Le Thalys wallon vu par M Belgique

Le Thalys wallon, symbole d’une réforme de l’Etat masquée (MBelgique du 21/03/15)
31 mars 2015, 17:04

C’est bien connu: un train peut en cacher un autre. “E pericoloso sporgersi”. Danger: derrière le Thalys wallon, c’est le train fantôme des volontés flamandes qui déboule. Plus que du simple communautaire : comme une sorte de réforme de l’Etat masquée qui postulerait un tout nouveau rôle pour la Région wallonne : suppléer le fédéral.
Vous avez assurément entendu souvent, dans la bouche de politiques flamands de tous horizons politiques, cette maxime récurrente: “Ce que la Flandre fait elle-même, elle le fait mieux”.
Evolution récente, N-VA aidant, la formule soudain se complète désormais d’un : “Ce que nous, au gouvernement fédéral, n’avons plus envie de faire, faites-le donc vous-même, mes p’tits wallons…”
C’est une ministre francophone, Jacqueline Galant, qui stoppe le Thalys wallon mais incite le gouvernement wallon à le reprendre à son compte.
C’est la même Galant qui entend supprimer des lignes de la fédérale SNCB puisque les TEC wallons n’ont dès lors qu’à acheter des bus en plus…
« Back to the future »

C’est du “back to the future”, retour à ce qui se passait dans les “secteurs nationaux” dans les années 80, lorsqu’un Luc Van den Brande (CVP, aujourd’hui CD&V)) s’exclamait froidement: “Si les wallons veulent aider leur sidérurgie, ils n’ont qu’à payer eux-mêmes”.
Certes, on pressentait déjà bien, à l’époque, que l’avenir de la sidérurgie wallonne ne serait pas rose. Ce qui n’allait pas, que c’est que des dossiers flamands tout aussi peu enthousiasmants comme ceux du textile, de la construction navale ou d’autres aussi pourris que celui des charbonnages du Limbourg (qui coûtèrent des flopées de milliards à l’Etat belge) étaient traités, parce que concernant le Nord, avec une fluidité exemplaire, les grandes entreprises wallonnes ne recevant que des portions congrues.
Les choses ont-elles tellement changé? Certes, d’importantes réformes de l’Etat sont passées par là, certes les Régions se sont emparées d’importants leviers économiques mais on voit toujours aujourd’hui des ministres fédéraux s’en allant chanter, non plus seulement le paisible Vlaams Leeuw, mais bien les partitions nationalistes de la « Zangfeest »qui dénotent pour le moins avec le concept de la “loyauté fédérale”.
Lequel postule, par exemple, que dès lors qu’une décision de compétence fédérale pourrait avoir des conséquences pour la Wallonie (ou Bruxelles et la Flandre) il y ait à tout le moins “concertation”. (le Comité ad hoc a d’ailleurs depuis été saisi d’office par le Gouvernement wallon).

Le Thalys Vande Lanotte : 1% depuis Ostende

Petit résumé pour ceux qui auraient loupé ce wagon tout chargé de communautaire. En février, le gouvernement se penche sur le “Thalys Vande Lanotte”, du nom du ténor socialiste flamand, surnommé l’ “Empereur d’Ostende”, et qui a voulu et protégé pendant des années l’arrivée d’un Thalys quasi vide dans sa cité balnéaire, « Reine des Plages ». Officiellement, on ne vous le racontera pas comme ça, mais la pièce s’est jouée ainsi : le sp.a remballé dans l’opposition, ses copains N-VA mettent en exergue le flop : le tronçon Ostende-Bruges affiche un taux d’occupation de …1%. (chiffre officiel)
Donc, décide le gouvernement, il sera suspendu jusqu’à examen dans le cadre du “plan de modernisation et d’efficience de la SNCB”.
Mais c’était sans compter sans un de ces coups fourrés qui donnent décidément toute sa saveur à la solidarité flamande, surtout depuis l’arrivée au pouvoir de la N-VA. Puisqu’une décision politique arrêtait le Thalys du Nord, il fallait évidemment stopper itou le Thalys du Sud.
En y mettant les formes en communication, c’est à dire en parlant d’abord d’une “suspension” pour l’installation du système de sécurité ECTS (sur un tronçon de la dorsale wallonne). Alors que c’est bel et bien d’une suppression définitive dont il est question.
Pas plus fine psychologue que mathématicienne, la démonstration en a été faite par la ministre Jacqueline Galant elle-même, qui n’avait évidemment aucune raison de tant s’embrouiller dans des chiffres de déficit s’il ne s’agissait que d’une simple et inoffensive suspension technique, comme la dorsale wallonne en a déjà connu par deux fois.

140.000 passagers l’an

Le hic, c’est que la fréquentation du Thalys du Sud est tout de même largement différente : là, on en est à des taux de remplissage de 50%, voire de 60% le week-end.
Pas de quoi crier au succès mais, mine de rien, le temps a fait que de plus en plus de passagers ont découvert la ligne. Sous le gouvernement Verhofstadt, une véritable concertation s’était d’ailleurs tenue entre ministres fédéraux et régionaux qui s’étaient accordés à donner du temps à la liaison : non sans résultats, le Thalys wallon affichant désormais 140.000 passagers l’an. Soit 5,7 mio€ de recettes et effectivement, un déficit de 4,5 mio€ l’an.
Sur ce dernier chiffre, Jacqueline Galant de Jurbise ne se trompe point : le léger problème est qu’elle ignore tout du fond du dossier. A savoir que si 5 mio d’€ ce n’est pas rien, c’est tout de même quasi rien dans le budget SNCB et que c’est le prix à payer pour continuer d’exister sur la carte européenne du train à grande vitessse.

On oublie le grand consensus d’il y a 25 ans

Passons le fait que pratiquement quasi-toutes les lignes de la SNCB sont forcément déficitaires (ça s’appelle un service public), passons le fait que ledit déficit était tellement connu qu’il était prévu dans le Contrat de Gestion SNCB.
Ce que tout le monde a omis de dire et qu’il faut rappeler c’est que, jadis, avant le Thalys, de multiples lignes internationales reliaient, lentement, les grandes villes de Wallonie à Paris (jusqu’à sept trains par jour).
Et qu’on a oublié un peu vite le grand consensus politique qui s’était noué il y a 25 ans, lorsqu’il s’était agi d’abandonner irréversiblement toutes ces liaisons à l’ancienne et de de positionner la Wallonie, et sa capitale namuroise, sur le réseau européen des trains à grande vitesse. Histoire de doper, comme ce fut le cas pour Lille, le développement économique.
Ce ne fut d’ailleurs pas évident: il a fallu se battre pour que les lignes à grande vitesse s’installent en Wallonie et les permis de construire furent un feuilleton sans relâche.
Si on n’y prend garde, à force d’en sourire, on en arriverait, avec le folklore mathématique de Jacqueline Galant, à en oublier l’essentiel : à savoir que, jusqu’à nouvel ordre (ou nouvelle réforme de l’Etat), les trains sont financés également par les Wallons. Et que ce cela postule des retours pour la Wallonie.

Le flop du Fyra, vite résolu

Paul Magnette, le Ministre-Président wallon, ne s’est ainsi pas privé de rappeler que lorsque la Flandre s’est retrouvée confrontée à l’historique flop du Fyra (ce train de conception italienne à très relative haute vitesse -108 km/heure à peine- qui n’a roulé que six semaines vers les Pays Bas avec un important arrêt à Anvers), il n’a fallu que peu de temps pour trouver, avec l’appui wallon, un accord financier ad hoc et mettre en place un service Intercity de remplacement.
On verra ce qu’il adviendra du sort final du Thalys wallon, de toute façon à l’arrêt au 1e avril. Une certitude : tandis que la Wallonie n’a rien à dire sur le“plan de transport” qui multiplie à l’infini les colères des navetteurs, la Flandre a développé un bien meilleur réseau ferroviaire, notamment IC, avec une offre conséquente.

Clair de lune à Maubeuge

Ce n’est d’ailleurs pas un événement anodin que le Premier Ministre luxembourgeois soit venu, l’autre jour, à la tribune du Parlement Wallon s’inquiéter de la panne des investissements sur la mythique ligne 162, celle qui tortillarde de Bruxelles à Luxembourg.
Pour les wallons, la suspension/suppression du Thalys, c’est la crainte d’un retour à une provincialisation, alors que, partout en Europe, les compagnies de chemins de fer dépensent des sommes pharamineuses dans l’interconnexion des villes.
On l’a vu dans le débat au Parlement wallon : au delà d’un classique conflit Nord/Sud sur les ressources, c’est le MR, seul partenaire francophone du gouvernement, qui est accusé “de n’avoir pas tenu bon face à la Flandre.”
Le libéral Jean-Luc Crucke a eu beau plaider “pour qu’on extirpe la liaison Belgique-France du monopole du Thalys” et proclamer sa foi dans une alternative qui passerait par le clair de lune de Maubeuge et la gare de Valenciennes, il n’a guère convaincu. Pire: ses petits camarades se sont amusés à lui mettre sous le nez de mâles mais périmées déclarations d’autres libéraux quant à la sacro-sainte défense du Thalys wallon.

La régionalisation du rail, objectif flamand

Va-t-on vers un confédéralisme larvé dont le sort du Thalys wallon serait un des signaux d’alerte? Il est clair ici qu’on a appliqué la fameuse “théorie du gaufrier” c’est à dire supprimer le Thalys du Sud pour compenser la suppression du Thalys du Nord.
Et il ne faut jamais perdre de vue que, depuis longtemps, tous les partis flamands ont demandé la régionalisation du rail, la Flandre souhaitant, avec des nuances, gérer toute sa mobilité.
Steve Stevaert, l’ancien président des socialistes flamands, entendait ainsi financer des “lignes locales d’un rail purement flamand”. Ou décrocher, à défaut plus que l’actuelle clé 60%/40% des investissements ferroviaires…
Suspendu ou définitivement arrêté ? Le sort du Thalys wallon jouera en tout cas à coup sur l’image du MR en Wallonie.
Chacun sait désormais qu’il y a un prix à payer pour tout politique francophone qui entend accéder à la fonction de Premier Ministre.
Le montois Elio Di Rupo paie cash aujourd’hui ses concessions aux partis du Nord sur les allocations d’insertion et les exclusions du chômage.
S’il ne redémarre pas, le Thalys wallon pourrait conduire à cette question ennuyeuse pour le Premier Ministre, le Wallon Charles Michel : son pouvoir fédéral s’arrête-t-il à Wavre?

2 réflexions sur « Le Thalys wallon vu par M Belgique »

  1. S’il en fallait encore, voici la démonstration claire et nette de ce qu’un belgicain est un flamingant qui s’ignore.

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  2. C’est cela, l’autonomie de la Wallonie dans une (con)fédération belge : l’enclavement. Un paradoxe, certes, puisque cette autonomie était censée nous libérer de nos entraves, mais une confirmation aussi, celle que la « coquille » que devient l’Etat belge ne sera jamais assez vide pour permettre à la Wallonie de secouer son joug. A la réflexion, les Wallons le souhaitent-ils ? Leur mobilisation sociale est-elle le signe annonciateur du rejet d’une Belgique plus que jamais flamande, malgré six réformes de l’Etat successives ? Je me permets d’en douter.

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