Le Parlement bruxellois refuse de consacrer une minute de silence aux seules victimes du génocide des Arméniens. Le ministre libéral des Affaires étrangères, Didier Reynders refuse d’utiliser le mot génocide, même à Erevan. Au CDH, Mahinur Ozdemir, proche de l’AKP du Président turc Erdogan, brille par son absence dans l’hémicycle lors de la minute de silence du Parlement bruxellois pour les victimes du génocide des Arméniens et celles des naufrages en Méditerranée. Si on creuse un peu plus du côté du Conseil communal de Schaerbeek ou Saint-Josse, on s’aperçoit que des partis ayant toutefois tenu un discours clair en matière de reconnaissance du génocide des Arméniens comme le MR ou le FDF, se montrent beaucoup plus accommodants et discrets sur cette question dans ces communes.
Signature du protocole d’intention Europalia Turquie, Bruxelles 2013
Les députés bruxellois socialistes d’origine turque se répandent sur les réseaux sociaux à propos de leur lobbying exercé sur le Parlement bruxellois en vue d’empêcher qu’une minute de silence soit observée en mémoire des victimes du génocide des Arméniens.
Elio Di Rupo, président du PS, a pris la peine de publier le jour même un communiqué de presse dans lequel il souligne que « sans aucun doute possible, le PS reconnait le génocide arménien, qui est une réalité historique ». Il rappelle que « c’est à l’initiative du sénateur [socialiste] Philippe Mahoux qu’une résolution relative à la reconnaissance de ce génocide a été adoptée en 1998 ». Le Président du PS a aussi précisé que « le Président du Parlement bruxellois, Charles Picqué, a utilisé le mot « génocide » dans son discours de commémoration vendredi matin, en présence des élus socialistes dans leur ensemble ».
Lundi 27 avril, lors du bureau de parti du PS, Elio Di Rupo a une nouvelle fois évoqué cette question en réaffirmant le propos de son communiqué. C’est ce qui a amené Laurette Onkelinx, présidente de la fédération bruxelloise du PS, à les convoquer pour une « mise au point ». Laurette Onkelinx a effectivement réagi vivement devant les caméras de RTL en soulignant qu’elle souhaite « mettre les choses au point. C’est quelque chose qui n’est pas acceptable. L’institution parlementaire doit être respectée et on ne peut se réjouir que le parlement puisse être utilisé à des fins communautaires ». Ces propos concernaient surtout le député bruxellois Sevket Temiz.
L’incident aussi navrant que grotesque de la minute de silence a au moins eu le mérite de la clarification. Onde de choc ? Nous osons espérer que cette position socialiste sera maintenue avec fermeté et qu’elle annonce aussi un revirement de ce parti en ce qui concerne l’extension de la loi de 1995 sur la pénalisation de la Shoah aux génocides des Arméniens et des Tutsi.
Tabous des élus d’origine turque
La vigilance s’impose, car il serait naïf de croire que le PS est le seul parti à Bruxelles à subir les conséquences des tabous nationalistes et négationnistes de leurs élus d’origine turque.
Mais ce qui est plus troublant se passe ailleurs, plus haut, du côté du gouvernement fédéral. Même s’il bénéficiait d’une couverture médiatique, le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR) a quant à lui réussi à échapper aux réprimandes alors qu’il a tenu des propos regrettables sur le génocide de 1915.
En tant que Président du comité des ministres du Conseil de l’Europe (la Belgique occupe la présidence tournante de cet organe pour encore un mois), Didier Reynders a effectué une très courte visite en République d’Arménie le 27 avril dernier. A cette occasion, il s’est recueilli devant le monument du génocide, mais tout au long de cette visite, le ministre libéral s’est borné à ne jamais prononcé le mot « G ». Pas de génocide !
« Il ne nous paraît pas opportun que d’autres instances se substituent au pouvoir judiciaire sur le terme génocide », a expliqué Didier Reynders. Et Hendrik Van de Velde, le porte-parole des Affaires étrangères, a également rappelé que « le terme ‘génocide’ a une signification juridique spécifique et il appartient à des tribunaux de se prononcer en la matière ».
Ces propos ne font que traduire diplomatiquement un des arguments les plus spécieux de la propagande turque. De cette manière, le gouvernement belge ne s’illustre guère, c’est le moins qu’on puisse dire.
Pourtant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a reconnu le génocide des Arméniens le 24 avril 1998. La même année, le Sénat de Belgique a adopté une résolution qui « invite le gouvernement turc à reconnaître la réalité du génocide [des Arméniens] perpétré en 1915 par le dernier gouvernement de l’Empire ottoman ».
En réalité, Didier Reynders n’innove pas : il ne fait que suivre une position que le gouvernement belge, quel qu’il soit, tient depuis de nombreuses années : pas de reconnaissance gouvernementale du génocide des Arméniens, et ce, en dépit de la résolution de 1998 du Sénat.
Europalia Turquie
C’est ce qui explique par ailleurs pourquoi le gouvernement précédent, dirigé cette fois-ci par Elio Di Rupo, n’a pas trouvé mieux que d’autoriser en 2013 la tenue d’Europalia Turquie en 2015 et 2016. Personne ne pouvait ignorer que cette même année, c’est le centenaire du génocide des Arméniens qui est commémoré et que le choix de cette année n’est en rien innocent dans le chef du gouvernement turc. Et c’est en grande pompe au Palais d’Egmont que Didier Reynders, pour la Belgique, et Egemen Bagis, le ministre turc des Affaires européennes, ont signé en octobre 2013 un protocole d’intention officialisant l’organisation du festival Europalia Turquie qui se tiendra entre l’automne 2015 et l’hiver 2016.
Il était possible de ne pas céder à la Turquie. En 1995, un projet Europalia Turquie avait avorté après que le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Frank Vandenbroucke (socialiste flamand), eut décidé de suspendre les subsides fédéraux en raison du peu d’importance accordée, selon lui, par les coorganisateurs turcs à la diversité culturelle turque et à sa minorité kurde.
Ce bref rappel de la ligne gouvernementale belge montre bien que la problématique de la reconnaissance ne peut se réduire aux pitoyables fanfaronnades de quelques députés bruxellois d’origine turque sur les réseaux sociaux. Les intérêts économiques de la Belgique et sa volonté de ne pas froisser le partenaire turc d’un côté, les calculs électoralistes sur fond de communautarisme de l’autre, détournent encore les autorités belges de leur devoir moral et politique de se montrer à la hauteur de la résolution votée par le Sénat en 1998.
Vous avez écrit « veulerie ». Comme c’est étrange !
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