Le mirage de l’union nationale

Et si le coronavirus réveillait le démon communautaire ?

Le Soir, 24 mars 2020

L’échec du rapprochement entre PS et N-VA et la confirmation du gouvernement Wilmès font monter la tension entre nord et sud. Qui divergent sur les causes et les conclusions. Attention, danger (communautaire).

Depuis dix jours, une partie de la Flandre ne décolère pas. La tentative avortée de former un « vrai » gouvernement fédéral autour du PS et de la N-VA ne passe pas. Et les partis francophones sont ciblés. Durant le week-end, Bart De Wever déclarait : « Bouchez voulait garder ses ministres, et Magnette n’est pas le patron chez lui. (…) Je vois un PS et un MR qui vivent dans leur monde. (…) Comment pourra-t-on continuer avec ce pays ? » Et Theo Francken lâchait dans Knack ce mardi : « La vraie raison de l’échec, c’est que les présidents Paul Magnette (PS) et Georges-Louis Bouchez (MR) se neutralisent. (…) Ils nous ont trahis. Nous n’allons pas oublier cette trahison. »

Conner Rousseau, le jeune président SP.A qui a servi d’intermédiaire entre socialistes et nationalistes, n’est guère plus aimable envers son alter ego PS. Et le CD&V de Joachim Coens ronge son frein devant cette alliance de neuf partis soutenant le gouvernement Wilmès, qui ressemble étrangement à la coalition Vivaldi (sans la N-VA) qu’il a refusée jusqu’ici.

Du côté francophone par contre, on se satisfait de ce que le gouvernement Wilmès reste en place, au prétexte qu’on ne change ni d’équipe ni de capitaine en pleine tempête. Et l’on pointe la responsabilité de Bart De Wever dans l’échec de la négociation, lui qui réclamait, dit-on, le 16 et un chapitre institutionnel.

Alors, assiste-t-on au grand retour de nos démons communautaires ? Au point d’hypothéquer l’avenir post-corona ? Réponses avec des politologues.

1) Deux visions divergentes

Nos experts le disent d’emblée, comme Pascal Delwit (ULB) : « Il est de plus en plus compliqué de faire comprendre, du côté francophone, comment les choses se pensent et s’énoncent dans l’espace néerlandophone, et inversement. » Pierre Verjans (Uliège) estime même que « l’on travaille en doubles sourds : les francophones n’écoutent que ce que les francophones disent et pas ce que les Flamands disent, et inversement. Il n’y a donc pas moyen de trouver un compromis. »

Voilà qui n’aide ni à se comprendre, ni à s’accorder. Alors, quand une longue crise politique se double d’une crise sanitaire anxiogène, tout semble réuni pour relancer nos vieilles querelles.

« Dans une situation de crise, la dimension communautaire s’exacerbe », confirme Pascal Delwit. « Et ici, elle s’est cristallisée autour de la tentative de construire un gouvernement d’urgence et de son échec. Je parle de cristallisation car il n’y a pas vraiment de faits nouveaux depuis le 26 mai : ce sont les résultats des élections qui compliquent la formation d’un gouvernement, et leur interprétation communautaire renforce cette complexité. » Car « on a conclu qu’un fossé nous séparait et que la Flandre était toujours plus à droite et la Wallonie toujours plus à gauche. Or, les partis de droite ont perdu les élections, particulièrement du côté néerlandophone ; et en Wallonie, le PS et le PTB ont obtenu moins de voix ensemble que le seul PS par le passé. »

C’est dans ce contexte qu’intervient l’échec d’une coalition PS-N-VA, interprété différemment au nord et au sud. Pourtant, nuance Dave Sinardet (VUB et Saint-Louis), « il y a différentes visions en Flandre, mais la vision dominante est bien celle de la N-VA, du SP.A et du CD&V, selon laquelle il aurait dû y avoir un gouvernement d’union nationale et que ce qui s’est passé n’est pas très correct. L’autre vision, celle du VLD, plus nuancée, est qu’en pleine crise sanitaire, il ne fallait pas changer les ministres et les cabinets ; c’est celle qui existe surtout au sud du pays. »

Chacun en tire dès lors ses conclusions : « Les francophones, grâce aux prestations de Sophie Wilmès, pensent avoir trouvé un nouveau symbole de la Belgique, pas les Flamands », résume Pierre Verjans. « Et ce qui nous apparaît comme une façon très habile d’avoir remis la N-VA au pas apparaît aux Flamands comme une façon un peu honteuse d’avoir humilié le parti principal en Flandre. »

Avec, in fine, une confiance inégale en l’actuel gouvernement Wilmès, relève Audrey Vandeleene, politologue francophone à l’université de Gand : « Dans ceux qui soutiennent cet exécutif, on ne trouve pas les deux premiers partis flamands, N-VA et Vlaams Belang. Du côté francophone, c’est l’inverse : celui qui ne soutient pas n’est que le 4e parti. »

2) Le communautaire a toujours été là

Alors, serait-ce le grand retour du communautaire ? Nos politologues nuancent. « Je n’ai pas l’impression que ce soit plus grave qu’avant, mais c’est aussi grave », dit Pierre Verjans. Le fossé nord-sud qui s’agrandit, « ce n’est pas nouveau », embraie Dave Sinardet, « mais il est vrai que ça augmente un peu, même si l’épisode actuel montre aussi des divisions au sein d’une même communauté, par exemple entre PS et MR. »

3) « L’erreur d’appréciation de Paul Magnette »

En Flandre, on l’a dit, l’impression dominante est que « Paul Magnette a cassé le pré-accord naissant avec la N-VA », pourtant, rappelle Audrey Vandeleene, « on n’était pas sûr que l’on serait finalement arrivé à un accord ». Car, embraie Pascal Delwit, « la dynamique qui a conduit à cette opportunité entre PS et N-VA était fragile, faite de sous-entendus ou de choses implicites. Tout élément perturbateur, comme les sorties de Bart De Wever, était donc à même de la faire avorter. » Mais il parle tout de même d’« erreur d’appréciation dans le chef de Paul Magnette et de ceux qui, au PS, ont pensé qu’un accord PS-N-VA était une voie : c’était sous-estimer l’opposition au sein du PS et dans le spectre francophone. »

Pour Pierre Verjans, l’essentiel est là : « Paul Magnette a cru qu’il avait le pouvoir sur son parti, alors qu’il ne l’a pas. Les militants socialistes refusaient des concessions qu’il pensait pouvoir faire puisqu’il était le symbole de la résistance francophone. Mais le PS de 2020 n’est pas le PS de 2010 (quand Elio Di Rupo a négocié avec la N-VA), qui n’avait pas le PTB dans le dos. D’où l’idée, en Flandre, d’une trahison de Paul Magnette, humilié par les siens. »

4) Des relations personnelles abîmées

Alors qu’à l’automne, relève Audrey Vandeleene, « on espérait que les nouveaux présidents de parti allaient créer de nouvelles relations, ils sont un peu retombés dans les positions précédentes et ont déjà un passif de confiance. » Les relations personnelles sont abîmées.

C’est grave docteur ? « Cela va laisser de traces, mais les relations entre les personnes n’étaient déjà pas exceptionnelles, ce qui n’aide vraiment pas », répond Pascal Delwit. « Que Magnette et Bouchez ne soient pas les meilleurs amis, on l’avait déjà vu auparavant », acquiesce Dave Sinardet. « Que l’on puisse se poser des questions sur le comportement de la N-VA, c’était déjà le cas aussi. Donc, il n’y a rien d’extrêmement nouveau, mais c’est ressenti de manière plus dramatique en période de crise. Il est absolument nécessaire que certains acteurs aient une bonne discussion. »

5) Ce ne sera pas forcément plus facile… ni difficile après

Pour nos politologues, impossible de prédire l’évolution après la crise sanitaire. Mais ils ne pensent pas forcément que la formation d’un gouvernement en sera complexifiée… parce qu’elle l’est déjà, en raison des résultats électoraux. « Cela dépendra aussi de la situation sanitaire, économique, sociale, budgétaire », explique Pascal Delwit. « Cela influencera-t-il des partis comme le PS, le CD&V ou le VLD ? Je reste persuadé qu’on ne tardera pas à aller aux élections. »

Dave Sinardet appuie : « Ce seront les mêmes questions dans quelques mois : avec le PS et la N-VA ? Une coalition Vivaldi ? Certains disent que le soutien extérieur de six partis au gouvernement Wilmès est un plan sournois pour aller vers la Vivaldi, mais je ne suis pas sûr que les cartes soient réunies pour cela. » Et Pierre Verjans ajoute : « Ce sera tout aussi difficile dans quelques mois, car on est tout le temps en train de remettre en cause celui qui est prêt à faire des concessions. »

Et l’état de grâce actuel de Sophie Wilmès n’y changera peut-être rien. « En situation de crise », conclut Pascal Delwit, « on observe souvent le resserrement autour de l’exécutif et de la figure qui l’incarne, mais c’est très éphémère. Ce que cela donnera après la crise sanitaire est très difficile à anticiper. D’autant qu’il y aura une forte attente et si la réponse gouvernementale est très en deçà de cette attente, il pourrait y avoir un retour de manivelle assez puissant. »

5 réflexions sur « Le mirage de l’union nationale »

  1. Ceci représente l’espoir d’une chute fatale d’une Belgique, scorie de l’Histoire européenne : « doubles sourds » !

    Pierre Verjans (Uliège) estime même que « l’on travaille en doubles sourds : les francophones n’écoutent que ce que les francophones disent et pas ce que les Flamands disent, et inversement. Il n’y a donc pas moyen de trouver un compromis. »

    Certes cela encore prendra du temps (bien que ?) mais la ténacité des Flamands, de tous bords, donnera le coup de boutoir.
    Après l’épidémie, au Sud qui entendrons-nous ? La FGTB, les ECOLOS, le PTB.
    Après l’épidémie, au Nord qui entendrons-nous ? Le VOKA et l’Union des Entreprises de Flandre.
    Collision garantie !

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  2. La suffisance de la ministre de la Santé, Maggie De Block, est insupportable. Non contente d’avoir privé les étudiants en médecine de Wallonie et Bruxelles de no INAMI pour compenser la pénurie de médecins généralistes et dans certaines spécialités, apparemment satisfaite d’avoir qualifié la contamination au Covid-19 de « petite grippe » et d’une question « purement chinoise », voilà que nous apprenons qu’après avoir fait détruire 6 millions de masques FFP2 périmés sans avoir passé de nouvelles commandes, empêchant ainsi la Belgique de disposer d’un stock dit stratégique, je l’ai entendue hier, au JT de RTL-TVI, balbutier ses mots devant les questions insistantes du journaliste, en renvoyant la responsabilité de la pénurie de matériels sur les hôpitaux et le coût d’un tel achat en période d’affaires courantes …. Toujours l’obsession ultra-libérale budgétaire, quitte à mettre en danger la santé de ses concitoyens. Et la voilà qui parade dans ses interviews, avec le même aplomb, tentant de nous faire passer des vessies pour des lanternes. La vérité est cruelle, Madame la ministre, vous n’avez plus votre place au sein d’un gouvernement fédéral qui fait pourtant tout son possible pour gérer une telle catastrophe, dont l’accroissement des difficultés et problèmes graves vous est redevable.

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  3. Un article assez intéressant sur le site Footnews.be qui rejoint un peu les déclarations de B. Venanzi, président du Standard, il y a de cela quelques mois:
    http://www.footnews.be/news/188581/tant-que-la-wallonie-fera-partie-de-la-belgique-une-beneleague-est-impossible
    Merci à M. Vanhaezebrouck pour tant de lucidité!!! Qu’ils (les flamands) fassent une « Vlaanderen league » avec leurs homologues « Oranges » et que les clubs wallons aillent jouer dans les championnats français. C’est pourtant simple! Tout le monde s’y retrouverait en fin de compte.

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  4. Le 3 avril 1898, la première étincelle du Mouvement wallon

    Ils sont trois mille, ils sont en colère, mais ils jubilent. (…) parce qu’ils sont wallons. Trois mille Wallons qui manifestent au nom de leur identité, c’est du jamais-vu ! A Liège, ce 3 avril 1898 sonne l’aube d’une émergence. Au fond d’eux-mêmes, peut-être ces militants le sentent-ils : aujourd’hui, le Mouvement wallon est en train de naître. ( Vif/L’Express, 02/04/2020,Vincent Delcorps)

    NDLR : Erreur c’était HIER car aujourd’hui 03/04/2020 les Wallons ont perdu le cap de la lutte pour la liberté et s’abandonnent aux volontés du Nord contrairement à ce que les journalistes attribuent à tort à la NVA.

    Quand la N-VA perd le Nord…

    A propos de la N-VA, on ne sait plus trop bien à quels principes se vouer ! (…) le parti nationaliste a atteint son seuil d’incompétence, (…). Le constat est patent : après avoir collectionné les succès depuis sa fondation en 2001, la N-VA a perdu la main et son  » savoir-faire  » politique. (Philippe Walkowiak RTBF info, 02 avril 2020)

    NDLR : Ah ! Oui, alors, expliquez donc Messieurs, Mesdames les journalistes pourquoi la N-VA se réjouit de la nouvelle flexibilité proposée pour les fonds européens ?

    La N-VA ne cachait pas sa satisfaction jeudi à l’annonce de Commission européenne d’une flexibilité inédite dans la destination des fonds structurels européens, après avoir considéré que la Wallonie était trop servie par rapport à la Flandre.( Le Vif, 02/04/2020).

    La Commission a fait preuve d’une « compréhension approfondie sur base de nos critiques constructives », a fait valoir l’eurodéputé N-VA Geert Bourgeois sur Twitter. Plus personne n’ignore en Europe que la Belgique c’est la FLANDRE !

    NDLR : Conclusion : aucune voix wallonne pour protester ! Mais bien évidemment le PS, le MR (merci, Monsieur Bouchez) et le CDH demeurent d’inflexibles UNITARISTES.

    Pourtant, nos politiciens de Wallonie trouveraient en France leur BONHEUR. N’existe-t-il pas en France un Parti Socialiste, un Parti Démocrate-Chrétien et pour les libéraux, de toutes tendances, l’UMP, Les Républicains, Alternative libérale, le Parti libéral démocrate. Même nos Ecolos-Bobos pourraient s’acclimater au jardin d’ Europe Écologie Les Verts.
    Qu’attendent-ils donc pour détacher les amarres et abandonner ce Royaume ingrat et stérile ?
    Mais bien sûr, ils craignent tous de perdre en France un probable hochet de présidentiable.
    Pauvres nains de jardin !

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  5. Bertrand Henne (RTBF Info 23/04/2020) enfonce le clou dans notre croix.

    Les francophones et leur zone de confort

    La fuite (…)
    Montée au filet nationaliste (…)
    Mépris et volonté de puissance (…)

    En conclusion
    La logique est toujours la même. La N-VA veut une Flandre qui affirme sa volonté de puissance. Et cela n’est possible qu’en se distinguant de ceux qui ne veulent pas. Nous les francophones (sic) sommes donc dans notre zone de confort. Parfois c’est un baxter, parfois c’est un hamac, aujourd’hui c’est notre zone de confort. Le mépris nationaliste ne s’arrête jamais, même au milieu d’une pandémie meurtrière.

    NDLR: Quoi de neuf, docteur Henne ?
    Merci de pointer le véritable mal wallon.
    Pour nos politiciens, tous partis confondus, « Mère Belgique » n’est qu’un triste synonyme de ZONE DE CONFORT !
    Les Wallons ont besoin de CHEFS ou d’un CHEF car la mollesse et l’apathie ne relèvent pas de l’âge des artères mais de l’inquiétude et de l’irrésolution de pusillanimes.
    Jésus de Nazareth vécu sa passion et NOUS nous vivons un calvaire.

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