Liège fête le 14 juillet depuis 75 ans : et après ?

Par Georges Régibeau

Le 14 juillet, grand feu d’artifice et bal populaire à Liège. Depuis 75 ans.

On y va par goût de la fête, il n’y a pas lieu d’y voir une intention politique. Avec le temps, la ferveur francophile a tellement disparu qu’on ne sait pas pourquoi Liège fête le 14 juillet. Même si la Belgique est au bord de l’éclatement, pas question de se jeter dans les bras de la France, entend-t-on.

Il est loin, le climat passionnel de l’entre-deux-guerres. On a peine à croire qu’il y a trois quarts de siècle, vingt mille Wallons se rassemblaient à Waterloo pour affirmer leur indéfectible attachement à la République française.

Faut-il remuer l’histoire pour sentir de quoi on est fait ?

Beaucoup sont allergiques à la poussière du passé : Waterloo, le Congrès de Vienne, la révolution pour se détacher des Pays-Bas, l’impossible retour à la France, la création d’un État belge francophone… Il n’est pas inutile de prendre un peu de recul. En 1830, les Liégeois ne se sentaient pas encore belges.

Pour Liège, ancienne capitale largement ouverte à l’influence française, la collaboration avec Bruxelles et l’expansion industrielle lui ont toutefois permis de s’attacher, sans réserve, au nouveau pays sorti de la révolution belge. Mais, dans cette Europe des nationalités, tandis que le lion flamand se relevait d’un long sommeil, modifiant peu à peu la nature et le caractère de la Belgique, la fragilité du jeune État fut bientôt confirmée. Allait poindre, à Liège plus qu’ailleurs, le besoin d’affirmer son identité wallonne, voire française.

Ce temps est révolu, dira-t-on, le monde a changé. C’est oublier que la décision politique repose avant tout sur un rapport de force, aussi feutré soit-il, et que le clivage identitaire, en Belgique, est loin d’avoir disparu (en fait, il n’a jamais été aussi déterminant). Ce pays ne tient plus qu’à un fil et pourtant les Wallons semblent incapables de tourner la page et de s’imaginer comme une région de France.

Pour se persuader qu’il n’en fut pas toujours ainsi, il suffit de remonter aux origines du 14 juillet liégeois, il y a 75 ans.

Remontons même un an plus tôt, en 1936. On n’avait pas eu le temps d’oublier la Grande guerre, la victoire finale et la remise de la Légion d’honneur à la Ville de Liège dans une ambiance de liesse populaire à peine imaginable aujourd’hui, quand on entendit revenir le bruit des bottes à la frontière allemande.

La montée en puissance de l’Allemagne nazie, revancharde, inquiétante, réveillait, à Liège, un sentiment de communion sincère et patriotique avec la France. Mais la Belgique avait cessé d’être au diapason de la Cité ardente. « Los van Frankrijk », martelait-on du côté flamand. Plus d’alliance militaire avec la France. Retour à une illusoire neutralité. Quand le gouvernement belge s’est engagé dans cette voie, beaucoup de Wallons, de Liégeois, se sont sentis piégés, trahis. Pour eux, face à l’Allemagne nazie, le camp de la France était plus que jamais celui de la liberté.

Le sentiment d’une identité commune avec la France se mêlait au rappel que Liège avait une histoire et une identité qui ne devaient rien à la Belgique. Ainsi, le tricentenaire de l’assassinat de Sébastien Laruelle, en 1937, fut l’occasion de convoquer les fantômes du passé dans la brûlante actualité du moment : bourgmestre et tribun populaire francophile, opposé à la maison de Bavière et assassiné pour le compte des Habsbourg, Sébastien Laruelle prenait figure de symbole et cristallisait tout ce que pouvait recouvrir, alors, le sentiment principautaire. Cette mise à jour de la mémoire collective impliquait les forces vives du « pays de Liège » : historiens, représentants politiques, journalistes.

« Le trait le plus saillant du caractère national des Liégeois, c’est, si l’on peut ainsi parler, une véritable dévotion pour la France », écrivait déjà, en 1910, le grand médiéviste Godefroid Kurth (qui, lui, de culture germanique, préférait l’Allemagne à la France).

En 1937, l’enseignement de l’histoire, à l’ULg, était dominé par Paul Harsin (alors doyen de la faculté de philosophie et lettres) et Léon-Ernest Halkin, tous les deux catholiques et militants wallons, spécialisés dans l’histoire de la principauté de Liège, d’une rigueur exemplaire.

Les responsabilités politiques étaient confiées à des hommes également remarquables, et remarquablement francophiles. Xavier Neujean, le bourgmestre de Liège (ancien ministre), et Auguste Buisseret, son échevin des finances, futur ministre (et bourgmestre), étaient des libéraux dont le cœur battait pour Liège et la France. L’échevin des travaux publics était alors le très socialiste Georges Truffaut, pétri d’idéal, bâtisseur, amoureux de la France : élu député, Georges Truffaut dénonça vigoureusement le neutralisme du gouvernement belge et déposa à la Chambre, en 1938, un premier projet visant à faire de la Belgique un État fédéral.

Proche de ces hommes, on trouvait notamment le poète Marcel Thiry, engagé dans le même combat, inspiré par le même amour de la France. Au-delà de ces personnalités dont l’influence était grande, il faut imaginer l’esprit des militants liégeois de tous bords, des étudiants, de l’homme de la rue. Car la presse n’était pas moins engagée. Olympe Gilbart, pour ne citer que lui, rédacteur en chef du journal La Meuse de 1918 à 1940, également homme politique libéral, professeur à l’ULg, avait été un des fondateurs des Amitiés françaises (en 1909).

1937 à Liège, c’était donc un peu la France. Un esprit de résistance teinté d’irrédentisme français. En célébrant le 14 juillet, la Ville de Liège envoyait un message éminemment politique.

Ce sont à peu près les mêmes hommes qui, avec d’autres, en 1945, se sont réunis en un Congrès national wallon qui révéla  la force du sentiment francophile en Wallonie. A l’issue de ce Congrès de Liège, on se limita, par réalisme, à réclamer le fédéralisme en Belgique mais l’écrivain montois Charles Plisnier lança cet avertissement : «Lorsque nous aurons fait cette expérience ultime et si, comme je le crains, cette expérience avorte, alors –j’entends le dire aujourd’hui – nous serions justifiés à nous tourner vers la France et aucun reproche ne pourrait nous être adressé, car cette expérience nous la ferons en toute loyauté et sans arrière-pensée d’aucune sorte.  Alors nous lui dirions : “Maintenant, France, au secours !” et, croyez-le bien, elle viendra ! »

Que reste-t-il de cet « avertissement » ?

La Belgique a failli disparaître au moment de la Question royale, en 1950, et puis, de querelles communautaires en réformes institutionnelles, on a procédé à des adaptations successives à ce que certains appellent le « modèle belge ». Un modèle dynamique, si on peut dire. Où en sommes-nous aujourd’hui, à la veille d’un nouveau 14 juillet ?

Où en sommes-nous ? Qu’en penserait Charles Plisnier, l’orateur le plus applaudi du Congrès de Liège en 1945 ? L’évolution de la Belgique a-t-elle refoulé ces vieux discours dans les zones grises de l’histoire ? La France a-t-elle encore une place dans la réflexion politique, à Liège et dans le reste de la Wallonie ?

Poser la question, c’est y répondre. En dépit d’une autonomie grandissante, la Wallonie, la Wallonie elle-même a-t-elle encore un sens pour la majorité de ceux qui y vivent ? La fierté d’être wallon ne peut-elle être un atout pour le futur commun de tous ces gens ? L’identité wallonne ne trouverait-elle pas en France un terrain plus favorable à son épanouissement ?

On préfère évacuer ces questions, au prétexte que les enjeux ne sont plus du tout ceux-là. C’est avec une obstination farouche qu’on proclame son attachement à la Belgique. On se complaît dans la crispation identitaire, et tant pis si le désordre institutionnel de la Belgique est devenu une curiosité internationale. Et tant pis si l’avenir est imprévisible. Et tant pis si on se condamne à marcher dans les pas de la Flandre, à ses conditions, de moins en moins supportables.

Évidemment, ce qui peut sembler insupportable aujourd’hui, sera peut-être accepté demain. La Wallonie a-t-elle abdiqué, vraiment ?

Voici le message de Georges Truffaut aux nouveaux venus en politique :

« Vous ne tarderez pas à constater que le Parlement est l’endroit du pays où l’on prend le plus conscience qu’il n’y a plus de Belgique… Vous verrez s’étaler la superbe flamingante pareille à un parvenu dans un fauteuil… Si pour réagir, vous prenez une attitude wallonne, on vous considérera avec pitié, alternativement nuancée de colère et de mépris… »

Depuis, 75 ans ont passé…

(Ah tiens, je ne l’ai pas dit : en 2012, le feu d’artifice est tiré par une société flamande et l’ambiance musicale est assurée par un quatuor anglais spécialisé dans les reprises du groupe Abba. On aura compris que le plus grand mérite de ce 14 juillet liégeois, c’est d’avoir réussi à s’imposer dans le calendrier des festivités locales. Après tout, ce n’est déjà pas si mal.)

7 réflexions sur « Liège fête le 14 juillet depuis 75 ans : et après ? »

  1. Je suis et reste rattachiste. Etant handicapé, je partirai prochainement en Nouvelle-Calédonie, ma patrie d’adoption. Ayant épousé une parisenne, j’ai la double nationalité. Bye, bye Belgium, j’espère ne pas être décédé avant la réunification! Amitiés. Yves.

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  2. Ce qui semble étrange c’est le revirement du parti socialiste qui s’est belgifié, à l’image de l’Eglise de Belgique, après avoir détruit le mouvement wallon. Il faut, de fait, constater qu’il n’y pas grande différence de mentalité et d’action entre les deux institutions, à l’exception de la vestimentation.

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    1. Certains ont clairement tourné le dos à l’histoire du mouvement wallon. Reste à voir si, en tirant sur la mauvaise corde identitaire, ils pourront tourner le dos aux attentes sociales de leur électorat. « Mauvaise corde identitaire » car il s’agit de sauver une apparence de Belgique en sacrifiant l’identité wallonne (dont on se moque) à une puissante identité flamande (qu’il faut ménager). Pour la Wallonie, c’est un étouffement programmé.

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  3. Pourquoi vouloir rattacher la Wallonie et la France quand on peut tout simplement … partir en France?
    Il n’y a que 2 ou 3% de rattachistes en Wallonie. Et ce n’est pas près de changer.
    Il faut comprendre que le Baraki de base est heureux de voter. Pour une fois qu’on l’invite quelque part. Il ne peut pas refuser d’exercer son rôle de citoyen.
    Malheureusement, son faible quotient intellectuel ( comme ses finances) ne lui permettent pas
    d’imaginer une autre possibilité que … le PS.

    L’idée, c’est : Cassos !

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    1. 2 à 3 % de rattachistes est le pourcentage réalisé par le R.W.F., mais je peux vous dire, cher Monsieur, que l’ A.W.F. dont un des objectifs est de mettre en communication les rattachistes au-delà des vues partisanes regroupe des membres de tous les partis démocratiques (M.R., P.S., Ecolo, C.D.h, R.W.F., F.D.F., M.G., R.W. …), mais surtout des
      citoyens non encartés soucieux de l’avenir de la Wallonie dans l’après-Belgique. Cela représente bien plus que les 2 à 3 % dont vous parlez.
      Quant au citoyen de base, quand il se rendra compte que le P.S. ne pourra plus lui assurer un minimum de sécurité sociale en regard de la situation économique d’une Wallonie autonome, croyez-moi, il sera amené à réfléchir un brin. Le P.S. comme les autres partis seront obligés de changer de cap. Rappelez-vous le sondage réalisé en 2009 par « Le Soir » et « La voix du Nord » : « en cas de scission de la Belgique, 49 % des Wallons étaient favorables à rejoindre la France », soit une majorité relative…
      Rendez-vous en 2014 !

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  4. Un de mes amis Jacques Liénard m’a dit, un jour, les Wallons sont des cons. Ce n’est pasprès de changersauf un bouleversement historique que nous attendons tous.

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