Un Etat défaillant

Par Georges Régibeau

La Belgique est-elle autre chose qu’une équipe de football ?

Au moment de sortir les drapeaux pour rêver de gloire nationale, il n’est sans doute pas inutile de se poser la question. L’engouement populaire autour des diables rouges est un fait, mais la réalité de la Belgique et de l’Etat belge en est, bien sûr, un autre.

En 2011, pour avoir un gouvernement fédéral après 541 jours de crise politique, il a fallu que le PS accepte la scission de BHV et la 6e réforme de l’Etat. En 2014, pour éviter que cela ne recommence, il a fallu que le MR accepte de gouverner avec la N-VA dans un gouvernement dominé à 80 % par la Flandre. En 2019… il est trop tôt pour écrire le détail de ce qui se passera mais, dans les grandes lignes, on sait déjà que la Wallonie paiera toujours plus cher pour une Belgique de plus en plus illusoire.

Alors, supporter, oui, mais pas dupe.

Le « compromis à la belge » est tout sauf un modèle d’équilibre. Il ne s’agit pas non plus d’une invitation permanente au dialogue et au respect. C’est le plus petit commun dénominateur entre ceux qui veulent le démantèlement de la Belgique et ceux qui font le maximum pour l’empêcher, ou du moins le retarder, transformant l’état belge en un champ de mines, un sac de nœuds dont l’effet paralysant n’échappe à personne aujourd’hui. On n’a jamais autant parlé de la déliquescence de l’Etat belge. Il y a deux semaines, Jean Quatremer écrivait que « la Belgique s’effondre sous les yeux incrédules de sa population ». Le blogueur Marcel Sel l’a rejoint sur ce constat sans appel et, agacé par la réaction de certains journalistes, il l’a même amplifié, fustigeant le déni d’une partie de la presse belge francophone. Ensemble, ils s’en prennent aux nationalistes flamands, dont le travail de sape est facilité par leur présence massive au cœur du pouvoir.

Invité ce samedi du grand Oral RTBF-Le Soir, Olivier Maingain n’a pas dit autre chose. Il a lancé un appel pour que les forces politiques, et d’abord celles qui gouvernent au fédéral, s’engagent solennellement à « garantir le fonctionnement et la crédibilité de l’Etat dans ses missions essentielles, qui ne sont plus assurées aujourd’hui ». Il a précisé sa pensée : « C’est un bon test sur la viabilité de notre Etat. Le pays dans lequel nous vivons a-t-il encore un sens ? Il faut admettre que nous en sommes là. (…) Selon que cet appel trouvera ou non un écho, cela témoignera de notre capacité à nous relever. Oui, c’est un test de sincérité pour vérifier qui veut réellement empêcher le démantèlement de l’Etat, un test aussi pour vérifier qui veut empêcher sa privatisation graduelle et par étages. » Il ne croit pas un instant que son appel sera entendu. La preuve : au terme de son interview, on lui a demandé quel était son choix musical et, sans avoir l’air d’y toucher, il a répondu… « Douce France ».

A côté du processus de désagrégation que connaît la Belgique, au profit d’une nation flamande émergente, il y a la remise en question du rôle de l’Etat, en tant que tel. Olivier Maingain est partisan d’un Etat laïc, régulateur, œuvrant dans l’intérêt général. Un Etat capable de répondre à des enjeux de société, d’assurer au mieux ses missions de service public, de veiller à la protection de tous. Un Etat citoyen, social, démocratique. Il y a certainement beaucoup de Wallons qui partagent ce point de vue, mais ce n’est pas la vision dominante en Flandre, où le modèle anglo-saxon pousse à l’externalisation des compétences, à la privatisation des services, à la sanctuarisation des affaires. Business is business.

Impossible, évidemment, de penser la Belgique en dehors de l’Europe et du monde. La libéralisation des échanges est, depuis le XVIIIe siècle, une exigence autour de laquelle on peut broder considérations morales et discours politiques. Il est devenu naturel de céder au pouvoir des marchés. Même si, en Angleterre, certains n’hésitent pas à présenter l’Europe comme le projet d’un super-Etat totalitaire, il est plus juste de relever que, dans l’espace européen, la concurrence a force de loi, tandis que les missions de service public sont regardées avec méfiance. A cela s’ajoute que la révolution numérique a ouvert le champ des possibles : elle force à repenser la question des limites et celle des frontières, elle fluidifie les échanges en court-circuitant l’autorité publique. Avec le temps, « l’intervention du pouvoir d’Etat dans les relations sociales devient superflue dans un domaine après l’autre » : ainsi prophétisait Friedrich Engels, qui n’était pas le maître à penser de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. Concept marxiste, le dépérissement de l’Etat ne se confondait pas avec la toute-puissance du marché, cela va de soi, mais il s’inscrivait aussi dans la vision idéale du communisme.

Friedrich Engels nous ramène au XIXe et au XXe siècles. « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », aurait, de son côté, prophétisé André Malraux. Il est vrai que si ce n’est pas à l’Etat de créer du lien social, et que l’économie capitaliste a d’autres impératifs, on n’a plus qu’à laisser aux religions le soin d’intégrer les individus dans une communauté humaine où ils trouveront leur place. Tant qu’à faire, on peut aussi leur abandonner l’éducation, les écoles et la définition du vrai et du faux. Il est facile de contester la légitimité de l’Etat. Au nom de la liberté. Voire au nom de l’égalité, de la fraternité, quand l’Etat républicain lui-même est vu comme le gardien des intérêts de la classe dominante. Et si la classe dominante est la première à saper l’autorité publique…

Curieuse époque, tout de même, où s’entremêlent la volonté, plus ou moins consciente, d’en finir une fois pour toutes avec l’Etat, ce monstre impersonnel dont les interventions seraient forcément inopportunes et malveillantes, et la consternation devant son apparente incapacité à gérer les bouleversements liés à la mondialisation.

Bien sûr, on ne dira pas que l’Etat s’évapore partout, ni partout au même rythme ; il continue à gérer des compétences et des budgets considérables. Il faut néanmoins répéter que la Belgique est au bord de la rupture. Avec ses faiblesses actuelles et ce grand chambardement qui la guette, la Wallonie a besoin de considérer sérieusement les opportunités qui, dans un proche avenir, seront les siennes. Elle a toujours regardé la France, dont elle partage la langue et la culture, mais elle a peur de disparaître. Il faut que les Wallons sachent que la Constitution française est très souple et permet d’imaginer un statut sur mesure pour une Wallonie à la fois autonome et intégrée dans la République française. Un maximum d’autonomie pour un maximum de solidarité, ce serait le meilleur moyen de continuer à exister.

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