Que ferais-je si j’étais le ministre de la Justice Koen Geens face à la crise des prisons ?
Je démissionnerais illico !
La crise est trop grave et trop ancienne pour pouvoir être résorbée par un Ministre tombé presque fortuitement dans ce département ingérable, à la tête d’une Administration Pénitentiaire qu’il ne connaissait pas et qui est complètement dépassée.
Ses prédécesseurs ont fait l’expérience de leur impuissance à rénover le monde des prisons, aussi bien Laurette Onckelinckx, M.Verwilgen, S.Declercq, ou encore Annemie Turtelboom…
Le problème n’est plus maitrisable :
Il est quantitatif : on est passé de 6.000 à plus de 12.000 détenus !
Il est qualitatif : certains détenus sont traités de manière indigne !
Il est lié aux infrastructures, qu’il s’agisse de la vétusté des bâtiments existants, ou de l’aberration de certaines nouvelles constructions présentes ou à venir.
Le personnel pénitentiaire est à bout de souffle en raison de son insuffisance numérique et de conditions de travail éprouvantes, notamment au niveau des cadences et de la formation.
Les polices appelées à suppléer les carences du système pénitentiaire n’en sortent plus.
L’Etat belge, fréquemment condamné par les juridictions internationales, l’est et même désormais par les tribunaux nationaux qui lui imposent des astreintes financières…
Financièrement, au niveau des finances publiques, le monde des prisons est un gouffre sans fin, avec un coût journalier de l’ordre de 200€ par détenu.
Les tribunaux d’exécution des peines, tant attendus, et qui ne connaissent que des condamnations à plus de trois ans, n’ont pas accéléré le cours des libérations conditionnelles, au contraire !
Le législateur tend à limiter encore les conditions de libération anticipée !
Durant la détention, les aides au reclassement sont insignifiantes, les services sociaux internes et externes étant complètement insuffisants, même en fin de peine, et il y a très peu d’aides réelles à la réinsertion !
Le placement de plus en plus systématique de bracelets électroniques, mesure très inégalitaire et difficilement supportée, est souvent irréfléchi et n’a d’autre but que d’éviter une incarcération faute de place en prison.
La politique de formation en prison est lamentable, aussi bien en matière d’alphabétisation que de formation professionnelle.
La réforme du statut des détenus qui relèvent de la défense sociale est reportée depuis des années, de nombreux malades mentaux continuant d’encombrer les établissements pénitentiaires.
Le sort réservé aux familles et aux proches des personnes détenues est souvent très pénible, surtout pour les enfants de détenus.
D’un point de vue sécuritaire, le taux de récidive des détenus libérés est extrêmement élevé.
L’émergence des peines alternatives à l’incarcération n’a pas permis de diminuer le volume annuel des incarcérations et a contribué à « étendre le filet » comme le présidaient les criminologues, sans « mordre » sur le nombre d’incarcérations…
La construction de nouveaux établissements n’est pas non plus une solution : plus y a des places, plus on incarcère.
Le monde judiciaire – avocats et magistrats – n’est pas non plus sans responsabilités : malgré d’innombrables colloques plus savants les uns que les autres, une sorte d’habitude de la prison s’est installée doucement.
Heureusement, des cris de révolte continuent de s’élever avec courage et obstination. Seront-ils enfin entendus ? Le silence des politiques reste assourdissant…
QUE FAIRE ?
Après la démission du Ministre de la Justice, il y a lieu de proclamer l’état d’urgence pénitentiaire.
Vu l’expérience particulièrement négative des années antérieures, il faut créer de nouvelles structures.
L’impasse complète dans laquelle se trouve le pouvoir fédéral conduit à mettre à l’étude d’urgence la nécessaire régionalisation de la justice.
Il est normal que dans un état de plus en plus régionalisé la politique pénale, et notamment la politique des prisons, soit définie par le pouvoir le plus proche des gens, à savoir le pouvoir régional.
Deux pans importants de la politique pénale sont déjà transférés : la politique de l’aide à la jeunesse, volet très important, ainsi que les Maisons de Justice et l’Aide sociale aux détenus, secteurs tout aussi considérables.
Il serait utile de créer à bref délai un conseil supérieur régional de la justice pénale, organe composé de matière interdisciplinaire réunissant les meilleurs spécialistes ; ils sont nombreux, mais ne sont plus consultés depuis longtemps ! Le temps n’est plus où les criminologues belges étaient connus, et reconnus, dans le monde entier ! Il faut réinventer les choses. Et il faut le faire de manière internationale, et spécialement avec les européens confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres : une réflexion avec la France serait plus que jamais nécessaire, en s’inspirant de deux « modèles » :
– le contre-exemple américain, qui apparait comme absolument détestable…
– l’exemple scandinave, qui montre le bon chemin : un politique nouvelle, basée sur une réinsertion sociale véritable, avec soutien actif de la population, et des résultats très positifs en matière de lutte contre la récidive. En outre, les coûts de ce système sont nettement inférieurs aux nôtres.
Vu l’urgence de la situation, un commissaire spécial à la réforme pénitentiaire devrait être désigné dans chaque région, avec une petite équipe, dont la mission serait très clairement de réduire de moitié la population pénitentiaire actuelle en s’inspirant des critères suivants :
– la dangerosité sociale et la sécurité publique ;
– la diminution de la durée de la détention de condamnés à de longues peines présentant plus de danger social ;
– la transmutation de peines d’emprisonnement en des peines alternatives pour des détenus non-dangereux : travaux d’intérêt général, obligation de thérapies, obligation de formation professionnelle ;
Il va de soi que cette politique de remise en liberté accompagnée ne s’adresserait pas aux détenus dangereux : usage d’armes, enlèvements, trafiquants, pervers sexuels avérés, violents récidivistes…
D’autres mesures sont à envisager :
– la politique des parquets en matière de mises à l’instruction : une prolongation du délai de garde à vue à 48 heures, comme en France, pourrait paradoxalement réduire le nombre de détentions préventives s’il y a moins de mises à l’instruction en urgence et souvent sans analyse approfondie;
– la délivrance des billets d’écrou devrait se faire sous le contrôle des magistrats, et en concertation avec les services sociaux en vue d’établir, s’il y a lieu, un plan de détention réaliste, ou une alternative à la détention;
– la détention purement cellulaire devrait laisser la place, en prison, à des activités de type communautaire et de formation.
Ainsi, la définition traditionnelle de la peine de prison pourra être redéfinie : elle ne sera plus seulement ce « mal infligé par la justice répressive en guise de punition d’un acte que la loi défend » mais un moyen complémentaire d’insertion sociale, la prison étant à considérer comme remède ultime à défaut d’autre possibilité de remédiation psycho-sociale.
C’est d’un véritable choix de société qu’il s’agit.
Le temps des colloques sur l’avenir de la prison est révolu !
A défaut de l’annonce rapide par le gouvernement actuel d’une réforme en profondeur de la politique pénitentiaire et de la situation des prisons, il ne nous resterait qu’à souffler sur les braises de la révolte en cours…
Et à prendre acte, en ce secteur crucial, comme dans tant d’autres, de la faillite de l’Etat Belge.
Georges-Henry SIMONIS
Magistrat honoraire,
Administrateur de l’AWF (Charleroi)
Qui donnera le signal de la révolution ? Les prisons ? Comme dirait Marie- Antoinette : S’ils ne jouissent pas de la liberté qu’ils regardent la télévision…
Cela va faire plaisir aux Flamands, et pas seulement à la NVA, que de précipiter la régionalisation de la Justice.
Ils n’attendent que cela depuis longtemps; ne soyons pas hypocrites.
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Ici en Province du Luxembourg, on a eu droit à une toute nouvelle prison (Marche-en-Famenne) et ça n’empêche pas les grèves et le mécontentement, même avec un nouvel outil. C’est donc en profondeur que le problème doit être réglé. Mais bon, on est en Belgique n’est-ce pas…
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