Wallonie schizophrène

Être ou ne pas être… Notre époque est de nature à susciter un tas de questions existentielles.

En Wallonie peut-être un peu plus qu’ailleurs.

Ce sont les fêtes de Wallonie. Les médias francophones ont rappelé combien les Wallons sont attachés à la Belgique. Aux yeux des Wallons, les tensions communautaires ne sont que des jeux politiques insignifiants, elles ne disent rien du « pays réel ». Pourtant, ces mêmes Wallons sont de plus en plus nombreux à sanctionner le parti d’Elio Di Rupo, qui aurait concédé trop de mesures antisociales à la Flandre (alors même que celle-ci était minoritaire au gouvernement, ce qui a radicalement changé). Une part significative de la Wallonie se cramponne à une politique de gauche autant qu’à un état belge de moins en moins solidaire essentiellement contrôlé par une Flandre au profil très à droite et très flamand. Plus la Belgique se détricote et plus on voudrait s’y sentir au chaud et plus on la fantasme. Wallonie schizophrène qui chérit la Belgique au-dessus de tout mais accuse le gouvernement fédéral de vouloir « mettre la Wallonie un genou en terre ».

Ce sont les fêtes de Wallonie et on a le droit d’être un peu fou.

Cela mange et cela boit mais la Wallonie existe ailleurs que dans un verre de pékèt, on vous l’assure et on va le prouver, quitte à fâcher la Flandre ou à réjouir sa frange indépendantiste, quitte à désobéir aux instances européennes, dont la politique n’est pas du tout sociale et protectrice et efficace. Ainsi monte et monte la parole de Paul Magnette, chef du gouvernement wallon mais aussi bourgmestre en titre de Charleroi. La Wallonie existe au moins dans les discours. Fini de tout accepter. La fermeture de Caterpillar-Gosselie pose encore une fois la question du pouvoir des Etats dans un monde globalisé dominé par les marchés financiers. A quoi peut servir la politique si le vrai pouvoir est ailleurs ? Que représente la Wallonie ? Et que représentent ceux qui la représentent ?

Force est de constater que de grands partis de gauche ont accompagné cette évolution qui les place aujourd’hui dans un inconfort croissant. Aveuglement, posture schizophrène : on ne peut pas vouloir tout et son contraire. Mais l’enjeu de la mondialisation dépasse évidemment la Wallonie et le Parti socialiste. Au cœur du problème, il y a la place laissée à la politique, à la démocratie, aux citoyens.

Voici ce qu’on pouvait lire hier sur le site Atlantico.fr, un site d’information généralement catalogué « à droite ». Les personnes interrogées, Xavier Timbeau et Sylvie Matelly, sont des experts en analyse économique. Ils ne se sont pas exprimés sur le cas particulier de la Wallonie mais on peut au moins retirer une chose de leurs propos : dans la nouvelle configuration du monde, la Wallonie ne s’en sortira pas toute seule. On le savait. (G.R.)

Morceaux choisis :

Atlantico : Quel est véritablement le pouvoir d’un Etat dans l’économie du XXIe siècle ?

Xavier Timbeau : La globalisation est l’histoire de la remise en cause des pouvoirs des Etats dans l’économie du XXIème siècle. Ce qui peut être fabriqué ailleurs dans de meilleures conditions de coût, de sécurité juridique, d’accès au marché le sera. Les Etats sont donc en concurrence pour attirer la production. Pourtant ils gardent de nombreux instruments, de la production de réglementations à la fourniture d’infrastructures ou d’une main-d’œuvre qualifiées.

La fiscalité est aussi centrale, d’autant que si la production des biens matériels peut être délocalisée, la vente et les services associés sont encore presque complètement liés au territoire de consommation. Seuls quelques services dématérialisés échappent à cette contrainte. Le pouvoir des Etats dépend en fait beaucoup de leur taille et plus précisément de la taille de leur marché (…). La construction européenne est une tentative, pas encore aboutie, pour que ce pouvoir contesté des petits Etats soit reconstruit au niveau d’un ensemble d’Etats. Lorsque la Commission Européenne demande à l’Irlande de taxer Apple rétrospectivement de 13 milliards d’euros d’impôts sur les bénéfices, elle traite à fois des grandes entreprises dans la globalisation et leur capacité à échapper au pouvoir coercitif des Etats et aussi de la concurrence (fiscale) entre les Etats. 

Sylvie Matelly : La question n’est pas tant celle d’un Etat dans l’économie du XXIe siècle car dans l’absolu il peut tout faire, ce sont des choix politiques. La limite est posée par les engagements de cet Etat d’une part et l’insertion de l’économie nationale dans l’économie globale d’autre part. (…) Une économie qui est fortement dépendante de financements extérieurs, qui attire les investissements étrangers, qui commerce beaucoup avec le reste du monde (exportations et importations) n’a pas intérêt à s’exonérer du respect des règles libérales qui régissent cette économie globale.

A. : Peut-on dire que les dirigeants ont laissé le pouvoir, en laissant de côté certains de leurs pouvoirs, ou s’agit-il de contraintes réelles, conséquences de la mondialisation ?

X. T. : La mondialisation a bousculé en profondeur les Etats sociaux-démocrates. D’abord, la mutation économique qu’elle a déclenchée a fait des gagnants (les consommateurs, les producteurs à haute valeur ajoutée, les plus qualifiés) mais aussi des perdants. Les compenser ou les accompagner est difficile sans leur donner le sentiment qu’ils ne deviennent dépendants. Ensuite, tout le monde est exposé aux chocs planétaires. (…) Face à ces chocs, les Etats doivent apporter une assurance mais il devient difficile de le faire pour les petits Etats très ouverts. (…) Les petits Etats sont à la peine dans cette mondialisation pour assurer ces fonctions. Enfin, la mondialisation pose frontalement la géographie de la production. Si la division du travail implique la spécialisation, la spécialisation d’un petit territoire peut poser beaucoup de problème comme la correspondance entre la qualification de la main-d’œuvre et le tissu productif ou l’exposition à des chocs lorsqu’on est trop spécialisé. L’Etat stratège au XXIème siècle c’est celui qui s’insère dans la mondialisation mais qui diversifie ses spécialisations tout en organisant la redistribution nécessaire (soit des productions, soit des revenus) entre les territoires.

S. M. : La question de la politique industrielle est une vraie question, souvent posée ces dernières années et pas seulement en France. Sauf qu’une politique industrielle, c’est une réelle stratégie, avec des objectifs et des enjeux, des moyens financiers et humains etc. pas des réactions au cas par cas en fonction des polémiques et scandales. Pourquoi vouloir maintenir des compétences industrielles nationales? Cette question est fondamentale et la réponse n’est jamais fournie par les décideurs politiques. Ce peut être pour des raisons stratégiques (conserver des savoir-faire importants pour préserver notre souveraineté nationale, préserver un système national d’innovation en maintenant les bureaux d’études d’entreprises de pointe par exemple), pour des raisons sociales (préserver l’emploi dans certains bassins d’emplois sinistrés – il n’est d’ailleurs pas dit que le meilleur moyen d’y parvenir soit en maintenant les entreprises qui y rencontrent des difficultés… une politique d’aménagement du territoire peut aussi être une forme de politique industrielle !), pour des raisons politiques, culturelles ou autres. Tout cela relève toutefois plus d’un choix politique qu’économique ! (…)

A. : Outre sa mission d’encadrant et son rôle de protecteur, de quels outils l’État dispose-t-il pour assurer aussi bien que faire se peut une mondialisation participant au bien commun ? Quels sont les dispositifs les plus efficaces pour faire face aux défis de demain ? 

X. T. : La question des outils est centrale. Les petits Etats n’ont souvent pas beaucoup de choix ouverts (…). La collusion d’Etats est le moyen de définir ses propres règles quant aux échanges, quant à la fiscalité, aux normes ou encore les choix stratégiques que l’on veut suivre. Prenons un exemple. Si un petit Etat veut participer à la production d’avions dans la compétition mondiale, il sera contraint d’être moins cher, et de prendre moins de risque d’innovation. Il ne pourra pas user de la commande publique pour soutenir son champion national sans risquer d’être capturé par les actionnaires de ce producteur. Un grand pays (ou une collusion d’Etats), pourra dicter ses conditions en matière de concurrence déloyale (en bloquant son immense marché s’il pense qu’il y a subvention indue), de normes, de sécurité. Il pourra organiser une commande publique (en favorisant les producteurs nationaux) en ménageant la concurrence sur son territoire plus grand. Il risquera moins d’être capturé et en même temps pourra diversifier les risques d’innovation. Au final, il aura les moyens d’une stratégie de long terme sans risquer de tomber dans l’inefficience.

S. M. : Le rôle de l’Etat dans un monde global est clairement à redéfinir. Les politiques économiques classiques fonctionnent mal, se révèlent coûteuses (politique budgétaire) ou risquées (politique monétaire). Même le rôle protecteur de l’Etat est discutable au vu de l’ampleur des inégalités et/ou des niveaux de chômage. Pour autant, une économie sans Etat c’est encore plus d’inégalités, des crises etc.

L’Etat doit déjà fixer des règles et un cadre et faire respecter ces règles. Cela paraît une évidence mais la tendance a été plutôt à la suppression d’un certain nombre de régulations jugées pénalisantes ces dernières années (…).

Le contexte est également important. L’Etat peut financer des infrastructures, routes, autoroutes, connexions et réseaux dans les régions isolées etc. Regardez l’impact positif qu’a pu avoir le TGV ou la fibre dans certaines régions françaises. Enfin, l’Etat doit continuer à assurer son rôle de protecteur (c’est un amortisseur social), mener une politique industrielle etc. mais il a dans un monde global un impératif de résultats. Il doit donc savoir pourquoi il le fait, comment il le fait et s’adapter au cas par cas en fonction du contexte. La limite de cela relève probablement du fait que le temps politique ne coïncide jamais avec le temps économique…

5 réflexions sur « Wallonie schizophrène »

  1. De toutes façons, nous nous dirigeons vers le « Nouvel Ordre Mondial » (qui est déjà quasi en route) et qui précédera la « fin du monde »…

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  2.  » L’Etat doit déjà fixer des règles et un cadre et faire respecter ces règles. » Cela paraît une évidence mais la tendance est le contraire lorsqu’on observe les abandons volontaires des Etats européens aux membres non élus de la Commission européenne.

     » L’Etat peut financer des infrastructures, routes, autoroutes, connexions et réseaux dans les régions isolées etc. Regardez l’impact positif qu’a pu avoir le TGV ou la fibre dans certaines régions françaises. Enfin, l’Etat doit continuer à assurer son rôle de protecteur (…)  » Cela paraît aussi une évidence mais, alors, pourquoi les Etats européens abandonnent-ils volotairement toutes ces prérogatives aux membres non élus de la Commission européenne?
    La SNCF appartient fondamentalement à l’Histoire de France. Comment la France pourra – t -elle encore organiser son territoire si la SCNF disparaît au profit d’une entité privée non française ? Cela vaut évidemment pour tous nos pays respectifs mais certains se protègeront certainement mieux que d’autres.
    Comment la Wallonie pourra – et -elle restructurer son territoire si elle ne possède plus les moyens de reconstruire un réseau ferroviaire adapté à ses besoins ?

    Que l’on soit de droite ou de gauche, comment un élu peut-il trahir son peuple ?

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    1. En notre bon royaume, la presse subsidiée de langue française tient le rôle du veilleur de nuit qui clame de rue en rue: « Dormez bonnes gens, tout va bien ».
      Que la NVA hésite entre deux politiques ne signifie pas sa disparition prochaine ou son absorption par le système belge, d’autant plus que l’adjectif « belge » a retrouvé, depuis l’émergence de la Nation flamande, sa signification première de « néerlandais méridionaux » (XVIe ou XVIIe siècle ?). La dite presse subsidiée de langue française omet de rappeler à ses chers lecteurs des faits bien plus importants à savoir la volonté d’ émancipation du parlement de Flandre et son objectif de se débarrasser de la gangue imposée par les Britanniques au XIXe siècle, héritage bourguignon (hélas, oui !) transmis aux Habsbourg jusqu’à la trop courte période française. Il ne faut pas surtout pas affoler les Wallons par l’évocation de l’échéance des transferts financiers nord-sud surtout après le coup de Caterpillar. Il faut avant toute chose enfumer l’esprit des Wallons et les abuser par les visites royales.
      Bref, avec ou sans NVA la marche de la Flandre vers son rêve d’autonomie-indépendance s’avère inexorable mais Bart et son équipe souhaite certainement fignoler les choses avant de siffler la fin de la partie.

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