Ils l’ont fait

Alea jacta est. Les dés sont jetés. The die is cast. Il ne semble pas que l’Angleterre soit moins démocratique aujourd’hui qu’hier. Dès lors, si les Anglais ont choisi de rompre avec leurs partenaires européens, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ça les regarde. Et tant pis si cela ne plaît pas à tout le monde.BrexitEvidemment, la presse est en ébullition, it is democracy. Au-delà du devoir d’informer, il y a le droit fondamental d’exprimer sa colère ou son désappointement. 

A la une de l’Obs, le réquisitoire est sans nuance. « Les pères fondateurs de l’Europe avaient raison : les nations triomphantes des années 1815-1914 étaient bien mortes, putréfiées sur les charniers de la première puis de la deuxième guerre mondiale. Après soixante ans de convergence européenne, aussi maladroites furent-elle, ces idéologies foncièrement xénophobes n’ont aucune chance de ressusciter. A l’heure de l’humanité connectée, les individus se rattachent à d’autres communautés. Un londonien partage plus de valeurs et de communauté de destin avec un parisien, un milanais, un berlinois ou un new-yorkais qu’avec un agriculteur du Devonshire. Un étudiant de Glasgow préfère rencontrer ses semblables de Séville, Athènes ou Copenhague… C’est là, le véritable sens de la pensée de Churchill qui préférait le « grand large » au « Continent ».  En optant pour le Brexit, la majorité des électeurs anglais ont détourné leur regard du vaste horizon. Leurs frontières renferment trop de rancœurs et de nostalgies. »

Goodness me ! Voilà un propos bien polémique, avec sa part de vérité mais aussi de mauvaise foi. Cette façon de parler des Etats-nations, chargés de tous les vices et de tous les crimes, est pour le moins discutable. Churchill était un souverainiste, attaché à la grandeur de l’Empire britannique et, s’il a plaidé pour une réconciliation rapide entre la France et l’Allemagne après avoir incarné la résistance à l’Allemagne nazie, c’est parce qu’il lui fallait désormais neutraliser l’Union soviétique. En bon sujet de sa majesté, ce grand aristocrate a pratiqué une politique d’équilibre en Europe, ce qui n’enlève rien à son mérite, puisqu’il a rendu possible une victoire de la démocratie, en Europe et au-delà.

Reste à voir ce qu’il reste aujourd’hui de l’impérialisme anglo-saxon, cet appel du « grand large » auquel on peut associer le processus accéléré de la mondialisation des affaires: la politique au service de l’économie, l’économie au service de la finance, la finance au service des plus riches… On ne voudrait pas caricaturer l’idéologie qui sous-tend l’édito de l’Obs mais peut-être est-il malvenu de rejeter avec mépris la solidarité nationale et la sanction d’un vote populaire, alors que l’Obs se présente volontiers comme un « hebdomadaire français de gauche ».

L’idée d’organiser un référendum était stupide, lit-on un peu partout dans la presse. On veut bien mais soulignons quand même combien le projet européen est lié aux valeurs de la démocratie. Si la démocratie est un pari sur l’intelligence du « peuple », ou des « citoyens », il faut bien constater que ce pari de l’intelligence et de la participation répugne à beaucoup de responsables, et d’abord à ceux qui pilotent l’Union européenne. En soi, c’est déjà interpellant, surtout si cela paraît tellement naturel qu’on n’y prend plus garde. On a beau se prévaloir de la souveraineté populaire ou nationale, on ne craint pas de mépriser les sans-grades. Et tant pis si les attentes du plus grand nombre ont été déçues, voire trompées. Quand on fréquente les allées du pouvoir, il est proprement inconcevable de prendre ses ordres auprès des gens simples et sans ressources.

A ce jeu-là, s’il se trouve un opportuniste ou un véritable ennemi de la démocratie pour récupérer la voix des mécontents, des frustrés, des losers du grand chambardement planétaire, il ne reste plus qu’à le dénoncer car, c’est une évidence, il est dangereux de manipuler tous ces gens qui n’y comprennent rien, ces gens qui, tels des hooligans, nous font voir ce qu’il y a de repoussant chez l’être humain. L’histoire est convoquée pour condamner l’horreur. Cette ligne de défense, qui se veut autant rationnelle que morale, a pourtant ses limites. On n’en finit plus de répéter que la fracture est profonde entre les majorités plus ou moins silencieuses et les élites mondialisées. Force est de constater que la confiance est au plus bas dans l’opinion publique. Cela devrait suffire pour réagir autrement que par des anathèmes. Il y a là, pour la démocratie et, plus largement, pour la cohésion sociale, un défi que certains, apparemment, refusent de prendre en compte.

Ce sont les mêmes qui disent qu’il faut voir les crises comme des opportunités. Alors, puisque le Brexit crée une situation de crise, il y a certainement quelque chose à repenser dans le projet européen. Ce qui est certain, c’est que la Wallonie, aux portes de Bruxelles, est un trait d’union entre la France et l’Allemagne, et que c’est par là que les choses ont commencé. A présent que le centre de gravité de l’UE n’est plus tout à fait le même, il faut espérer que la France contribue à lancer une nouvelle dynamique. Et arrive à faire bouger les lignes.

Dans le Figaro, voici comment Jean-Pierre Chevènement réagit au Brexit : « Cette décision courageuse du peuple britannique est une chance offerte à l’Europe de repartir sur des bases nouvelles: la démocratie, les nations, l’idée européenne ne souffre pas de l’expression démocratique d’un grand peuple. Ce sont les technocrates de Bruxelles qui doivent se remettre en cause. Quand Donald Tusk, le président du Conseil européen, parle de « fin de la civilisation », ce sont des propos ridicules. Il faut garder tout son sang-froid, traiter le peuple britannique avec les égards qui lui sont dus. Le peuple britannique est un grand peuple, ami de la France. L’intérêt de l’Europe est de négocier les accords commerciaux qui permettront le maintien du marché unique. C’est l’intérêt de l’Europe et de la Grande-Bretagne. Cette négociation doit se dérouler sur la base des intérêts communs. Il n’y a pas le feu à la Manche. Les marchés se corrigeront et les banques centrales y aideront ».

6 réflexions sur « Ils l’ont fait »

  1. Exactement. Suis curieuse de la suite dans les mois à venir et surtout l’année prochaine en France. Quant à ce que je découvre concernant les propos de Chevènement : […] « est une chance offerte à l’Europe de repartir sur des bases nouvelles: la démocratie, les nations, l’idée européenne ne souffre pas de l’expression démocratique d’un grand peuple. »
    De repartir sur des bases nouvelles ? Là cela m’interpelle vraiment. Et il n’y a pas que lui qui a prononcé exactement les mêmes paroles aujourd’hui au sein du gouvernement Français, ceci vu à la télé. Pas encore eu le temps d’acheter un journal adéquat, sur l’économie ou autres. J’attends demain.

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    1. Que peut-il, présentement, se dérouler dans les méandres des neurones de Hollande ?
      Lui faire confiance ? Danger!
      Au cours de l’émission « C dans l’air », sur France 5, de l’après-midi du 24 juin, un des intervenants qualifia Hollande de quelqu’un qui prie tout en sachant qu’il se trouve dans le vide sans solution de secours.
      Il faut donc craindre que la France se couche encore face à la Prusse !

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      1. Exactement. Je me demande d’ailleurs lors des prochaines élections qui que ce soit qui passe, comment l’avenir se présentera dans cette Europe dirigée par Madame Merkel, avec à l’arrière, la main d’œuvre bon marché, le pouvoir de la finance. Ici en France, du moins parmi les personnes qui nous entoure, le discours est le même vis à vis de la Présidence et rejoint tout à fait ce que vous exprimez avec des paroles encore plus dures. Ce n’est que la triste réalité actuelle.

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  2. Oh oui, les « technocrates européens » n’ont qu’à se remettre en question!!! Au lieu de tirer à boulets rouges sur les pro-Brexit!!! Dieu sait (et au sens scriptural du terme) si je ne suis pratiquement jamais d’accord avec le discours d’extrême droite (pas plus que celui de l’extrême gauche d’ailleurs), mais parfois, Marine Le Pen ne dit pas que des « conneries »! Et dans sa vidéo de commentaire sur le vote britannique, elle a dit « qu’il fallait revenir à l’Europe des Nations » et là, pour le coup, elle a raison! Ca me fait trop rire, les pro-européens de tout bord (politiques en tête) qui fustigent les partisans pour une sortie de l’Europe (les méchants britanniques qui ont osé), alors que la principale raison est, de fait, leurs façons d’avoir fait la politique européenne actuelle et d’avoir mener l’Europe à ce qu’elle est maintenant! L’hôpital qui se fout l’infirmerie!!!!!! Pffffffff
    Alors entre « pas d’Europe du tout » et cette Europe actuelle, il doit y avoir moyen de trouver un juste milieu et surtout de revoir tout cela pour créer une Europe des Nations, sans que celle-ci ne se fassent dicter leurs loi par « Bruxelles » ou par Mme Merkel!!!

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