M. Jules Jasselette, Echevin honoraire de l’enseignement communal liégeois, nous envoie une lettre écrite par deux enseignantes qui se posent pas mal de questions quant au pacte d’excellence. Avec beaucoup de pertinence, elles interrogent ce pacte.
Cette lettre a été signée par Sylvie et Sophie Hendrickx, professeurs de néerlandais dans le premier degré du secondaire. Elle a été publiée sur le site du journal Le Soir le 31 janvier 2017.
«Nous avons l’impression d’être sur un paquebot qui coule»
Cher Pacte pour un enseignement d’excellence,
Voilà plusieurs mois que tu fais partie de nos discussions journalières avec nos collègues, nos amis, notre famille. Parfois, tu hantes nos nuits.
Tu as gagné le centre de nos conversations car ton contenu nous inquiète beaucoup. Certains de tes passages nous font même peur. Nous avons peur pour nos futurs élèves, peur pour « nous », peur pour notre profession, peur pour notre Enseignement.
T’es-tu rendu dans les écoles pour analyser les effets du passage automatique de première en deuxième secondaire ? As-tu rencontré tous ces élèves en « décrochage » ? As-tu pu faire comprendre à tous ces élèves de première qu’il était important d’étudier et de fournir un travail rigoureux même s’ils passent d’office en deuxième (peu importent leurs résultats) ? As-tu pu motiver ces élèves de deuxième – qui, souvent, n’ont pas acquis les compétences de fin de première – et leur expliquer qu’ils doivent se mettre sérieusement au travail et ne pas attendre les épreuves du CE1D en fin d’année (car « il n’y a que ça qui compte ») ?
As-tu passé du temps avec les élèves du différencié ? Tu sais, ces élèves qui ont besoin de travailler « d’autres choses » et différemment. Ce sont des élèves qui évoluent et s’épanouissent dans ces petites classes avec un encadrement différencié.
As-tu eu un moment de partage avec tous ces élèves qui ont, parfois depuis la première secondaire, un « projet » ? Ces élèves qui sont souvent bloqués trois ans dans le premier degré, ne demandent pas grand-chose : ils demandent qu’on les aide à peaufiner leur projet mais – surtout – ils demandent à ne pas perdre un an supplémentaire dans le degré. As-tu entendu leurs demandes ?
Tous ces élèves dont nous t’avons parlé ci-dessus, que vont-ils devenir dans le Tronc Commun ? Il paraît que nous devons espérer que les moyens supplémentaires mis en maternelle et en primaire nous apporteront, dans le secondaire, des élèves avec bien moins de difficultés qu’actuellement. Ces élèves auront intégré, dès leur plus jeune âge, qu’ils doivent travailler et fournir des efforts même si « cela ne compte pas pour des points ». Y crois-tu vraiment ? Nous en doutons fortement… Nous avons bien compris qu’il fallait diminuer le nombre de redoublement dans l’enseignement de la Communauté française. L’objectif est, entre autres, d’atteindre le pourcentage de redoublement de la Communauté flamande. Nous allons atteindre cet objectif grâce à un passage automatique de la première maternelle à la troisième secondaire. Devrons-nous en être fiers ?
Que devons-nous penser de la fusion du technique de qualification et du professionnel ? Les élèves dans ces deux filières ont des profils et des projets tout à fait différents. La fusion de ces filières, est-elle vraiment la seule manière que tu as pu imaginer pour revaloriser l’image de celles-ci ?
Le vase est plein
Dans une école, il n’y a pas que les élèves. Il y a également les professeurs, les éducateurs, le personnel administratif, la direction… As-tu pensé à toutes ces personnes à qui on impose, depuis plusieurs années, de nouveaux décrets ? Te rends-tu compte à quel point cela engendre du travail supplémentaire, de la pression, du stress… ? Te rends-tu compte comme nos conditions de travail se sont compliquées ces dernières années ? Plusieurs de tes mesures risquent d’accentuer davantage toutes les difficultés auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. Le vase est plein, nous te supplions de ne pas le faire déborder.
Pour l’enseignement maternel, tu annonces l’engagement de 1.100 enseignants, puéricultrices, psychomotriciens. Ces 1.100 personnes vont-elles toutes se retrouver dans les classes et les écoles existantes afin d’améliorer la gestion et le travail ? Ou ce chiffre inclut-il toutes les personnes qui devront être engagées pour faire face au manque de place dans les écoles et accueillir les futurs élèves ? D’ailleurs, sais-tu où en est la CF dans la création de ces nouvelles écoles et de ces nouvelles classes (nous parlons des « vraies » classes, pas des pavillons mobiles) ?
« Comme tout le monde » ? Chiche…
Dans le secondaire, tu prévois pas mal de changements pour les enseignants. Tu redéfinis le temps de travail et les tâches. Lors d’une assemblée, nous avons appris que tu tiens à quantifier nos heures de travail afin de t’assurer que nous prestons bien 38 heures par semaine (« comme tout le monde »). Ne t’inquiète pas, avec le travail que nous fournissons, nous arrivons déjà à nos 38 heures par semaine et, régulièrement, nous les dépassons. Que va-t-on faire, dès lors, de ce travail supplémentaire que l’on devrait effectuer ? Serions-nous payés pour les heures supplémentaires ? Ou nous permettrais-tu de pointer ? Ainsi, on s’arrêterait tous à nos 38 heures et cela éviterait tout problème de paiement d’heures supplémentaires ou de récupération. Dans le cas où l’on ferait « comme tout le monde », nous supposons que tu prévois de nous fournir un lieu de travail correct ainsi que notre matériel de travail (matériel de bureau, ordinateur, connexion internet, imprimante, cartouches d’encre, feuilles, manuels scolaires). Mais cela, nous n’en doutons pas. Peut-être aurait-on même droit « comme tout le monde » à certains avantages tels que des chèques-repas, des écochèques, une assurance hospitalisation, une assurance groupe… ?
Tu redéfinis également l’évaluation. Nous serons désormais évalués, en équipe, par la direction ou par un collègue « expérimenté ». Avec la charge de travail croissante qui s’impose aux directions, nous imaginons que beaucoup d’équipes seront évaluées par un collègue « expérimenté ». Tu comprendras aisément que nous craignons un changement d’ambiance et de relations dans nos équipes. Est-ce normal d’être évalué par un collègue ? As-tu épluché des études fiables qui montrent des effets positifs de telles évaluations ? Pourrais-tu nous rassurer en nous répondant par la positive et en nous communiquant ces études ?
Une ASBL regroupant de nombreux professeurs de la CF postait le 4 janvier 2017 :
« Concernant le Pacte d’excellence, il n’y a fort objectivement aucun risque à le tenter et l’appuyer. »
« On ne peut pas dire, qu’avec ce Pacte, ‘On va niveler par le bas et ce sera pire’. Au fond du fond, on y est déjà. Et faire pire que ça, ce sera quand même compliqué. »
« Et on verra dans dix ou quinze ans. L’histoire jugera. »
Un Pacte à lire en intégralité
Pour notre part, nous avons l’impression d’être sur un paquebot qui coule depuis quelque temps. Selon nous, ce paquebot n’a pas encore, même s’il en est dangereusement proche, touché le fond. Nous ne souhaitons pas être fatalistes. Nous souhaitons faire part de nos plus grandes inquiétudes te concernant, cher Pacte, afin que les élèves, les parents, le personnel des écoles… te lisent. Ceci leur permettra de se rendre compte de l’ampleur des impacts qu’auraient certaines de tes mesures. Nous espérons que toutes ces personnes prendront le temps, comme nous et comme beaucoup d’autres, de te faire part de leurs ressentis (positifs et négatifs).
Nous espérons réellement que tu tiennes compte de tous les retours et avis qui te concernent et pas uniquement des « synthèses » (rapports) qui te sont remis. C’est comme toi, il vaut mieux te lire en entier que ton résumé.
Partout, pour des raisons diverses et variées, des voix s’élèvent contre ce Pacte devenu marché de dupes. En haut lieu, on refuse de les entendre: tous ses concepteurs, et eux seuls, y trouvent leurs bons comptes, tous y trouvent leur bénéfice personnel, en termes financiers ou en termes de pouvoir. Dans d’autres domaines, au nom du principe de précaution, on se préoccupe des effets secondaires d’une thérapie. Quand il s’agit d’école, on refuse d’entendre les vrais acteurs du terrain que ne seront jamais les caciques des associations syndicales et parentales…
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«Nous avons l’impression d’être sur un paquebot qui coule». Tout est dit. A cela, ajoutez la lutte des réseaux !
Sans nier l’histoire de l’enseignement en Europe, il serait bon, une fois pour toute, de détacher ce dernier des emprises confessionnelles. Le confessionnel se vit dans les lieux prévus à cet effet à savoir temple, églises, synagogues et…mosquées. La foi demande l’effort de la vivre là où elle peut se partager librement comme le prévoit, d’ailleurs, les Constitution de tous les pays européens.
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@ Valmy
Comment expliquer, selon vous, que la France elle-même, qui a plus radicalement séparé Eglise et Etat que tout autre pays, tolère encore des « écoles privées sous contrat », dont certaines catholiques, dont les enseignants sont rétribués par les pouvoirs publics, mais pas les directions? En quoi et pourquoi cet état de fait expliquerait-il la qualité d’un système scolaire dont la mesure se situe à l’aune des enquêtes Pisa. A propos…Pourquoi ne publie-t-on pas ces résultats en discriminant les réseaux d’enseignement? Ils sont pourtant connus!!
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PISA n’est qu’une grille de lecture anglo-saxonne donc suspecte car on ne peut se baser sur elle pour édifier des politiques éducatives. Mais en attendant PISA génère une vision et un discours dominants. D’autant que PISA s’est imposé comme un indicateur de référence. Pourquoi PISA alors qu’il existe d’autres études et grilles de lecture plus fiables.
En 2017, Le Belgium ( VL + Wl + Bxl )se situe à la 20e place et la France à la 26e. Différence, la France n’abandonne pas les concours d’entrée. La Flandre introduit la politique des concours d’entrée. La Wallonie-Bruxelles se prive de cet épreuve par pure idéologie du laxisme égalitaire gauchiste ( idéologie qui effrayerait Marx !)
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Un avis intéressant malgré le fait que l’enseignement en « Communauté française » ne manque pas de moyens…
02/09/17 à 09:53 – Mise à jour à 10:56
« Le Pacte d’excellence … sans le sou ! »
Emmanuel Depret, ex enseignant en haute école et papa de trois enfants scolarisés, s’interroge sur les moyens alloués au Pacte d’excellence suite à l’article paru dans Le Vif de cette semaine.
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Les ressources déjà allouées au système scolaire francophone ne manquent pas, en effet. Encore faut-il qu’elle soient affectées en fonction des besoins réels. On connaît leur affectation: plus de 80% vont aux salaires et le reste aux bâtiments et aux ressources proprement
pédagogiques; le niveau secondaire se taille la part du lion…En fonction de quels critères? Sans une analyse objective de l’allocation des moyens, toujours, la guéguerre des intérêts corporatistes subsistera, alimentée par des centrales syndicales elles-mêmes retranchées en leur pré carré.
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