La fausse suédoise et la vraie française

Fini, les vacances, la suédoise à la plage et Charles Michel regardant la ligne bleue des vagues. Le tango que celui-ci danse avec Kris Peeters, dans la chaude lumière des projecteurs, se transforme en un combat feutré mais viril pour le choix du représentant belge à la Commission européenne. On verra ce que la Flandre est prête à concéder au MR. Et à quel prix.

française suédoiseOn verra si la Belgique suédoise est autre chose qu’un fantasme. Et, si elle prend forme, quelle est sa vraie nature.

On verra ce qu’on verra. La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. Les médias belges francophones n’ont pas mis longtemps pour dépasser leur surprise d’une coalition fédérale jugée « kamikaze » et puis rebaptisée « suédoise » pour lui donner sa chance, allant parfois jusqu’à la trouver désirable, audacieuse, presque excitante, même avec la N-VA de Bart De Wever au milieu du jeu politique. Oui, Bart De Wever, le parrain discret de la suédoise, le méchant loup auquel on s’habitue et qu’on aimerait voir jouer dans la bergerie. Un tel revirement ne doit pas surprendre, il s’en produira d’autres, et l’opinion suivra le mouvement.

On verra ce qu’on verra.

Ce qui peut aussi évoluer rapidement, c’est le rapport très intime et très ambivalent que la population belge francophone entretient avec la France. Une frange de cette population, conditionnée autant par les médias que par une sorte d’allergie infantile, éprouve apparemment le besoin de vomir la France et les Français. La soupe aux émotions n’est pas toujours fraîche. Ecœurante bouillie d’une identité mal digérée. Magnifier la Belgique et, disons-le, conchier la France, ce sont deux spasmes dont la Wallonie pourrait mourir. Par étouffement.

Il n’est pas dit, toutefois, que le vent ne va pas tourner bientôt. que les évidences ne vont pas se renverser.

On verra si la Wallonie reste fidèle à elle-même, à son identité romane, à sa langue française, à sa culture politique infiniment plus française qu’anglo-saxonne, ou si elle se laisse entraîner par le Vlaanderen staat qui prend forme autour d’Anvers, à la fois nationaliste et ouvert sur le monde global, attiré vers le large, inspiré par Londres et Berlin, réduisant la Belgique à ce qui lui convient, tirant sur une laisse à laquelle tant de Wallons s’accrochent, avec de la Belgique plein les yeux.

Pour tous ceux qui, en Wallonie, ont cessé de croire en la solidarité belge, en la Belgique elle-même, et qui, ouvertement ou pas, cultivent l’idée d’une communauté de destin avec la France, il est pénible de voir les médias belges francophones opposer systématiquement la sympathique-et-trop-modeste-Belgique-qui-a-la-patate à la France-suffisante-et-insuffisante-qui-sent-la-moisissure-de-cassoulet. On caricature, évidemment, mais c’est aussi ce que font nos médias quand ils chantent la Belgique-qui-gagne-ou-presque, en utilisant le sport à des fins politiques, en fédérant le peuple autour des diables rouges, en ramenant très sérieusement les performances de n’importe quel champion belge à l’excellence du pays qui l’a vu naître. Ainsi la famille Borlée est-elle devenue un produit made in Belgium, alors que le père et entraîneur d’Olivia, Kévin, Jonathan et Dylan, tous athlètes de haut niveau, n’a cessé de se plaindre du manque de professionnalisme en Belgique. Il faut sortir de chez soi pour mesurer tout le ridicule de cet emballement médiatique.

J’étais en Italie au mois d’août. La Belgique est revenue des championnats d’Europe d’athlétisme avec une médaille de bronze (Nafissatou Thiam, une jeune Namuroise qui étudie et s’entraîne à Liège). A côté, les résultats français portent la marque d’un chauvinisme insupportable : 9 médailles d’or, 8 médailles d’argent et 6 médailles de bronze. Dans cette France en ruine où tant de Belges continuent à passer leurs vacances, on a encore l’arrogance de gagner des compétitions sportives (et c’est comme ça dans à peu près tous les sports). Pour illustrer ces performances françaises, le journal Le Soir n’a rien trouvé de mieux que d’écrire un article sur les « casseroles » de Patrick Montel (le présentateur français). Vu d’Italie, par contre, cela donnait ceci : « Francia pigliatutto – Dietro il miracolo tecnici e intuizioni » (1). Sous ce titre, le très sérieux Corriere della Sera, le journal le plus diffusé d’Italie, expliquait que les athlètes français ne devaient pas leurs succès à la chance, au contraire, puisqu’ils auraient logiquement dû remporter d’autres médailles. La vérité, c’est que « non c’è un settore in cui i francesi siano deboli, dalla velocità agli ostacoli, dai salti ai lanci, dalle gare su strada alle prove multiple. Tra i motivi del ‘miracolo’ c’è il fatto che, grazie alle sovvenzioni del ministero dello Sport, l’atletica francese puὁ sfruttare a tempo pieno quasi un centinaio di tecnici professionisti. Alcuni seguono gli atleti di vertice, altri si preoccupano della formazione dei giovani, altri istruiscono i nuovi allenatori. Con questa rete capillare tutto è tenuto sotto controllo. » (2)

Evidemment, cette excellence a un coût. Un des points qui allarment beaucoup de Français, c’est précisément le niveau très élevé des dépenses publiques en France (57 % du PIB en 2013, pour 55 % à la Belgique, un chiffre que Bart De Wever juge indécent). Le ralentissement de l’économie étant ce qu’il est, la dette publique ne cesse d’augmenter (93 % du PIB en 2013, pour 101,5 % à la Belgique). Contrairement aux Belges (surtout francophones), les Français n’accordent pas une attention très grande aux succès dont on leur parle, car ils voient la France affaiblie économiquement, politiquement. L’ambiance n’est pas à la fête, on attend qu’il se passe quelque chose dans une société qui, une fois de plus, apparaît bloquée.

Il faut prioritairement inverser la courbe du chômage mais la réflexion économique est polluée par l’idéologie et, puisque la France a décidé de mettre un peu d’ordre dans ses comptes, il est intéressant de lire ce que le très keynésien Paul Krugman en pense :

« Où est la France dans ce tableau ? Les media décrivent sans arrêt l’économie française comme un bazar dysfonctionnel, handicapé par une forte imposition et une forte règlementation gouvernementale. Cela fait dont un choc lorsque l’on regarde les chiffres qui ne correspondent pas du tout à cette histoire. La France ne va pas bien depuis 2008 – notamment elle est à la traîne de l’Allemagne – mais la croissance de son PIB est bien meilleure que la moyenne européenne, dominant non seulement les économies troublées du sud de l’Europe mais également des pays créditeurs comme les Pays Bas.

« Sur le front de l’emploi, la France ne se situe pas si mal que ça. En fait, les adultes dans la force de l’âge ont bien plus de chances d’avoir un travail en France qu’aux Etats-Unis.

« La situation de la France ne semble pas non plus particulièrement fragile. Elle n’a pas un fort déficit commercial et elle peut emprunter à des taux historiquement bas.

« Pourquoi donc la France a-t-elle si mauvaise réputation ? Il est difficile de ne pas penser que ces suspicions sont d’ordre politique : La France a un gouvernement très présent et un état providence généreux, ce qui devrait mener droit au désastre économique selon l’idéologie des libres-marchés. Le désastre est donc ce qui est rapporté dans les media, même si les chiffres disent autre chose.

« Et Hollande, même s’il est à la tête du Parti Socialiste français, semble croire ces calomnies motivées par l’idéologie. Pire encore, il est tombé dans un cercle vicieux dans lequel les mesures d’austérité font stagner la croissance, et cette croissance qui stagne devient la preuve que la France a besoin de davantage d’austérité.

« C’est une bien triste histoire, et pas seulement pour la France. (…)

« L’Europe a donc désespérément besoin que le dirigeant d’une économie majeure – qui n’est pas trop mal en point – relève la tête et dise que l’austérité est en train de tuer les perspectives économiques du Vieux Continent. Hollande aurait pu et aurait dû être ce dirigeant, mais il ne l’est pas.

« Et si l’économie européenne continue de stagner ou pire encore, qu’adviendra-t-il du projet européen – cet effort sur le long terme pour garantir la paix et la démocratie grâce à une prospérité partagée ? En ne répondant pas aux attentes en France, Hollande met également l’Europe toute entière en échec – et l’on ignore jusqu’où cette terrible situation peut aller. »

L’intégralité de la chronique de Paul Krugman est à lire sur le site de la RTBF.

G.R.

(1) « La France rafle tout – Derrière le miracle, des techniciens et des intuitions. »

(2) « De la vitesse aux obstacles, des sauts aux lancers, des courses sur route aux épreuves multiples, il n’y a pas une discipline où les Français sont faibles. Parmi les raisons de ce ‘miracle’, il y a le fait que, grâce aux subventions du ministère des Sports, l’athlétisme français peut bénéficier du travail à temps plein d’une petite centaine de techniciens professionnels. Une partie d’entre eux suivent les athlètes de haut niveau, d’autres s’occupent de la formation des jeunes, d’autres encore instruisent les nouveaux entraîneurs. Avec ce réseau, tout est maintenu sous contrôle. »

4 réflexions sur « La fausse suédoise et la vraie française »

  1. Comme le dit bien l’article: « on verra ce qu’on verra »; le CD&V vient de présenter, ce 4 septembre, LA commissaire à l’Europe. La NVA doit rire, pour elle la Foire du Midi continue, elle pourra tirer à vue sur la pipe « francophone » d’un premier ministre MR. Yes !!

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  2. Oui, on verra ce qu’on verra, mais, au sujet de l’attitude de trop de Wallons à l’égard de la France et des Français, j’aimerais ajouter ceci : à mes yeux, le destin de la Wallonie est inséparable de celui de la France, et c’est pourquoi il me paraît aberrant, et scandaleux, que des Wallons – je ne dis pas tous les Wallons – rejettent la France. C’est d’autant plus aberrant que la crise s’aggrave : l’adversité devrait renforcer nos liens, créer une véritable fraternité franco-wallonne. Mais je forme ici un vœu pieux, du moins à court terme ; je ne l’ignore pas. Et pourtant… je me rappelle ce que chantait Achille Chavée, poète surréaliste mais aussi militant wallon :
    « Wallonie, ô Terre d’Espérance,
    Qui ne peut pas mourir
    Tant que vivra la France… »
    Je prie pour que la France renoue avec une politique de grandeur et que les Wallons cessent de se tromper d’adversaire.

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    1. « une véritable fraternité franco-wallonne »… Moi, en mariant une française (une ch’ti), j’suis passé carrément à l’amour!!!!!! LOL Mais j’aimais déjà la France depuis bien longtemps… Mais comme vous le dites, pour que la Wallonie voit un meilleur futur, faudrait que la France retrouve également un peu de sa superbe d’antan!!! La crise, elle est européenne (à part peut-être les allemands qui arrivent à sortir encore un peu la tête hors de l’eau).

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