LE MONDE | 18.06.2015 à 09h41 • Mis à jour le 18.06.2015 à 11h54 | Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Dure journée pour la France que ce 18 juin à Londres. Alors que la date est traditionnellement celle du souvenir de l’appel du général de Gaulle, elle revêt cette année un aspect particulier : deux cents ans jour pour jour après la bataille de Waterloo, les Français sont invités à un grand écart entre deux commémorations, celle d’une débâcle contre les Britanniques et celle d’un combat commun.
Prenez l’agenda de Sylvie Bermann, ambassadeur de France, ce jeudi : à 9 h 30, elle devait assister à la cérémonie rappelant l’appel du Général à la résistance à Carlton Gardens, son QG londonien de 1940. Puis, à 11 heures, elle devait filer à la cathédrale Saint-Paul, pour représenter Paris à la « messe nationale de commémoration » de la… victoire de Waterloo. Là, elle devait côtoyer le prince Charles, le descendant du duc de Wellington et endurer la lecture de la prière d’action de grâce « pour la remarquable victoire que Tu as accordée aux armées alliées » qui fut récitée dans toutes les églises du royaume au lendemain du 18 juin 1815.
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Avant le God Save the Queen, le public réuni à Saint-Paul, qui a obtenu des tickets d’entrée par tirage au sort, devait écouter un officier supérieur britannique lire la dépêche officielle de Wellington annonçant à la Couronne la victoire de Waterloo. « Je joins à ce message deux aigles français pris par nos troupes au cours des opérations », insiste le vainqueur.
La presse tabloïd, toujours friande de French bashing, tente de persuader ses lecteurs que les Français sont furieux du déferlement mémoriel qui accompagne le bicentenaire de Waterloo. Plusieurs journaux ont présenté comme une humiliation pour Paris la pièce de 2,5 euros frappée par la Belgique à l’effigie de la bataille. Estimant particulièrement maigre la délégation française aux cérémonies organisées en Belgique, le Daily Mirror y a vu le signe que « les Français snobent la commémoration » car « ils gardent de l’amertume d’avoir fini deuxièmes derrière le duc de Wellington ».
« Prier pour la paix entre les nations »
Deux siècles de paix franco-britannique après Waterloo, le service religieux à Saint-Paul devait tout de même rappeler la mémoire des victimes des deux camps. Entre deux psaumes et sur fond d’orgue, des descendants de soldats britanniques, français et prussiens engagés à Waterloo et des militaires d’aujourd’hui devaient lire des témoignages de combattants de l’époque. Le Révérend David Ison devait appeler à « prier pour la paix entre les nations ».
Mais deux cents ans n’ont visiblement pas suffi au comité britannique chargé de la commémoration pour prendre un peu de recul. La plaque de marbre dévoilée le 10 juin à la gare de Waterloo se contente de rappeler la « mémoire des membres des armées alliées [britannique et prussienne] qui ont donné leur vie au cours de la bataille de Waterloo », oubliant que 6 800 Français y ont aussi perdu la vie. « Une erreur », admet Sir Evelyn Webb-Carter, président de Waterloo 200, lorsqu’on lui fait remarquer cette omission. « Malheureusement, se désole-t-il avec insistance, il ne sera pas possible de la rectifier. »
Au cours d’une discrète cérémonie organisée à la gare, agrémentée de quelques soldats en costume d’époque, l’historien et homme de télévision Peter Snow raconte la bataille comme s’il en revenait. « Le Royaume-Uni ne célèbre pas Waterloo, précise-t-il. Ça a été une bataille affreuse. Mais nous sommes fiers de son résultat : plus aucun pays n’est capable de dominer seul l’Europe. »
Justement, alors que le Royaume-Uni se prépare à voter par référendum pour ou contre le « Brexit » (British exit ou sortie de l’Union européenne), l’actualité n’est jamais loin lorsqu’on évoque Waterloo. Le très nationaliste Daily Express explique à ses lecteurs que François Hollande pourrait s’opposer aux prétentions de David Cameron de réforme de l’Europe afin de « saboter » la négociation menée par le premier ministre britannique. A l’approche du bicentenaire de Waterloo, ajoute le quotidien, « M. Cameron se trouve confronté à l’héritier de Napoléon Bonaparte ». Faisant allusion à l’aide décisive des Prussiens à Wellington et prônant aujourd’hui un axe Londres-Berlin, l’article suggère que, « une fois encore, le commandant britannique pourrait finir par demander l’aide des Allemands ».
Or le chemin historique de Waterloo jusqu’au débat sur le « Brexit » passe forcément par le général de Gaulle. En 1965, le président français dédaigna les cérémonies du 150e anniversaire de la défaite de Napoléon au moment même où il s’opposait à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Soixante-quinze ans après l’appel diffusé par la BBC, l’histoire européenne bégaie et le Général perturbe encore la célébration britannique de Waterloo.
Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Correspondant au Royaume-Uni