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14 juillet : changement de climat

 

On a fait ce qu’on a pu. La fraîcheur tout à fait inhabituelle pour un 14 juillet. La pluie incessante. Le vent qui arrache. Il a bien fallu réduire la voilure et reporter ses ambitions à l’année prochaine, d’autant plus que le temps n’incitait personne à flâner aux alentours du Palais des Congrès. Jamais vu aussi peu de monde un 14 juillet.

Mais la réaction des gens semble montrer que la question du rattachement de la Wallonie à la France est désormais bien posée, à commencer par certains médias (le journal La Meuse y a consacré sa une). Là aussi, le climat change.

G.R.

Le 14 juillet à Liège

Nous savons que la présence de rattachistes aux festivités du 14 juillet à Liège est parfois mal accueillie. Soucieux de ne pas jouer les trouble-fête, nous avons progressivement abandonné tout ce qui pouvait ressembler à une exploitation politique d’un événement dont nous ne sommes pas les organisateurs. En 2009, les ballons que nous avons distribués au public, ne portaient aucune référence à un parti politique.

Cette année, alors que la Belgique est en pleine crise existentielle, il nous a paru souhaitable de nous mettre en dehors du jeu électoral. Nous espérons que, dans chaque formation politique, il se trouvera des hommes et des femmes pour envisager un rapprochement de la Wallonie avec la France. Il nous suffit, quant à nous, de respecter l’esprit de ce 14 juillet, sans fâcher personne, en mariant nos couleurs liégeoises et wallonnes à celles de la République française.

Malgré tout, même s’il est retenu, nous avons un message et celui-ci touche à la politique, évidemment. Pour des Liégeois, le choix de fêter le 14 juillet n’est pas neutre, quoi qu’on en dise. Il remonte à l’année 1937, quand les autorités de la Ville ont voulu ainsi protester contre l’abandon de l’alliance militaire qui nous liait à la France depuis la première guerre mondiale. En 1937, les milieux politiques wallons, effrayés par la montée en puissance de l’Allemagne nazie, se sentaient les otages d’une Belgique flamande, anti-française, voire germanophile.

En 1945, l’indignation, exacerbée par des années de résistance ou d’enfermement, s’est changée en désir de rupture : c’est à Liège, au Palais des Congrès, qu’une assemblée de responsables wallons s’est prononcée en faveur du rattachement de la Wallonie à la France. Il n’est pas étonnant que dans ce contexte émotionnel, qui rappelait les Vive la France exaltés de 1919, quand le président de la République était venu offrir la Légion d’Honneur à la Ville de Liège, on ait lancé la tradition des 14 juillet liégeois.

La ville de Liège, dont tant d’auteurs du XIXe siècle ont souligné la francophilie, et même le caractère français, ne s’est pas volontiers rangée dans l’ombre de Bruxelles. Ancienne capitale d’une principauté largement indépendante, Liège a longtemps regardé vers Paris. «Voyez Paris et tremblez», lançait Jean-Nicolas Bassenge à la cour du prince-évêque en juillet 1789. La révolution liégeoise a suivi de près la révolution française et c’est à une écrasante majorité que les Liégeois ont voté pour leur intégration dans la République française en 1793.

Liberté-Egalité-Fraternité : ces mots sont entrés dans notre histoire, avec la passion du changement, l’appel de la Grande Nation, la Marseillaise… Ce tourbillon révolutionnaire a saisi la Wallonie en général et la cité de Liège en particulier, ville déjà acquise à la cause de la liberté depuis le Moyen Âge et francophile à chaque fois que les ennemis de la France étaient à ses portes. En 1789, le prince-évêque a fui l’insurrection liégeoise le jour même où, à Versailles, étaient proclamés les droits de l’homme et du citoyen. Ceux-ci allaient connaître une version plus audacieuse encore au Pays de Franchimont, terre où battait le cœur des héros malheureux de 1468.

Liège, qu’as-tu fait de ton cœur ?

L’histoire est faite de silences et d’oublis. Mais l’oubli n’est jamais définitif. Le passé n’est jamais figé dans le clair-obscur de nos mémoires. Il se modifie au gré des ombres et des lumières, en fonction de l’intérêt qu’on lui porte. On a fait grand cas de ces 300 Liégeois qui ont marché sur Bruxelles pour en chasser les Hollandais en 1830. Du franco-liégeois Rogier, on a fait un héros national. Ce Charles Rogier a été une des figures les plus marquantes du nouveau royaume de Belgique, dont la création devait tant à la France et à l’Angleterre. Mais il n’imaginait pas l’État belge autrement que francophone. La Belgique a été une longue suite de malentendus.

A l’heure où la Belgique se désagrège, où le rêve européen s’étiole, où la mondialisation redistribue les cartes, il appartient aux Wallons de reconsidérer leur histoire, afin de trouver leur place et de s’installer dans l’avenir. Forts de leur esprit critique, ils ne seront pas dupes des légendes et des mythes qui colorent à souhait le récit du passé. La geste révolutionnaire a eu ses côtés obscurs, violents, iconoclastes. Le rejet de l’ancien régime a poussé les patriotes liégeois à voter la démolition de leur cathédrale. L’accouchement de la modernité s’est fait dans la passion, le déchirement. Mais nous sommes les enfants du 14 juillet, nourris de culture française. La proximité de la France n’est pas seulement géographique. Il serait temps de s’en souvenir.

Georges Régibeau

Séparons-nous et redevenons amis

Jules GAZON, Professeur émérite, HEC, Ecole de gestion de l’Université de Liège
8 janvier 2011

Il y a 3 ans, les responsables politiques francophones s’opposaient à toute réforme institutionnelle n’étant demandeurs de rien. Aujourd’hui, ils sont prêts à céder aux exigences flamandes : transferts de compétences et responsabilisation financière des entités fédérées, abandon des principales exigences francophones sur BHV. Si l’on devait conclure sur cette base, on pourrait se réjouir au moins d’une chose : que Bart de Wever ait exigé que « saine gouvernance » aille de pair avec « responsabilisation », qu’un « renouveau politique» s’impose pour en finir avec une représentation pléthorique tout en s’attaquant aux rentes de situation que se sont octroyées nos élus.

Quel sens donner à ce combat répété d’élection en élection pour sauver ce qui justifie encore la subsistance de l’Etat -l’essentiel du lien solidaire entre les Régions- sachant que ce dernier bastion sautera une prochaine fois ? Car, telle est la volonté de 80% de Flamands ! S’il est légitime de vouloir sauver la Belgique, encore faudrait-il que celle qui s’annonce conserve les attributs d’une nation. L’a-t-elle jamais été malgré les efforts des historiens et des hommes politiques ?

Dès sa création, très vite, les nationalistes flamands ont revendiqué leur propre identité. Comment pourrait-il en être autrement ? La majorité des Belges n’ont jamais vraiment communiqué entre eux : l’unilinguisme français dans un premier temps, le bilinguisme ensuite, ayant échoué. Dernière tentative, de plus en plus relayée par les média, mais caractéristique stratégique du perdant : rester dans le sillon d’une Belgique pérenne feignant sa survie parce que la difficulté et le coût du séparatisme seraient supérieurs à celui déjà exorbitant des négociations à répétition. A se demander si l’on défend l’intérêt collectif ou des positions personnelles !

Le cynisme est à son comble quand, à ce discours, s’ajoute la reconnaissance sous le manteau d’une mésentente totale entre la majorité des négociateurs flamands et francophones. Preuve d’un désarroi extrême : ceux-là même qui défendent la Belgique qui se meurt, jouent les Cassandre assimilant le séparatisme à un mur opaque entre Flamands et Francophones, qui, chacun chez soi, ne pourraient être qu’ennemis. Leur désamour inavoué vis-à-vis de l’autre communauté irait-il jusqu’à vouloir empêcher qu’une fois séparés, certes parce que les Flamands l’auront voulu, nous devenions amis ? Si nous le voulons, la fin de la Belgique peut paradoxalement sauver la belgitude dès lors que celle-ci se perçoit comme une façon d’être : notre surréalisme belge, notre sens de l’auto-dérision.

Divorçons à l’amiable en prenant le temps, une ou deux législatures s’il le faut, avec l’objectif déclaré de gérer les modalités de la scission en poursuivant la gestion du socio-économique dans l’intérêt commun. Nous partagerons la dette dont la charge respective ne sera pas simple à définir. Mais nous aurons l’intelligence de ne pas prêter le flanc à la spéculation internationale. Nous laisserons la dette antérieure dans un pot commun jusqu’à apurement, vis-à-vis duquel nous nous porterons débiteurs solidaires. Il en sera de même pour notre patrimoine et nos richesses culturelles que nous pourrons, suivant le cas, maintenir sous usage commun si tel est notre intérêt, comme l’Europe le promeut au travers des coopérations transfrontalières.

Par ailleurs, contrairement à divers commentaires, personne n’aura intérêt à menacer les bienfaits réciproques de l’interdépendance économique actuelle entre Régions. Ce ne sont pas quelques modifications de programme informatique pour gérer nos échanges comme cela se fait pour les échanges internationaux qui pousseront les entrepreneurs, qu’ils soient flamands ou francophones, à renoncer aux bénéfices que leur procurent actuellement leur implication commerciale et leur investissement dans la région voisine.

Sans développer ici les aspects juridiques inhérents tant aux délimitations territoriales futures qu’à la reconnaissance internationale de nouveaux Etats, il n’y aura pas de problème majeur si la scission du pays se fait à l’amiable. Ce qui ne signifie pas l’absence d’avis oppositionnels de certains Etats européens. De même, le devenir institutionnel de Bruxelles et de sa périphérie fera l’objet d’une négociation ardue, dès lors que les francophones, forts de la volonté des Bruxellois, s’opposeront à l’intégration de la Région bruxelloise à la Flandre sous quelque forme que ce soit (1). Sans aucun doute dans ce contexte, il sera fait appel à l’intervention de Puissances internationales et singulièrement européennes. Mais, malgré les velléités divergentes qui se manifesteront, le fil conducteur sera de laisser la liberté de choix aux habitants de Bruxelles et de sa périphérie. Soulignons toutefois que le projet d’agglomération que soutiennent diverses analyses économiques, ne doit pas être remis en cause par le devenir institutionnel de Bruxelles, car on peut facilement concevoir une agglomération transfrontalière.

Je n’évoquerai pas l’avenir de la Flandre, qui, reconnue au plan international, pourra prospérer comme elle l’entend. Quant à la Wallonie, si on peut comprendre les velléités indépendantistes, il aurait fallu d’abord qu’elle se soit redressée depuis longtemps à travers son taux d’emploi (2), comme l’y invite justement Johan Van de Lanotte, pour qu’une indépendance soit économiquement et socialement soutenable. Une union de la Wallonie et Bruxelles est-elle possible ? Si conformément à diverses publications officieuses, les Bruxellois n’adhéraient pas à cette option, les Wallons devraient en prendre acte rapidement et en tirer toutes les conséquences en se concentrant sur leur intérêt propre. Inutile de reproduire les problèmes de la Belgique actuelle en constituant par la scission, un nouvel Etat composé de deux Régions où le lien solidaire serait à nouveau remis en cause. Reste pour la Wallonie, l’union à la France, seule issue, si on veut éviter le naufrage de notre sécurité sociale et une réduction drastique du pouvoir d’achat des Wallons. Mais les Wallons en France, avec les Bruxellois s’ils le souhaitent, sous des modalités qui intègrent l’essentiel de nos spécificités comme l’autorise la Constitution française (3), auront à réviser maints comportements de gouvernance publique. Le temps n’est-il pas venu d’un appel à la France de la part des Autorités wallonnes ?

Quelle que soit la configuration institutionnelle post-scission, retenons que Flamands, Wallons et Bruxellois deviendront les meilleurs partenaires économiques et culturels en raison d’une profonde connaissance réciproque. Et que nous nous parlerons enfin sans complexe, ni hostilité linguistique.

Séparés, nous redeviendrons amis.

(1) Ma « carte blanche » du 15 août 2010 non publiée, mais largement diffusée sur internet
(2) Le taux d’emploi est le pourcentage de personnes qui dans la tranche d’âge de 15 à 64 ans, ont un contrat d’emploi à temps plein ou à temps partiel.
(3) Voir le site de Jacques Lenain : http://www.belgique-francaise.fr

Il n’est plus sot de vouloir le rattachement de la Wallonie à la France

Jules GAZON, professeur émérite de l’Université de Liège
Carte blanche publiée dans Le Soir, le 8 juin 2010

La Belgique peut-elle survivre ? Oui, si le « vivre ensemble » des communautés flamande et francophone avait du sens dans un Etat confédéral voulu par les Flamands.

Mais quel intérêt pour les Francophones et les Flamands de relever d’un Etat niant tout lien solidaire en matière de sécurité sociale ?
Véritable coquille vide que cet Etat confédéral qui n’assumerait même pas les fonctions régaliennes car ne nous faisons pas d’illusion sur les velléités flamandes quant à notre diplomatie et à notre police par exemple !

En outre, la condition faîtière d’une nation n’est-elle pas que ses citoyens puissent se parler et se comprendre ? Or les Flamands contestant avec raison l’incapacité d’une grande majorité de francophones à s’exprimer en néerlandais, s’opposent par ailleurs à promouvoir le bilinguisme qui passe par un enseignement en immersion dans les deux langues, dans chaque Communauté. Attitude paradoxale qui n’a d’autre cause que la crainte de voir le français faire tache d’huile en Flandre. Complexe d’infériorité linguistique dont la conséquence majeure est la négation même de la Nation Belgique !

La Belgique a déjà raté à deux reprises la possibilité d’évacuer les problèmes linguistiques. Au 19e siècle, les Flamands victimes, comme les Wallons, de l’exploitation ouvrière par une bourgeoisie francophone ont progressivement rejeté la jeune Belgique unilingue en confondant exploitation linguistique et exploitation capitaliste qui sévissait au nord comme au sud dans un français pas davantage compris par les Wallons que par les Flamands. Et, au cours des années 30 du 20e siècle, alors que le néerlandais (que les Flamands ne parlaient pas davantage que le français !) était reconnu comme langue nationale, les Wallons se sont opposés au bilinguisme, craignant l’hégémonie flamande et ne voulant pas imposer aux francophones une langue sans grand intérêt au plan international. Aujourd’hui, les francophones seraient ouverts au bilinguisme s’il s’agissait de sauver définitivement le lien solidaire entre les communautés, mais les Flamands y font obstacle.

Faire perdurer un tel Etat, c’est gaspiller beaucoup d’argent et une énergie qui entrave la relève des défis économiques et sociaux. C’est compromettre notre visibilité à l’extérieur ! C’est supporter une administration devenue inutile et maintenir, voire développer, la pléthore déjà unique au monde du personnel politique, le seul à tirer profit de cet Etat déliquescent et à se complaire dans le vaudeville communautaire par intérêt malgré les discours proférés. L’histoire nous dira que la fin de la Belgique est imputable au manque d’hommes et/ou de femmes d’Etat, responsables, capables de mettre l’intérêt commun, et celui de la Belgique en particulier, au dessus de l’intérêt partisan et personnel.

La Belgique se meurt ! Le décès annoncé postule la préparation urgente d’un avenir pour chaque Région et Communauté sur d’autres bases, dans la clarté et la paix des Braves. Mais le repli des Flamands sur leur territoire exclut que Bruxelles, capitale de l’Europe multilingue et multiculturelle, mais essentiellement francophone, ne tombe dans le giron d’un Etat qui, se référant au principe de territorialité, bafouerait les libertés personnelles pour l’usage des langues, entravant ainsi ce qui cimente le bien vivre ensemble d’une communauté. En conséquence, l’alternative à la Belgique ne se négociera pas seulement dans l’enceinte fermée des anciens Belges ! L’Europe devra intervenir et singulièrement la France, point d’appui naturel de la francophonie, car il y va du sort de millions de francophones.

Cependant, au même titre que la Flandre, un Etat wallon et bruxellois ne serait crédible que s’il est admis d’emblée au sein de la zone Euro. Les incertitudes inhérentes à cette période transitoire pendant laquelle devrait se négocier le partage de la dette publique ne permettraient pas de trouver aux yeux du monde la crédibilité économique nécessaire, mise à mal parfois à tort, parfois à raison, par le discours ambiant. Les marchés financiers ne s’accommoderaient pas de cet état de fait.

C’est pourquoi, l’avenir de la Wallonie et de Bruxelles passe par un progressif rattachement à la France (sauf émiettement vers un autre ensemble !). La transition nécessitera une remise en ordre politique, économique et sociale, mais sera sans danger majeur si l’objectif du rattachement à la France et son cheminement institutionnel sont clairement définis et communément acceptés par les parties.

Reste ouverte, une question essentielle : comment se positionne la France face à cette perspective ? Son silence ne peut s’interpréter comme un refus, ni comme une acceptation d’ailleurs. Pour des raisons diplomatiques, Elle ne peut mettre de l’huile sur le feu ! Elle sait toutefois que l’absorption de la Wallonie et de Bruxelles augmenterait son poids dans le concert des Nations. D’autre part, on ne peut imaginer qu’étant le leader naturel de la francophonie, elle se désintéresse d’une Région francophone limitrophe qui fut française avant que ne se crée la Belgique.

Le rattachement à la France, sans être la panacée, serait un vecteur de renouveau pour les Wallons et les Bruxellois. D’abord politique, car le suffrage à deux tours permettrait de dégager des majorités franches nous sortant des compromis coûteux « à la belge »; économique ensuite, moins en raison d’échanges accrus car nos économies sont déjà largement interdépendantes, que parce que le poids politique de la France, en temps de crise, peut être déterminant ; social aussi, en évacuant tout problème de solidarité interrégionale, culturel enfin, apportant à tous nos créateurs l’immense marché intérieur français tout en valorisant notre spécificité.

Si le rattachement à la France ne serait pas pour tous un mariage d’amour, il est aujourd’hui un mariage de raison pour les Wallons et les Bruxellois.

L’homme qui arrêtait les trains

Dans L’homme qui arrêtait les trains, publié récemment chez L’Harmattan, notre ami Louis Nisse libère une parole qu’il maîtrise avec beaucoup de style et d’intelligence. Au cœur d’un portrait familial sans concession, taillé dans l’écorce dont sont faits les hommes lucides, il y a la question de l’identité, des racines. Ce qui fait vibrer ses mots, claquer ses phrases, c’est notamment l’amour de Liège et de la France. Amour exigeant, amour souvent déçu.

Voici un extrait de ce livre éminemment personnel, à la fois témoignage et réflexion.

« Wallonie française ! Wallonie française ! Monsieur le Président ! »  François Mitterrand sortait de la Violette ; sur le point d’entrer dans sa voiture, il se ravisa et se dirigea vers la foule. À quelques mètres, au pied du Perron liégeois, nous étions nombreux à nous presser contre les barrières pour acclamer le président de la République française en visite à Liège, ce 14 octobre 1983. Beaucoup de rattachistes, bien sûr. J’étais avec deux amis philosophes : Jean-Renaud Seba, au deuxième rang, près de moi, et Daniel Giavannangeli, à quelques mètres sur ma droite. Mitterrand ne réagissait pas et continuait à serrer des mains qui se tendaient vers lui. Voyant qu’il avait dépassé l’endroit où nous l’attendions, j’ai crié avec force : « Citoyen ! », aussitôt relayé par la voix de stentor de Jean-Renaud : « Camarade ! »

Du coup, Mitterrand s’est retourné, est revenu sur ses pas et a demandé : « Qui m’appelle ? » J’ai répondu : « Nous, Monsieur le Président ». Alors, il nous serra la main et, avec une sorte de tendresse, il retint longuement la mienne, comme à un ami de toujours. (…) Je lui confessai notre amour pour la France, notre patrie, et lui reprochai de ne guère avoir soutenu les réunionistes. Il me fit remarquer avec onction qu’il se devait au devoir de réserve d’un invité mais qu’il avait insisté sur la profonde amitié, sur les grandes affinités qui unissaient Liège, la Wallonie et la France. (…)

De Gaulle n’est jamais venu à Liège. Et pour cause. Dès 1958, le gouvernement belge avait tenu en suspens la visite officielle de ce héros dont un mot à la Libération aurait pu faire éclater la Belgique. Ensuite, après juillet 1967, échaudé par le scandale du « Vive le Québec libre ! » de l’hôtel de ville de Montréal, pas question pour lui de s’exposer à la gifle d’un « Vive la Wallonie libre ! » (…)

Lors de la visite de Pompidou, je vois encore le vieux Robert Vivier courir sur les Terrasses pour tenter d’acclamer une seconde fois le président. Il criait « Vive la France ! », ce cher professeur dont nous avions bénéficié des deux dernières années de cours : une lecture vibrante des Confessions puis des Fleurs du Mal. Il courait en criant, le poète de Tracé par l’oubli et de Chronos rêve. Plus de son âge, déplacé ? Émouvant.

Quelle est cette France qui nous ferait encore courir ? La sienne était peut-être très différente de la mienne, mais elles avaient en commun la même langue.

Notre langue est notre patrie. Nous ne possédons que des mots. Une France qui s’affirmerait en anglais, n’affirmerait plus rien. Elle ne serait plus l’objet de notre désir. Croupion de l’Amérique, elle aurait cessé d’exister. C’est pourtant cet ersatz-là que beaucoup de politiciens te proposent comme horizon indépassable, Français de France. Et tu restes amorphe. Comme un veau, aurait ajouté de Gaulle.

François Mitterrand… se permit de moucher en public une petite journaliste qui avait osé prononcer « OK ! » devant lui, alors qu’à la même époque, il refusait de s’engager auprès de Václav Havel qui lui avait manifesté son désir de faire du français la première langue étrangère de la Tchécoslovaquie ; alors qu’il n’apportait aucun soutien aux douze mille professeurs de français de Russie qui appelaient à l’aide… (…)

Depuis, nous volons de défaite en défaite. Sans heurt. Comme on dit à Liège, on stronle l’poye sins l’fé brêre (on étrangle la poule sans la faire crier). Sans coup férir, nous disparaissons de la scène internationale, même des Jeux Olympiques. (Aux Jeux d’Athènes, les délégations des pays de l’Afrique francophone quittèrent la cérémonie d’ouverture pour protester contre l’usage exclusif de l’anglais. Ils furent les seuls…) La trahison sévit au plus haut niveau. Valérie Pécresse ne vient-elle pas de recommander à ses fonctionnaires européens de renoncer à l’usage du français dans les contacts avec les autres pays de l’Union ? Sans débat ni concertation interministérielle : simple décision technique.

Découvrez un entretien avec l’auteur : cliquez ici

La colère de Dehousse et la réponse de Demotte

Nous prenons la liberté de publier ce texte qui ne nous est pas destiné mais qui circule sur le net.

Liège, le 12 juillet 2011

VIVE  LA  NATION ! 

« L’armée (républicaine), pleine d’enthousiasme et déjà aguerrie par une canonnade de quatre heures, répondit aux paroles de son général par des cris multiples de « Vive la Nation ! »

                                                                                              Valmy, 20 septembre 1792

 « D’aujourd’hui et de ce lieu date une ère nouvelle dans l’histoire du monde »

                                                                                              GOETHE à Valmy

 * *  *            

Une règle d’or de la négociation est que l’on n’affaiblit pas le négociateur qui négocie en votre nom, car sinon on fait objectivement le jeu de son adversaire.

J’ai toujours respecté ce principe sauf en 1988, quand il est devenu clair pour moi que les négociateurs qui négociaient au nom des Wallons, et d’abord les socialistes, trahissaient volontairement ou non nos intérêts collectifs en acceptant des clés de répartition nuisibles pour nous.  J’ai cru de mon devoir de le dire, et je l’ai dit, en assumant toutes les conséquences.  J’ai annoncé que la loi de financement que l’on négociait était désastreuse.  Mon excellent  collègue Philippe MOUREAUX, négociateur lui aussi, a répondu qu’elle était « inespérée ».  Les faits ont jugé : deux ans plus tard, les enseignants découvraient qu’on ne pouvait plus les payer.  André (COOLS) aurait dit en d’autres temps « tu avais le tort d’avoir raison trop tôt ».  J’ai toujours préféré avoir raison trop tôt que trop tard.

Mais la règle reste la règle, et depuis douze mois je la respecte scrupuleusement.  Ce n’est pas toujours facile : il y aurait tant à dire !  Tant pis.  Il faut savoir attendre.

Aujourd’hui les Wallons, et plus généralement les Francophones, sont confrontés à un problème plus simple.

Le Ministre-Président de la Région Wallonne, le Cde Rudy DEMOTTE, par ailleurs aussi Ministre-Président de la Communauté Française, ne négocie pas, pas plus du reste que la Présidente du Parlement Wallon.  La parole est confisquée par la junte des présidents de partis.  En quelque sorte, c’est la démocratie occultée.  Mais, pour intéressante qu’elle soit, c’est une autre histoire.

Elle nous permet cependant de nous exprimer.  Profitons-en tant qu’il en est temps encore.

Le susdit Ministre-Président de la Région Wallonne vient de proférer ce que par pure politesse, on appellera une ânerie monumentale, qui lui vaudrait d’être « busé » (recalé, repoussé) dans n’importe quelle université digne de ce nom. 

Il a cru bon, en effet, de déclarer avec la solennité qui entoure les conneries publiques que « la nation était dépassée car c’était une idée du dix-neuvième siècle ».

 Vraiment ?

 Dès qu’on a pu traduire la Bible, notamment en anglais, le texte nouveau fit dire par Jésus aux Apôtres d’aller enseigner « aux nations ».  Saint-Paul, même en français, est devenu l’« Apôtre des Nations ».  C’était le 19e siècle ?

Quand les Révolutions Américaine et Française ont secoué le monde et que des patriotes sont morts à Lexington, à Concord, à Valmy, à Jemappes (dont DEMOTTE doit tout de même avoir entendu parler) en criant « Vive la Nation ! », c’était au 19e siècle ?

 Le Ministre-Président n’a vraiment jamais entendu parler des « Nations-Unies », dont la Charte fut signée en 1944 (après, du reste, l’expérience de la Société des Nations introduite par le Traité de Versailles), c’était au 19e siècle ?

Liège s’enorgueillit d’avoir fait partie du « Saint Empire Romain de la Nation Germanique », c’était aussi au 19e siècle ?

 On peut multiplier les exemples à l’infini.  Il n’y a qu’à se baisser – ou se souvenir.

 * *  *   

 Par ailleurs, qu’est-ce que c’est que cette idiotie, assez répandue du reste, mais ce n’est pas parce que chacun ou presque croyait la terre plate qu’elle l’était, qu’à la différence du vin qui bonifie avec le temps  (chez DEMOTTE aussi je suppose), les idées s’étiolent nécessairement en vieillissant ?

 Le XIXe siècle, c’est entre autres choses, un éveil formidable de l’esprit scientifique.  Pour ne citer qu’un exemple, c’est PASTEUR et la découverte du vaccin contre la rage.  Dépassé, PASTEUR ?  Dépassé, DARWIN et sa théorie sur l’évolution des espèces ?  Dépassé, FREUD ?

Dépassé, LAVOISIER, parce que guillotiné au XVIIIe siècle ?

Dépassé, Isaac NEWTON ?

 Les exemples sont – évidemment – encore plus nombreux.  On croule sous l’avalanche.

 Mais si les idées du XIXe siècle sont automatiquement dépassées, que dire des idées plus anciennes ?

 Dépassé, l’Islam (VIe et VIIe siècle) ?  Dépassé, Gautama Bouddha (Ve ou VIe siècle) ?

 Dépassé, le Christianisme (2.000 ans) ?

 Dépassée, la démocratie, apparue en Grèce du temps de Périclès  (né à Athènes vers 495 avant le Christ) ?

 Faut-il vraiment en rajouter pour convaincre ?

  * *  * 

 OUI, la nation flamande existe, et l’immense majorité des Wallons et des Wallonnes le savent.  Et pour ceux qui ne le savent pas (les Présidents des Gouvernements Wallons par exemple), qu’ils lisent la déclaration de François PERIN, quittant le Sénat en décembre 1980 en soulignant qu’il n’y avait plus qu’une nation en Belgique : la nation flamande.

 OUI, je le répète, la nation flamande existe et, comme toute nation, mérite le respect –  jusqu’au moment, où comme bien d’autres, elle se fait arrogante, prussienne en somme, se prend pour le nombril du monde et casse les pieds (au propre et au figuré) à ses voisins, par exemple en leur volant des territoires ou en voulant le faire.

C’est même une des causes  du « mal belge » que la nation flamande existe dans toute sa plénitude alors que la nation wallonne n’existe pas, pour une foule de raisons dont les niaiseries de trop de ses dirigeants, perdus dans le campanilisme comme Hannibal à Capoue.

 On pourrait croire que tout Ministre-Président de la Région Wallonne sait cela.  Aujourd’hui, nous constatons qu’il n’en est rien.  Alors on baisse la tête en rougissant de honte, ou on parle, on crie pour tenter de réveiller ceux qui dorment et surtout pour ne pas être complice.

 Voilà pourquoi j’ai décidé de parler, non par forfanterie, mais parce que j’ai plus de respect pour ceux qui sont morts pour nous avoir défendus.  Eux.

 Puisque M. DEMOTTE  travaille parfois à Namur, qu’il aille se recueillir sur la tombe de François BOVESSE.

                                                    Jean-Maurice DEHOUSSE

Ancien Ministre-Président de la Région Wallonne

Militant Wallon

 P.S. :  Rudy, ne le répète pas mais le socialisme est une conception qui nous vient droit du 19e siècle.  Si tu n’y crois plus, dis-le nous et reste chez toi.  Salut et Fraternité.

 

Rudy Demotte a répondu à Jean-Maurice Dehousse sur son site (www.rudydemotte.be). Cela ne manque pas non plus d’intérêt.

De la « nation »

Je n’ai pas pour habitude de réagir aux propos tenus par le premier venu, mais lorsque ceux-ci se veulent insultants, difficile de faire autrement.

Interpellé par les médias le 11 juillet dernier sur la “nation flamande”, j’ai indiqué que c’était là un concept qui remonte au 19ème siècle, ancré dans le romantisme allemand. Une lecture mise en cause aussitôt par certains.

Une chose est sûre, si les idées du passé ne sont pas par nature dépassées, les concepts, eux, évoluent. Certains ne l’ont peut-être pas remarqué.

On pourrait, bien sûr, gloser à l’envi sur le concept de nation, sur ses origines, ses fondements et ses conséquences, pour en faire la meilleure – comme cet « Etat-nation » qui donna naissance à la démocratie sociale et en reste souvent le cadre – comme la pire des choses, avec l’affrontement cataclysmique des nationalismes dans les guerres européennes ou coloniales.

Ceci étant, on pourrait s’étonner de l’interprétation romantique et anachronique que certains font des concepts. Ainsi, je ne puis que trouver hardi le rapprochement fait par d’aucuns entre la « nation » qui mena, hier, les révolutionnaires américains ou français à ouvrir une ère nouvelle de liberté et de fraternité et celle qui conduit, aujourd’hui, certains tribuns modernes à fonder leur projet sur le refus premier de la solidarité.

Les « soldats de l’an II » chers à Hugo s’en allaient, nus pieds, mourir « pour libérer tous les peuples, leurs frères ». Ils fondent aujourd’hui encore une nation basée sur l’ouverture et le partage de valeurs universelles inclusives. Est-ce vraiment le même esprit qui conduit ceux qui, de nos jours, de la Padanie à la Flandre, entendent fédérer une nation autour d’éléments communs mais aussi d’un commun refus de l’hétérogénéité et de la solidarité.

Je pense que certains vont un peu vite pour coiffer Bart De Wever d’un bonnet phrygien dont la signification – aussi ancienne que glorieuse – n’a peut-être pas grand-chose à voir avec le projet de repli sur les poches de prospérités qui caractérisent trop largement l’Europe actuelle. Et ce, à l’heure où tout montre pourtant qu’elle a un urgent besoin d’un projet collectif de mutualisation des risques face à modèle dominant qui témoigne de son inefficacité et de son injustice pour les peuples. Là se trouve peut-être, aujourd’hui, un projet national d’avenir, conforme à sa plus belle essence et auquel nous pourrions tous adhérer.