, comme encore dans les années 60 du siècle dernier, une cinquantaine d’enfants. Mais les enseignants suscitaient alors le respect parce qu’ils « prêchaient par l’exemple », qu’ils soient laïcs ou chrétiens. Mais alors, ils ne comptaient pas leurs heures, qu’ils meublaient encore par la bibliothèque publique, par des coups de pouce à l’administration locale et par les leçons du samedi matin, sans parler de la surveillance des enfants à la messe dominicale. Mais alors, personne n’avait instillé cette idée farfelue que la qualité de l’école était fonction du nombre d’élèves dans la classe (Rappelons-nous ce slogan syndical malhonnête des années 80: « Plus nos moyens sont petits, plus vos petits seront moyens »! Mais alors, personne ne militait en faveur du « Tout, tout de suite », et donc de l’investissement le plus rapidement productif. Tous savaient que l »instruction se méritait, qu’elle apporterait un plus. Pas de pénurie d’enseignants non plus à cette époque, malgré la tâche quotidienne. A force d’avoir été assommé par l’idée que « le Belge avait une brique ans le ventre », à nourrir, à satisfaire, à arrondir, on en a aussi oublié qu’il avait aussi une tête.

    Le problème est ailleurs que dans le tronc commun. Car on ne peut instruire quand on n’a pas éduqué au préalable, quand tous tirent à hue et à dia tant l’individualisme est partout, qui a sapé les règles de la vie en commun. Partout. Dont les enseignants aussi sont les victimes expiatoires aujourd’hui devenues boucs émissaires de tous les maux de la société. Cessons donc de tirer sur les pianistes d’une partition sans harmonie!

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  3. Rions un peu ! Qui va devenir le cocu magnifique à la C. W-B ?

    Vers un pacte bruxellois pour un enseignement d’excellence?
    Par: rédaction 23/01/18 – 22h56 Source: Belga

    Le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort a plaidé mardi pour l’élaboration d’un « Pacte bruxellois pour un enseignement d’excellence ». Motif: l’état de la jeunesse de la capitale pousse, selon lui, à penser cette politique de manière bruxello-bruxelloise.
    « J’ai connu des négociations à la Fédération Wallonie-Bruxelles où Bruxelles passe systématiquement au second plan. Le Pacte d’excellence est une nécessité. Mais dans sa mise en œuvre, il faut que Bruxelles soit au cœur, car les difficultés y sont concentrées. La pauvreté et la croissance démographique y sont importantes, Bruxelles est une porte d’entrée de l’immigration », a soutenu M. Vervoort, adressant ses bons voeux à la presse.

    Pour le ministre-président bruxellois, la sortie définitive du cercle vicieux du chômage des jeunes bruxellois nécessite d’investir massivement dans l’enseignement, et en particulier dans l’enseignement bilingue quitte à y consacrer une partie des moyens du refinancement de Bruxelles.

    « L’enseignement crée des futurs citoyens et pas seulement des futurs travailleurs »
    M. Vervoort a par ailleurs mis l’accent sur quatre objectifs qu’il juge prioritaires en la matière à Bruxelles: un abaissement de l’âge d’obligation scolaire à 3 ans; un allongement du tronc commun pour lutter contre le décrochage scolaire – « contrairement à mon homologue wallon (Willy Borsus-MR), j’estime que l’enseignement crée des futurs citoyens et pas seulement des futurs travailleurs » -; un maximum de 15 élèves par classe dans les écoles situées dans les quartiers fragilisés; et une gratuité effective de l’école assortie d’un encadrement renforcé avec une heure d’étude dirigée pour chaque enfant.
    « Personne n’ose rêver d’un « Pacte bruxellois pour un enseignement d’excellence ». Ce sera un axe déterminant de mon discours dans les prochaines années », a annoncé M. Vervoort.

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