Neuf questions que vous n’osez pas poser sur le Panthéon

Au-delà de la pompe officielle et des morceaux de bravoure (« Entre ici, Jean Moulin… ») , francetv info répond à ces questions que vous n’avez jamais osé poser sur le Panthéon et les panthéonisations.

Le Panthéon vu depuis le jardin du Luxembourg, à Paris.
Le Panthéon vu depuis le jardin du Luxembourg, à Paris. (MANUEL COHEN / AFP)

François Mitterrand, sept, François Hollande, quatre. Le premier président socialiste de la Ve République avait procédé à une floppée de panthéonisations pendant ses deux septennats. Le second fait entrer, mercredi 27 mai, quatre résistants d’un coup au Panthéon : Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.

>> DIRECT. Suivez la cérémonie d’entrée au Panthéon des quatre résistants

Mais à quoi rime ce funèbre cérémonial d’entrée au Panthéon ? Qu’y a-t-il réellement dans les caveaux ? Qui décide des panthéonisations ? Pourquoi y a-t-il une croix sur ce bâtiment soi-disant laïque ? Francetv info répond à neuf questions que vous n’avez jamais osé poser sur le Panthéon.

1 Les quatre choisis par François Hollande pour entrer au Panthéon, c’est qui déjà ?

Pour commémorer la fin de la seconde guerre mondiale, le président de la République panthéonise quatre résistants. Avec un souci de parité affiché puisque deux hommes, Pierre Brossolette (1903-1943) et Jean Zay (1904-1944), et deux femmes, Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1920-2002) et Germaine Tillion (1907-2008), y entrent simultanément.

Vous êtes un peu court sur ces nouveaux « grands hommes » et femmes honorés par « la patrie reconnaissante » ? Francetv info vous a préparé l’antisèche sur le héros de la Résistance Pierre Brossolette, qui s’est suicidé pour ne pas parler, le 22 mars 1944, après avoir été capturé par la Gestapo. L’ethnologue Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, nièce de Charles et future présidente d’ATD-Quart Monde, sont restées, elles, liées toute leur vie par leur amitié forgée en déportation, au camp de concentration de Ravensbrück (Allemagne). Quant à Jean Zay, après avoir été ministre de l’Education du Front populaire, en 1936, il est mort en juin 1944, quinze jours après le Débarquement, assassiné par la Milice.

Portraits de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillon affichés au Panthéon pour l'exposition "Quatre vies en résistance", du 28 mai 2015 au 10 janvier 2016. 
Portraits de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillon affichés au Panthéon pour l’exposition « Quatre vies en résistance », du 28 mai 2015 au 10 janvier 2016.  (YANN KORBI / CITIZENSIDE / AFP)

2 Le Panthéon, c’est une sorte de cimetière, c’est ça ?

Oui, c’est sa vocation depuis deux siècles. En 1791, l’Assemblée révolutionnaire a décidé de faire une nécropole des « grands hommes » de l’église Sainte-Geneviève, située dans le 5e arrondissement de Paris. Commandée par Louis XV à l’architecte Soufflot, celle-ci a paru idéale : vide, en cours de finition, elle n’était encore ni consacrée ni affectée à une paroisse. La crypte, au sous-sol, abrite 26 caveaux, qui peuvent chacun contenir une douzaine de cercueils. Théoriquement, donc, plus de 300 personnes peuvent y être accueillies. Comme il n’y en a que 77 (panthéonisation du 27 mai incluse), il reste de la place.

Mais tous les corps des personnalités ne se trouvent pas dans les caveaux. Mieux vaut n’y pas regarder de trop près : le cercueil de Nicolas de Condorcet est vide, les cendres de Jean Moulin sont incertaines, le corps de Louis Braille y repose sans ses mains, si précieuses pour lire l’écriture tactile des aveugles qu’il a inventée, d’autres caveaux ne contiennent qu’une urne où repose un cœur…

Cette aura funèbre alimente aussi quelques légendes, pas toujours avérées. L’administrateur du Panthéon, Pascal Monnet, fin connaisseur du lieu, assure qu’il n’y a pas d’accès direct au bâtiment par les catacombes, comme le dit la rumeur. En revanche, il y avait bien jadis un passage en sous-sol entre le lycée Henri-IV et le monument.

La tombe de Jean Jaurès au Panthéon.
La tombe de Jean Jaurès au Panthéon. (MANUEL COHEN / AFP)

3 Qui est au Panthéon, déjà ?

Après l’entrée des quatre résistants, il y aura au total 75 personnalités honorées au Panthéon, plus deux inhumées sans être honorées. Si vous voulez tester vos connaissances sur le sujet, francetv info vous propose ce quiz, qui réserve quelques surprises (un peu d’aide ? Ni De Gaulle, ni Napoléon n’y sont enterrés, mais Voltaire, ci-dessous, y est entré en 1791).

La statue de Voltaire au Panthéon.
La statue de Voltaire au Panthéon. (MANUEL COHEN / AFP)

Que dire du profil-type du panthéonisé, sinon qu’il est assez homogène ? A trois exceptions près (Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion), son genre est masculin. Entré sous l’Empire plus d’une fois sur deux, le « grand homme » est très majoritairement un militaire ou un politique. Si quelques écrivains (Hugo, Dumas, Zola) ou scientifiques (Marcellin Berthelot, Paul Painlevé, les Curie) se sont glissés dans la crypte, il ne s’y trouve qu’un seul peintre (Joseph-Marie Vien, artiste officiel du premier Empire) et aucun musicien.

4 Qui décide d’une panthéonisation ? C’est magouille et compagnie ?

Comme vous y allez ! Oui… et non, comme toujours. Sur deux siècles, la panthéonisation est le plus souvent le fait du prince, qu’il s’appelle Napoléon ou François Hollande. Si celles de Voltaire et Rousseau, sous la Révolution, ont été votées par l’Assemblée, les 42 suivantes ont été décidées par l’empereur.

Comme l’explique l’historien Christophe Prochasson, la procédure s’est à nouveau faite collégiale sous les IIIe et IVe Républiques : les panthéonisations étaient approuvées par les députés. L’instauration de la Ve République marque le retour au bon plaisir impérial : le chef de l’Etat choisit seul. La Réunion des musées nationaux avait bien organisé en 2013 une consultation sur internet en vue de la panthéonisation 2015, mais c’est François Hollande qui a tranché. Et qui a délibérément ignoré la révolutionnaire féministe Olympe de Gouges (1748-1793), pourtant plébiscitée par les internautes.

5 Donc il y a forcément des polémiques à chaque panthéonisation ?

Oui. Comme le souligne Christophe Prochasson, la panthéonisation témoigne d’« un état d’esprit à un moment donné ». Elle est orientée, donc sujette à discussion. Le Parti communiste a ainsi reproché à François Hollande de panthéoniser deux socialistes, mais aucun communiste alors que le PCF était une des composantes importantes de la Résistance.

Autre polémique attachée à la cuvée 2015, celle lancée en 2013 dans Le Monde par le journaliste Pierre Péan. « Faire entrer Pierre Brossolette au Panthéon » est « un affront à Jean Moulin », avait estimé l’auteur de Vies et morts de Jean Moulin, puisque les deux hommes étaient rivaux pour unifier la Résistance.

Des féministes, enfin, ont noté que le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Belaval, dans son rapport sur la modernisation du Panthéon (Pour faire entrer le peuple au Panthéon), suggérait de ne faire entrer en 2015 que des femmes pour rétablir un peu plus l’équilibre entre les sexes… Avis non suivi.

Le précédent chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, avait, lui, suscité des remous en voulant panthéoniser deux personnalités classées à gauche : Albert Camus, et Aimé Césaire, mais les familles s’étaient opposées au transfert des cendres. Nicolas Sarkozy avait néanmoins inauguré une plaque en l’honneur du poète martiniquais, sans polémique.

6 Et pourquoi y a-t-il toujours une croix sur le Panthéon, alors qu’il est laïque ?

Ce tombeau laïque des « grands hommes » garde plus d’une trace de son passé religieux. L’administrateur du Panthéon, Pascal Monnet, relève ainsi la forme du bâtiment (nef et abside, donc en forme de croix) ou encore  « le Christ en majesté dans l’abside du début du XXe siècle ».

Mosaïque d'Ernest Hébert (1817-1908) représentant le Christ en majesté dans l'abside du Panthéon.
Mosaïque d’Ernest Hébert (1817-1908) représentant le Christ en majesté dans l’abside du Panthéon. (MANUEL COHEN / AFP)

Et la croix tout en haut du dôme, pourquoi a-t-elle été maintenue ? « Elle avait été démontée au moment de la Commune, au XIXe siècle, et remplacée par un drapeau rouge, note Pascal Monnet. Puis elle a été remise au début de la IIIe République et maintenue depuis, malgré les restaurations. » Pourquoi ? « C’est l’histoire du monument qui veut ça », philosophe Philippe Bélaval. Qui met les points sur les « i » : le bâtiment n’est plus consacré, « ce n’est plus une église ».

7 Et ailleurs, ils ont aussi leur Panthéon ?

« Non, il n’y a pas de véritable équivalent », répond Philippe Bélaval. Il juge qu’au Royaume-Uni, l’abbaye de Westminster, avec quelque 3 000 sépultures de rois, reines et personnages célèbres, ne « répond pas au même principe », mais se montre, en même temps, beaucoup plus exhaustive.

A l’inverse, le Panthéon national créé à Lisbonne en 1916 fait pâle figure à côté du nôtre : une dizaine de personnalités à peine, dont la chanteuse de fado Amalia Rodrigues et un footballeur, Eusébio da Silva Ferreira.

8 On ne peut pas dépoussiérer tout ça ?

Si, et on y songe sérieusement ! D’autant qu’il y a urgence à rendre plus attractive cette sépulture républicaine hétéroclite et lacunaire, où, désormais, nombre de familles ne veulent plus transférer les dépouilles de leurs morts. Ainsi, seule une urne contenant de la terre prélevée sur les tombes de Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz entrera au Panthéon le 27 mai.

Dès 2013, le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Belaval, a rendu un rapport pour « rendre au peuple » ce « monument intimidant ». Il suggère notamment de se doter d’outils numériques dignes de ce nom. Objectif : que le Panthéon, pour l’instant cantonné à 750 000 visiteurs par an, parvienne à dépasser le million. Avec un bémol cependant : ne pas sombrer dans le côté « parc à thème » qui jurerait avec la vocation funéraire du monument.

9 J’ai eu la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?

François Hollande transfère mercredi 27 mai quatre résistants au Panthéon : deux hommes, Pierre Brossolette (1903-1943) et Jean Zay (1904-1944), et deux femmes, Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1920-2002) et Germaine Tillion (1907-2008). Au total, fin mai, 75 personnalités sont honorées dans ce temple républicain : 72 hommes et seulement trois femmes. Il s’agit, en grande majorité, de militaires et de politiques, suivi de scientifiques et d’écrivains. Très peu d’artistes, en revanche, et aucun musicien.

Etre enterré au Panthéon, ça vous tente ? Seul le chef de l’Etat, sous la Ve République, peut en décider. Il reste de la place (le monument peut accueillir 300 dépouilles), mais, paradoxalement, de moins en moins de candidats : les familles sont désormais réticentes à exhumer leurs morts pour les y transférer

3 réflexions sur « Neuf questions que vous n’osez pas poser sur le Panthéon »

  1. l’Histoire enseignée à nos grands ados dans les écoles (même !) républicaines (en France, évidemment !) reste très contemporaine, de la Révolution à nos jours. L’Ancien Régime, survolé au collège en quatrième vitesse, est vite oublié. Elle est aussi marquée par cette méfiance pour les grands personnages historiques, pourtant si parlants et si utiles pour fédérer un peuple et construire une histoire commune. La télévision devrait s’engouffrer dans des pans entiers de notre passé laissés en jachère pour intéresser un public prêt à découvrir ou à réécouter une histoire négligée, voire méprisée.
    http://www.lepoint.fr/politique/melenchon-en-guerre-contre-stephane-bern-28-05-2015-1931781_20.php

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