Une défaite, voilà ce que représente la Butte du Lion qui domine orgueilleusement le champ de bataille de Waterloo. Voulue par le roi Guillaume des Pays-Bas pour « éterniser la gloire nationale », elle a été érigée en 1826 dans l’indifférence générale. En revanche, l’inauguration d’un petit monument français, répondant à une initiative privée, attira la grande foule en 1904. Plus de cent mille personnes et une réelle ferveur patriotique : on n’avait jamais vu autant de monde à Waterloo depuis la sinistre bataille de juin 1815.
Ce monument à l’Aigle blessé devint un haut lieu du militantisme wallon dans les années 30, quand se précisait la menace d’une Allemagne revancharde asservie au nazisme. Le gouvernement belge s’étant dégagé de son alliance avec la France en 1936 sous la pression de la Flandre et de Léopold III, le sort de la Wallonie inspirait les plus vives inquiétudes, du moins chez les citoyens qui ne pouvaient se résoudre au sacrifice de leur Wallonie romane, alors que la voix gutturale d’Adolphe Hitler tétanisait l’Europe.
C’est là, sous le regard de l’Aigle blessé, qu’en juin 1940 fut fondé le mouvement de résistance Wallonie libre, en réponse à l’Appel du 18 juin, celui du Général de Gaulle. Ainsi, le bicentenaire de la bataille de Waterloo, l’événement historico-touristique de l’année 2015 en Belgique francophone, coïncide avec les 75 ans de Wallonie libre, célébrés le 28 mai de façon plus confidentielle, il faut bien le reconnaître.
Quand même, à cette cérémonie, il y avait Robert Collignon. Lui, l’ancien ministre-président de la Région Wallonie, il a rappelé que Waterloo fut la victoire de l’Ancien régime sur les idées de la Révolution. Son point de vue ne sera jamais celui des familles régnantes qui ont paradé sur le champ de bataille. Il a parlé d’une «…défaite douloureuse pour la France et surtout pour la Wallonie, arrachée à sa patrie naturelle et greffée arbitrairement aux Pays-Bas ». La révolution belge n’a pas suffi pour réparer les effets de cette défaite car elle a finalement donné naissance à « la Belgique… ce résidu du traité de Vienne et création britannique ». (La vidéo de ce discours peut être vue sur le site de Wallonie libre.)
Comme on le sait, le mouvement Wallonie libre a toujours été pluraliste et, s’il ne donne plus l’impression de pouvoir influer sur le cours des choses, il a néanmoins laissé un héritage dont les dépositaires sont notamment de véritables acteurs de la politique en Wallonie. Il y a Robert Collignon, bien sûr, mais il n’est pas le seul. Voici, par exemple, un extrait du portrait de Daniel Bacquelaine, l’actuel ministre fédéral des Pensions, publié tel quel samedi passé dans la Libre Belgique :
« Pas moins de trois Bacquelaine figurent dans l’Encyclopédie du Mouvement wallon. Le premier, Maurice, est le père du ministre. Jean, son oncle, et Marie-Louise, sa tante, complètent un trio d’illustres militants régionalistes et libéraux, résistants au sein du réseau Wallonie libre durant la Seconde Guerre mondiale. Tous les trois étaient au congrès national wallon d’octobre 1945.
« Daniel Bacquelaine n’a pas rompu avec cet héritage-là. Ses sentiments pour la Belgique sont plutôt tièdes, et son aversion pour le nationalisme flamand, plutôt farouche. Peu porté sur les remous médiatiques, cet éternel raisonnable a toutefois pris l’habitude de taire sa conviction profonde : si le délitement de l’Etat s’accélère, comme il le pressent, le scénario d’une Wallonie française aura sa faveur. »
Aux régionalistes francophiles, il faut ajouter les régionalistes lucides (l’un n’empêchant pas l’autre), et on comprendra que le scénario d’une Wallonie française est plus que jamais pertinent.
La Belgique et l’Europe, cet empire au despotisme anonyme, jouent la fatigue et la perte de mémoire des peuples. L’immigration débridée participe à la perte de repères. Les foules ne se déplacent plus que pour des « entertainments », des divertissements et des spectacles. Mais cela ne signifie pas nécessairement l’oubli des différences et des particularités. Les réalités de la vie raniment souvent les ardeurs patriotiques ou nationalistes. Le sursaut des peuples vient toujours d’une minorité, l’exemple de la Révolution française le montre à suffisance. L’Aigle blessé n’attire peut-être plus les foules mais il demeure un arrêt de réflexion et de recueillement.
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